Culture

Pour faire un jeu vidéo indé, il suffit de savoir coder (et d'un peu d'argent)

Temps de lecture : 6 min

De la même manière que la musique ou le cinéma, tout le monde ou presque peut faire son propre jeu vidéo pour le plaisir. Mais le but d'un jeu vidéo indé est quand même de gagner quelques sous.

Des codeurs de Mojang, un studio suédois indépendant de jeu vidéo qui a créé le très populaire Minecraft, Stockholm le 21 janvier 2013, REUTERS/Ints Kalnins
Des codeurs de Mojang, un studio suédois indépendant de jeu vidéo qui a créé le très populaire Minecraft, Stockholm le 21 janvier 2013, REUTERS/Ints Kalnins

Vous avez peut-être déjà entendu dire d’un jeu vidéo qu’il est «indépendant», avec parfois un soupçon de fierté, comme on dirait des chips de légumes qu’on offre à nos invités qu’elles sont bio ou des assiettes dépareillées dans lesquelles on les sert qu’elles sont artisanales?

Vous risquez de l’entendre de plus en plus souvent (il arrive même à la presse du métro d’en parler) car le jeu indépendant continue son essor entamé il y a plus de dix ans.

Mais comment est-ce seulement possible, économiquement parlant? Pour faire un jeu, avec toute cette 3D et ces images de synthèse si chères au cinéma, il faut assurément faire appel à des moyens techniques considérables, une équipe de 50 personnes et un budget pharaonique…

Raté. Pour faire un jeu, il suffit d’un ordinateur et de savoir coder. «Le coût ne doit vraiment pas t’empêcher de faire un jeu, explique Aaron Isaksen, un développeur indépendant. Il y a tellement d’outils qui sont gratuits. Et créer ton propre système, ça ne coûte pas d’argent, seulement du temps.»

Fait maison

Evidemment, les indépendants ne font pas des jeux du même acabit que les derniers blockbusters tels que GTA V ou la série inspirée par Tom Clancy, de même que les cinéastes indépendants ne font pas des remakes de Star Wars ou du Seigneur des Anneaux, mais ils peuvent aussi trouver leur public.

Le jeu vidéo indépendant a justement beaucoup de points en commun avec ses homologues du cinéma ou de la musique. S’il existe, c’est d’abord parce que tout le monde peut s’essayer à la création de jeux vidéo, ceci grâce à la prolifération (aussi connue sous le nom trompeur de «démocratisation») d’ordinateurs surpuissants, tout comme ont proliféré les caméras ou le matériel de musique.

Nous avons tous à la maison un outil avec lequel, si nous avons les connaissances (que des sites internet proposent de vous enseigner gratuitement), nous pouvons créer des tas de choses, dont des jeux. Bien évidemment ce sont surtout des développeurs de formation qui s’y mettent.

Le terreau du jeu vidéo indépendant est donc bien le fait d’amateurs passionnés (ou geeks), mais la pratique «indépendante» suppose une pratique professionnelle. Professionnelle au sens de gagner des sous: il s’agit de créer et vendre son jeu sans passer par un éditeur de jeux vidéo, l’équivalent du producteur ou d’une major.

Anonymat ou rentabilité?

La plupart des gros éditeurs sont également développeurs, et inversement les petits développeurs indépendants font eux-mêmes le travail d’éditeur. Mais on entend généralement par indépendant une petite équipe, voire une seule personne, où le développeur conserve la propriété intellectuelle de son jeu.

Mathias Cena, qui avait déjà analysé cette émergence du jeu indépendant sur Slate en 2009, posait très justement ces questions:

«Peut-on vivre de développement indépendant et d’eau fraîche? Pour un titre à succès comme World of Goo, combien de centaines d’autres condamnés à l’anonymat?»

Beaucoup de jeux indépendants connaissent effectivement un relatif anonymat, mais au regard de l’investissement initial et même avec un petit public, ils peuvent être rentables.

Peut-on parler de modèle économique pour le jeu indé? «Souvent, il n’y en a pas, répond Thierry Platon, administrateur du Syndicat national du jeu vidéo depuis 5 ans, puisqu’a priori l’idée c’est de faire un jeu, pas de l’argent. Par exemple, on n’utilise pas le système de comptes premium [qui consiste à faire payer les joueurs pour avoir accès à des fonctionnalités ou des niveaux supplémentaires dans le jeu], qui est plutôt décrié dans le milieu indé. Les créateurs vont dans les salons pour faire connaître leurs jeux… En fait leur parcours du combattant ressemble un peu à celui du court-métrage.»

Crowdfunding

Mais quelques «modèles économiques» ont quand même fait leurs preuves. A commencer par celui qui fait beaucoup parler de lui en ce moment: le financement participatif (ou crowdfunding). Vous présentez votre projet aux internautes, et ces derniers ont la possibilité de le financer, le plus souvent en échange d’une contrepartie, par exemple un exemplaire du jeu, ou des produits dérivés (si tu me files 50 euros ou plus, tu auras droit au tee-shirt dédicacé).

Ce mode de financement n’est pas réservé au jeu vidéo, mais il y a une adéquation évidente entre internautes et joueurs. Par exemple sur Kickstarter, plateforme de financement participatif très populaire aux Etats-Unis, une vingtaine de projets de jeux vidéo ont dépassé les 900.000 dollars, et le plus financé a dépassé les 4 millions de dollars. Il ne s’agit pas toujours de création «indépendante», mais cela montre le succès des projets vidéoludiques sur ce type de plateforme.

Le crowdfunding nécessite néanmoins de s’investir pendant des mois dans ce qui n’est rien d’autre qu’une campagne marketing sur le web, sans compter le temps qu’il faudra passer à faire du making of pour satisfaire la curiosité des supporters. Il permet difficilement à une petite équipe de lever de grosses sommes.

«Beaucoup se sont plantés avec le crowdfunding, rappelle Thierry Platon. Si je devais utiliser ce système, je passerais par une boîte spécialisée qui a déjà réussi des projets de ce type.»

Outil à manier avec précaution donc, car il n’exclut aucune des contraintes de la vente: il faut être en mesure de faire une facture pour chacun, de déclarer ces rentrées d’argent, etc… Si les détails vous intéressent, PC Inpact a fait un travail de fond sur le jeu vidéo made in crowdfunding.

Autofinancement

Autre modèle économique des plus évidents: l’autofinancement. Partant du principe que vous n’avez besoin que de temps, de connaissances et d’un ordinateur, le jeu vidéo peut se faire comme du rock dans un garage.

Braid en est un exemple célèbre. Jonathan Blow, son développeur, devenu depuis une star du jeu indé, estime qu’il lui a coûté 200.000 dollars. Mais il expliquait avec humour en 2009 qu’une telle somme n’était pas indispensable pour faire un jeu:

«Beaucoup de cet argent a été dépensé parce que je ne voulais pas vivre dans une cabane. […] Si tu peux rester trois ans chez ta mère, tu peux faire un jeu sans rien dépenser.»

Les retombées économiques de son succès lui permettent aujourd’hui de développer son prochain titre en 3D.

Indie Fund

Jonathan Blow et Aaron Isaksen font tous deux partie des fondateurs de Indie Fund, une société qui investit dans les jeux vidéo indépendants. Indie Fund repère d’abord les prototypes prometteurs, puis le deal est le suivant: lors de la sortie du jeu, l’entreprise se rembourse sur les ventes jusqu’à avoir doublé sa mise. Pour Aaron Isaksen, le modèle le plus proche serait celui d’un business angel:

«Ce qui nous différencie d’un éditeur classique, c’est d’abord qu’on n’intervient pas dans le développement, sauf si on nous demande un conseil, mais surtout on ne demande pas la propriété intellectuelle. Si le développeur veut faire une suite, il est libre, c’est son jeu. Et contrairement à un investisseur classique ou à une banque, on ne prend aucune "part" dans la société. Si on n’a pas doublé notre mise au bout de deux ans, la dette est effacée.»

Ainsi, les développeurs restent indépendants aussi bien économiquement que sur le plan créatif. Ces parieurs-connaisseurs assument donc les risques d’échec, mais en contrepartie ils se renflouent plus vite en cas de succès. C’est en quelque sorte un modèle économique sur-mesure, car il s’adapte à ce marché dématérialisé où prévaut comme au poker la règle du «gagnant remporte tout».

«Si les indépendants peuvent vendre leurs jeux, c’est en grande partie grâce à la dématérialisation et la vente online, qui les affranchit des CD à graver et des boîtes à transporter», explique Thierry Platon, qui ajoute qu’«aujourd’hui il existe des plateformes de distribution comme Indie City ou Desura qui proposent beaucoup de jeux indés».

Paradoxalement, cette dématérialisation qui leur donne une place renforce aussi les écarts entre les grands gagnants et les jeux à petite diffusion. Si les milliards d’internautes ne peuvent pas se rendre tous ensemble au même concert ou acheter la même sculpture, ils peuvent tous acheter le même jeu sans bouger de chez eux.

Grégoire Barrault

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