France

Le FN est utile à trop de monde

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A gauche comme à droite, chez les classes populaires comme intellectuelles, sans oublier les médias, le parti frontiste se révèle trop utile pour que le cirque lepéniste ne continue pas sa tournée à guichets fermés.

Un badge du FN lors de l'université d'été du parti à Marseille, le 14 septembre 2012. REUTERS/Jean-Paul Pélissier.
Un badge du FN lors de l'université d'été du parti à Marseille, le 14 septembre 2012. REUTERS/Jean-Paul Pélissier.

Les jérémédiades qui entourent les succès, réels ou potentiels, du Front national ne sauraient occulter sa précieuse utilité. Dans une France au moral terriblement miné par la crise et en outre dotée d'une classe politique déboussolée, le parti d'extrême droite remplit à merveille toute une série de fonctions qui expliquent largement les faveurs dont il est l'objet.

Le lepénisme d'hier et d'aujourd'hui est tout d'abord utile à la gauche. C'est déjà une vieille histoire. Dans les années quatre-vingt, le subtil et machiavélique stratège qu'était François Mitterrand avait rapidement compris le bénéfice qu'il pouvait retirer de la progression du FN. Le parti d'extrême droite étant alors encore plus clairement ancré de ce côté ci de l'échiquier politique, son surgissement permettait de diviser diaboliquement l'électorat de droite.

Trois décennies plus tard, les choses sont devenues un tout petit peu plus complexes, mais il reste vrai que le FN demeure plus une gêne électorale pour la droite que pour la gauche. Sur ce point comme sur d'autres, on peut légitimement suspecter François Hollande de mettre ses pas, avec plus ou moins de talent, dans les traces de son illustre prédécesseur à l'Elysée.

L'étrange choix du Parti socialiste de déclarer, à la fin de cet été, la guerre idéologique à l'extrême droite légitime la suspicion d'une trouble visée stratégique. Au-delà des avantages poursuivis en termes d'équation électorale, c'est toute une posture «morale» que recherche le PS. La bataille contre «l'extrême droite» lui permet de brandir un étendard de gauche que ses choix économiques n'autoriseraient guère à sortir du placard.

Audacieuse prise de judo

D'autres composantes de la gauche tentent de tirer partie, avec plus ou moins de bonheur, de l'influence gagnée par le FN. Jean-Luc Mélenchon s'emploie à une audacieuse prise de judo visant à retourner contre le lepénisme certains ressorts de son succès, comme la réelle exaspération populaire contre les élites. Jusqu'ici sans trop de succès.

A droite aussi, le FN sert de multiples intérêts. L'homme politique le plus populaire dans ce camp pour l'heure, Nicolas Sarkozy, est celui qui mise le plus sur l'extrême droite pour rebondir jusqu'à l'Elysée. Il compte sur la menace lepéniste pour s'imposer à nouveau.

Brice Hortefeux, son plus fidèle lieutenant, ne cesse de répéter que l'ancien président de la République serait le seul à avoir fait reculer le FN. En oubliant simplement que si Sarkozy l'avait effectivement réduit en 2007, il l'avait bien requinqué cinq ans plus tard...

La montée en régime du FN permet encore à la composante modérée de l'UMP, dite «humaniste», de réciter périodiquement ses prières et d'adresser ses suppliques aux durs du parti. L'UDI y trouve même une raison d'être que la spécificité de son programme ne suffirait pas à prouver. Sans oublier les étranges manoeuvres d'un François Fillon utilisant, non sans maladresse, le FN pour adresser un clin d'oeil à l'électorat de droite populaire et radicalisé.

Instrumentaliser le bulletin FN

Qu'on ne croie pourtant pas qu'une extrême droite sortie de sa marginalité ne sert que les sombres intérêts d'une classe politique désarçonnée. L'écho qu'elle s'est assurée est aussi fort utile à divers secteurs de la société française.

On pense ici d'abord à une fraction des classes populaires. Chacun sait que le FN est devenu le parti le plus prisé des ouvriers et qu'il est aussi désormais très influent chez les employés.

Si les partis excellent à exploiter les passions populaires, l'électorat ne se gêne pas non plus pour instrumentaliser les formations politiques à ses propres fins. Le bulletin de vote FN sert ainsi de puissant vecteur à une fraction de la société française: elle lui permet d'envoyer aux puissants un clair message de rejet de ce que sont devenues l'Europe, la mondialisation ou encore l'immigration.

Quoi qu'on en pense, l'expression de ce mécontentement n'est pas dénué d'efficacité. Elle pèse sur les politiques des gouvernants ou, du moins, sur leurs discours.

Au-delà de cette efficience relative, le vote FN a l'immense mérite, pour ses pratiquants, de provoquer une jouissive frayeur parmi les élites en place. Il y a belle lurette que la bourgeoisie n'a plus peur du prolétariat. Les anciens «damnés de la terre», pathétiquement orphelins de conscience de classe à l'inverse des dominants, n'ont plus l'insoutenable prétention à devenir «tout» pour cesser d'être «rien». Ils se consolent en faisant frissonner les élites en place.

Cure de réassurance psychologique

A un autre bout du spectre sociologique, le FN est tout aussi précieux. Il permet à la (petite) bourgeoisie intellectuelle de cultiver son estime de soi. Grâce à l'évocation périodique du spectre de la «peste brune», les bobos de tous poils bénéficient d'une cure de réassurance psychologique.

Ils constatent avec une satisfaction attristée mais renouvellée qu'ils appartiennent toujours de plein droit au parti du bien, celui de l'ouverture et de la tolérance aux autres. Même si ces croyants de la diversité n'en sont pas systématiquement les pratiquants en termes de choix de logement ou d'éducation.

Le lepénisme est enfin utile aux médias. Il est toujours amusant de constater le mélange de fascination et de répulsion des moyens d'information à son endroit: cette relation malsaine tient, pour une bonne part, à l'étrangeté persistante du phénomène pour un microcosme médiatique qui n'approche le peuple que par le prisme abstrait des enquêtes d'opinion.

En dépit d'une bonne volonté touchante, nombre de journalistes n'arrivent toujours pas à comprendre les ressorts, pourtant peu mystérieux, du vote FN. La sociologie de la gent médiatique, et son enfermement professionnel, n'y sont pas étrangers.

A un autre niveau, le FN est un acteur utile de la scénographie médiatique. Il faut toujours un méchant dans le feuilleton de l'actualité, dont la dénonciation n'est pas sans profits commerciaux. A sa belle époque, Libération réalisait ses meilleures ventes en mettant Le Pen (père) à sa une. Ce journal n'a apparemment pas renoncé à cette recette. Mais bien d'autres s'emploient à récupérer une part de la manne offerte par ce mouvement d'opinion politique.

Il dessert tout le monde

On peut assurément retourner ce semblant de démonstration. Et prétendre, non sans raison, que le FN, au final, dessert tout le monde.

La gauche se fait dépouiller par l'extrême droite de son audience dans les milieux populaires. La droite se fait voler le drapeau national et la défense des valeurs conservatrices. Le peuple se fait bigrement gruger et les bobos s'étourdissent de fantasmes. Quant aux médias, ils précipitent leur discrédit par une coupable complaisance à l'égard du FN sous des dehors de condamnation de principe...

Tout cela est vrai. En attendant, le cirque du lepénisme continue à donner des séances à guichets fermés pour la bonne raison que trop d'acteurs de notre comédie politique, sociale et médiatique ont objectivement intérêt à ce qu'elle se poursuive. C'est ce contexte qu'il faudrait changer pour réduire vraiment le symptôme frontiste.

Eric Dupin

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