Cette semaine, à Genève, une délégation iranienne s’est entretenue avec six autres nations à propos du programme nucléaire de l’Iran. Ces négociations, les premières depuis l’arrivée au pouvoir du nouveau président iranien Hassan Rohani ont déclenché quelques réactions très positives : la BBC a décrit une «ambiance optimiste» à Genève; un diplomate européen a lui aussi parlé d’«optimisme prudent». Rohani lui-même a promis de «résoudre» le problème nucléaire dans les six prochains mois.
Après des années d’inertie avec l’Iran, d’où vient tout cet enthousiasme? Ce n’est sûrement pas parce que Rohani représente un changement radical dans la pensée iranienne en ce qui concerne le nucléaire. Après tout, il a été le négociateur nucléaire de l’Iran de 2003 à 2005. Il avait alors interrompu certaines parties du programme nucléaire, mais celles-ci n’ont jamais été supprimées définitivement.
L’Iran a repris les négociations pour une seule raison : le nouveau président souhaite que les sanctions économiques soient levées parce qu’elles pèsent lourdement sur l’économie iranienne.
De la même manière, le nouveau cabinet de Rohani n’a pas représenté de changement radical pour ceux qui ont dirigé la République islamique depuis sa création. Comme ministre de la Justice, il a choisi Mostafa Pour-Mohammadi, un ancien représentant officiel du ministère de l’Information dans les années 80, période très violente pour le pays. Entre autres choses, Pour-Mohammadi a été l’un des premiers responsables de l’exécution en masse de milliers de prisonniers politiques en 1988. Il est ensuite passé aux opérations des services secrets dans les années 90. Parmi ses grandes «réussites», on compte l’explosion d’un foyer municipal juif de Buenos Aires et l’assassinat de dissidents en Iran et dans le reste du monde.
Personne ne nie cette partie de l’histoire. Après avoir désigné Pour-Mohammadi, Rohani a fait tout ce qu’il pouvait pour louer ses «nombreuses expériences dans le gouvernement» et ses réussites passées: «Il a toujours réussi sa mission, quelle qu’elle soit.» Peu de choses ont changé depuis: la semaine du 23 septembre, alors que Rohani était à l’Assemblée générale des Nations Unies à New York, plus de trente Iraniens ont été exécutés sans autre forme de procès.
En d’autres termes, l’équipe de Rohani ne s’est pas rendue à Genève après avoir subi une profonde métamorphose interne. Au contraire, l’Iran a repris les négociations pour une seule raison: le nouveau président souhaite que les sanctions économiques soient levées parce qu’elles pèsent lourdement sur l’économie iranienne.
Récemment, lors d’une conférence à Londres, j’ai entendu des économistes de la diaspora iranienne revenir encore et encore sur ce sujet: les sanctions ont déstabilisé la monnaie iranienne, les industries du pétrole et du gaz, le commerce international et la confiance des investisseurs. Bien sûr, on connaît bien les défaillances de ces sanctions: il s’agit d’une méthode brusque et inefficace, de nombreuses personnes sont tentées de les braver et le commerce illicite continue de fonctionner.
Alors oui, ces sanctions provoquent des dégâts économiques pour toute la population mais ne sont pas forcément les plus catastrophiques pour ceux qui prennent les décisions. Toutefois, trois décennies de sanctions unilatérales ou multilatérales cumulées à l’encontre de l’Iran par les États-Unis, les Nations Unies ou l’Union Européenne, ont, au moins au sens étroit du terme, «fonctionné»: elles ont forcé les gouvernements iraniens à reprendre les négociations qu’ils avaient pour la plupart abandonnées depuis des années.
Le succès des sanctions a aussi convaincu les Iraniens de tenter une tactique qui a bien fonctionné pour de nombreux autres pays, dont la Russie: persuader l’Occident de faire une distinction entre ses différentes préoccupations. En séparant l’économie, les droits de l’homme et les armes nucléaires, comme s’ils n’avaient rien à voir les uns avec les autres.
Le Ministère du pétrole iranien a même lancé une sorte de campagne de proximité, en déclarant que «l’Iran accueillerait à bras ouverts toute coopération pétrolière, même avec des entreprises américaines». On pourrait penser que les Iraniens croient que ces entreprises américaines feraient du lobbying auprès de l’administration d’Obama pour que les sanctions soient levées.
Ce genre de lobbying manquerait vraiment de vision sur le long terme. Si l’Iran était capable de faire des propositions concrètes et vérifiables pour le nucléaire, des changements pourraient alors être envisageables pour les sanctions. Certains ont suggéré de débloquer les capitaux iraniens gardés hors du territoire. Mais tant que les négociations sont encore en cours, essayons de clarifier les raisons pour lesquelles le monde s’intéresse autant au programme nucléaire de l’Iran.
Il est évident que nous autres Américains ne sommes pas trop inquiétés par l’arsenal nucléaire britannique ou indien. Les États-Unis ne sont pas vraiment en mesure de s’opposer aux armes nucléaires en principe, puisque nous les possédons nous-mêmes, ainsi que plusieurs de nos alliés. Non, nous nous opposons aux ambitions nucléaires de l’Iran pour une seule raison: parce que nous sommes opposés à la République islamique de l’Iran, un régime quasi totalitaire depuis 1979, dirigé par des hommes brutaux et volatiles sans aucun respect pour l’autorité de la loi. Ce régime est un problème «domestique» pour de nombreux Iraniens, et c’est un problème majeur pour les voisins de l’Iran et le reste du monde.
En d’autres termes, aussi longtemps que des hommes comme Pour-Mohammadi auront le pouvoir sur les tribunaux et les prisons iraniennes, et aussi longtemps que le système judiciaire iranien sera subverti par une version politisée de la charia, il y aura toujours une limite à ce qui pourra ressortir de positif des négociations avec Téhéran. Discuter, c’est bien. Mais les négociateurs de Genève devraient laisser leur optimisme de côté.
Anne Applebaum
Traduit par Hélène Oscar Kempeneers