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Où s'arrêtera l'allongement de l'espérance de vie?

Temps de lecture : 12 min

Les mesures de santé publique à l'origine de la spectaculaire augmentation de notre espérance de vie ont-elles donné tout ce qu'elles pouvaient ou va-t-on continuer à vivre toujours plus longtemps et en meilleure santé?

Dans une maison de retraite à Lima, le 25 mars 2010. REUTERS/Enrique Castro-Mendivil.
Dans une maison de retraite à Lima, le 25 mars 2010. REUTERS/Enrique Castro-Mendivil.

Cet article est le sixième de notre série en six épisodes «Longue vie». A lire également: 1. Comment seriez-vous mort il y a cent ans? 2. La honteuse histoire de la mortalité maternelle 3. Pourquoi vous êtes encore en vie 4. Comment le coton et les satellites vous ont sauvé la vie 5. L'invention des personnes âgées au Paléolithique a rendu notre monde meilleur

Il existe un mythe, étrangement impérissable, voulant que les gens aient toujours de bonnes chances de vivre jusqu'à un âge avancé s'ils arrivent tout simplement à survivre à l'enfance. Il est vrai qu'à une époque, la mortalité des nourrissons et des enfants était plus élevée que celle de n'importe quelle autre classe d'âge. Et c'est parce que la plupart des maladies infantiles mortelles ont été éliminées que notre espérance de vie a connu son plus grand bond en avant: en 150 ans, elle a été multipliée par deux.

Mais les enfants ne sont pas les seuls à avoir aujourd'hui moins de risques de mourir qu'avant. Quel que soit votre âge, et ce même si vous êtes centenaire, vous avez, par rapport à n'importe quelle autre époque de l'histoire humaine, davantage de chances de survivre encore une année.

Pourquoi l'espérance de vie n'a-t-elle cessé de croître ces dernières décennies? Et à quoi pouvons-nous nous attendre: allons-nous encore et toujours continuer à vivre de plus en plus longtemps?

De la tuberculose au cancer

Les mesures de santé publique sont les premières à remercier pour l'augmentation de la durée de vie, telle qu'elle s'est jouée entre le milieu du XIXe siècle et celui du XXe siècle. L'accès à l'eau potable, une alimentation saine, des logements confortables et une considération salutaire pour les microbes ont transformé notre monde de fond en comble.

En regardant les premières causes de mortalité aux États-Unis en 1900 et en 2010, vous pourriez vous croire face à des données issues de deux espèces radicalement différentes. En 1900, nous mourions de la tuberculose, d'infections gastro-intestinales et de la diphtérie. En 2010, aucune de ces maladies n'est présente dans le top 10.

Si les maladies infectieuses se sont effondrées, le cancer et les maladies cardiovasculaires ont quant à elles explosé.

Ces dernières ne sont pas une invention nouvelle. Des momies égyptiennes montrent des traces d'athérosclérose. Mais, à l'instar du cancer, ces affections étaient masquées par d'autres maladies qui tuaient les gens avant qu'ils n'atteignent un âge suffisamment avancé pour succomber à une attaque.

Vu le caractère redoutable des maladies cardiovasculaires, tout ce qui peut les soigner ou réduire leur fréquence est susceptible de sauver un nombre considérable de vies et d'augmenter notre longévité moyenne. Le taux de mortalité dû à celles-ci (en tenant compte de l'âge, vu qu'il y a de plus en plus de personnes âgées dans la population) a été divisé par deux entre 1980 et 2000.

C'est un succès criant pour les initiatives de santé publique et la biomédecine. A qui en revient le mérite?

Pour une moitié, il faut remercier les traitements médicaux (les statines, l'aspirine, la chirurgie cardiaque). Les réductions des facteurs de risques, que ce soit l'hypertension, le tabac ou encore la consommation de viande rouge, se partagent l'autre moitié. La bonne nouvelle, c'est que certains facteurs de risque, comme un cholestérol élevé, ne cessent de diminuer.

Les maladies cardiovasculaires demeurent toujours une manière de mourir effroyablement commune et il est difficile d'estimer le nombre de décès qui ne sont pas survenus. Mais vous avez probablement parmi vos proches des gens qui sont aujourd'hui toujours en vie parce que des études épidémiologiques ont identifié des facteurs de risques et parce que des scientifiques ont réussi à trouver des traitements efficaces.

Mon arrière-arrière-grand-mère est morte à 57 ans, probablement d'un infarctus. Mon arrière-grand-mère est morte à 67 ans d'une attaque cérébrale.

Ma grand-mère prend des médicaments pour soigner son hypertension et son hypercholestérolémie. Elle vient de fêter ses 90 ans.

Dans sa famille, elle est la première personne à vivre assez longtemps pour connaître un arrière-petit-enfant. Prévenir et soigner les maladies cardiovasculaires est une victoire aussi grandiose qu'ignorée des temps modernes.

Cigarette et pollution

Les morts liées à de nombreux types de cancer baissent aussi depuis quelques décennies. Le cancer n'est pas une maladie uniforme et il n'est pas près d'être éliminé, qu'importent les propos idiots tenus par le directeur du National Cancer Institute sous George W. Bush.

Pour autant, les chercheurs et les cliniciens ne cessent de progresser dans l'identification et le traitement de ses principales formes. Les taux de survie à long terme sont en augmentation.

En 1975, la moitié environ de tous les malades du cancer étaient encore en vie dans les cinq ans. Aujourd'hui, ce sont les deux tiers.

Mais la prévention est encore plus importante que les traitements. La baisse du tabagisme explique une bonne partie de la diminution des cas de maladies cardiovasculaires ou de cancers, en particulier le cancer du poumon, qui est de loin la cause la plus commune de mortalité liée au cancer.

Les interdictions de fumer sauvent elles aussi des vies —de moins en moins de personnes meurent d'infarctus, d'attaques cérébrales ou de maladies pulmonaires liés au tabagisme passif, maintenant que nos restaurants, bureaux ou avions ne sont plus enfumés.

Le contrôle de la pollution atmosphérique a lui aussi permis de sauver pas mal de vies. En 1948, un smog toxique étouffe Donora, en Pennsylvanie, tue 20 personnes et fait tomber malade la moitié des 14.000 habitants de la ville. En 1952, au moins 4.000 personnes meurent à cause d'un épais smog à Londres.

La pollution de l'air provoque des attaques cardiaques et des crises d'asthme. Elle augmente aussi le risque de cancer du poumon, de maladies cardiovasculaires, de bronchite et d'autres affections.

Aux États-Unis, le Clean Air Act a été adoptée en 1970 et a depuis été révisé plusieurs fois avec un durcissement des limitations des polluants. Cette loi est à l'origine de grandes avancées en matière de santé publique: en 2010, elle a ainsi permis d'éviter 160.000 morts prématurées.

Aujourd'hui, vous pouvez même apercevoir les montagnes qui entourent Los Angeles, chose impossible en 1968. Mais la pollution atmosphérique demeure toujours passablement mortelle dans le monde en voie de développement. On lui impute, à un niveau mondial, davantage de décès qu'au cholestérol.

Un rapport à la sécurité différent

Nous avons aujourd'hui un rapport à la sécurité complètement différent de celui qui était le nôtre au début du XXème siècle. Les décès professionnels ont diminué de 90%, grâce aux efforts conjugués des syndicats, des scientifiques et du zèle des agences gouvernementales.

Nous avalons davantage de kilomètres que par le passé, mais nous avons moins de chances de mourir dans des accidents de la route. On se plaint souvent de la judiciarisation excessive de la culture américaine, mais rien ne vaut la menace d'un procès pour que des marques retirent du marché des produits dangereux. Même les morts causées par la foudre sont en baisse: aujourd'hui, Dieu abat sa colère sur 70% de personnes en moins qu'en 1960.

Les femmes sont de moins en moins nombreuses à mourir en couches —même s'il aura fallu un temps honteusement long pour que le taux de mortalité maternelle commence à décroître. Une contraception sûre et efficace a sauvé bien des femmes de décès liés à des grossesses non-désirées.

L'amélioration des méthodes d'accouchement a aussi diminué le taux de mortalité lié aux infections, aux hémorragies et autres complications. Et des progrès constants en matière de soins néonatals signifient que davantage d'enfants et de mères peuvent aujourd'hui survivre aux dangers de la naissance.

Les antibiotiques sont les plus familiers de nos sauveurs de vies. Quand je demande aux individus de mon entourage pourquoi ils ne sont pas encore morts, les histoires que j'entends le plus souvent parlent d'infections soignées grâce à eux. Nombre d'entre vous à être encore aujourd'hui en vie auraient été terrassés par des bactéries au cours des siècles précédents.

Les mesures de santé publique protégeant les enfants de maladies infectieuses ont des répercussions positives tout au long de leur vie. Aujourd'hui, les personnes âgées sont plus solides et en meilleure santé que celles des générations précédentes, en partie parce que, durant leur enfance, elles n'ont pas eu à subir les assauts répétés de divers pathogènes.

Moins exposés au deuil

Plus les gens vivent vieux, plus ils ont de temps pour développer des maladies propres à la vieillesse, la plus terrible d'entre toutes étant la démence. Pour autant, en prenant l'âge en ligne de compte, la fréquence des démences séniles semble elle aussi baisser, sans doute grâce à des progrès sanitaires généraux.

A la faveur de changements sociaux, l'espérance de vie peut connaître des sauts brusques même chez les populations les plus âgées. Avant la réunification allemande, les retraités d'Allemagne de l'Est avaient une espérance de vie bien moindre que celle de leurs cousins de l'Ouest. Après la réunification, ils ont commencé à vivre plus vieux —même ceux ayant dépassé les 80 ou les 90 ans ont vu des années supplémentaires s'ajouter à leur vie.

Les gens comptabilisant davantage d'années d'études ont tendance à vivre plus longtemps, et le fossé est en train de se creuser entre les individus n'ayant pas terminé le lycée et ceux possédant des diplômes universitaires. Ce qui n'est pas surprenant vu que les personnes les plus éduquées sont, en moyenne, plus riches, ont des emplois plus sûrs et un meilleur accès aux soins de santé.

Mais quelques études montrent que l'éducation, en elle-même, prolonge la vie; elle semble permettre de mieux faire face à des maladies chroniques, de mieux gérer le stress et de prendre de meilleures décisions. La proportion des personnes ayant un diplôme universitaire n'a pas cessé d'augmenter dans la population, ce qui pourrait se révéler avantageux en matière de conséquences sanitaires à long terme.

Bien évidemment, tout est lié —si nous vivons aujourd'hui plus longtemps, c'est que nous vivons dans un monde radicalement différent de celui que nous habitions à la fin du XIXe siècle. C'est un monde moins sale, moins violent et moins bref.

Enfin, nous sommes aussi moins exposés au plus dramatiques des facteurs de mortalité: le deuil. En d'autres termes, nous vivons plus longtemps parce que nos êtres chers vivent plus longtemps, ce qui fait que nous sommes moins susceptibles de nous abîmer dans la douleur de la perte qu'à n'importe quelle autre période de l'histoire humaine.

Des changements évidents, d'autres moins

Et la suite? Grâce à quels petits changements notre longévité moyenne pourrait-elle encore bondir?

Certains semblent évidents, d'autres moins. «Le plus accessible concerne le tabagisme», explique David Jones, historien de la médecine à Harvard. «Mais est-ce pour autant à portée de main?».

Au milieu du XXe siècle, la moitié environ de la population fumait. Une proportion qui n'a cessé de se restreindre au cours de la seconde moitié du siècle, mais qui semble aujourd'hui se stabiliser (même si une campagne récente et particulièrement impressionnante a eu des résultats prometteurs aux Etats-Unis). Environ 20% de la population fume toujours aux Etats-Unis, et faire arrêter ces derniers irréductibles pourrait être une sérieuse gageure.

L'obésité est l'autre facteur de risque majeur des maladies cardiovasculaires, du cancer, du diabète et de bon nombre d'autres causes de décès. Le taux d'obésité a tellement grimpé ces dix dernières années que S. Jay Olshansky, un chercheur spécialiste de la longévité à l'Université de l'Illinois à Chicago, estime avec ses collègues que l'obésité pourrait annuler les effets de la réduction du tabagisme sur l'espérance de vie moyenne.

Aujourd'hui, le fait le plus perturbant sur la longévité aux États-Unis est que les Afro-Américains vivent, en moyenne, environ 4 ans de moins que les blancs. La bonne nouvelle, c'est que le fossé s'est rétréci.

Cette disparité a été analysée en termes de justice sociale, mais comme le fait remarquer David Jones, il y a aussi une grande différence entre l'espérance de vie des femmes et celle des hommes. «Je peux m'attendre à vivre cinq ans de moins que ma femme», déclare-t-il. «Ce que je trouve parfaitement injuste».

Nous avons tendance à voir cette différence comme quelque chose de biologique et d'immuable, mais trouver des moyens d'aider les hommes à vivre aussi longtemps que les femmes pourrait grandement contribuer à améliorer l'espérance de vie et à faire du monde un endroit moins triste.

Un des débats les plus fascinants

Actuellement, l'un des débats les plus fascinants des sciences de la vie oppose Olshansky et James Vaupel, de l'Institut Max-Planck de démographie de Rostock, en Allemagne. Sur la question de savoir si et comment l'espérance de vie augmentera dans le futur, leur désaccord est fondamental et dure depuis presque vingt ans.

Olshansky, un type charmant, défend une position qui pourrait sembler pessimiste au premier abord. Il explique que les mesures de santé publique à l'origine de la spectaculaire augmentation de notre espérance de vie depuis la fin du XIXe siècle ont quasiment donné tout ce qu'elles pouvaient.

Nous avons aujourd'hui une population bien plus vieille, mourant de maladies liées à l'âge, dont les traitements ne pourront qu'améliorer marginalement l'espérance de vie moyenne, et avec des rendements nuls. Il explique tout cela dans cette charmante vidéo.

De l'autre côté du ring, nous avons Vaupel, qui explique que les gens ne cessent de vivre plus longtemps et en meilleure santé et qu'il n'y a pas forcément de raison pour que cela s'arrête à moyen-terme. Son message est plus réjouissant, mais il prend le débat très au sérieux: il ne veut participer à aucune conférence où Olshansky est présent.

Ses diagrammes ont de quoi donner du baume au cœur: il prend les records de longévité des individus vivants dans les pays où la longévité est la plus élevée et montre que l'espérance de vie maximum ne cesse de grimper à toute vitesse depuis 1800. Une ligne qu'on aimerait prolonger mentalement pour notre avenir proche.

Pour Olshansky, le seul moyen de vraiment améliorer l'espérance de vie est de trouver de nouveaux moyens de soigner et de guérir les maladies liées à l'âge. Et le moyen le plus efficace de le faire, c'est de retarder le processus du vieillissement.

Ce que font déjà —en quelque sorte— certaines personnes. «C'est dans l'étude génétique des individus vivant le plus longtemps, à mon avis, qu'on trouvera les technologies les plus innovantes», précise Olshansky. Des scientifiques peuvent d'ores et déjà augmenter l'espérance de vie de mouches, de vers, de souris et, sur les voies génétiques qui pourraient ralentir le processus de vieillissement et potentiellement nous protéger contre les maladies liées à l'âge, les études fascinantes ne manquent pas. «Le secret de vies plus longues est caché dans notre propre génome», conclut Olshansky.

Tout ce que vous pouvez faire

Évidemment, l'optimisme des prédictions en matière de progrès médicaux est de notoriété publique. Au moment du séquençage du génome humain, d'aucuns avaient prédit des interventions médicales personnalisées d'ici dix ans. C'était il y a douze ans.

La guerre contre le cancer est encore à gagner. Alors en attendant, faites tout ce que vous pouvez. Mangez sainement, faites du sport, soyez prudent sur la route.

Ne fumez pas et ne jouez pas avec le feu. Prenez un rendez-vous chez un dermatologue pour qu'il surveille vos grains de beauté. Êtes-vous présentement assis devant un ordinateur? Levez-vous et allez vous dégourdir les jambes.

Faites quelques exercices, tiens, personne ne se moquera de vous. A votre santé et longue vie.

Laura Helmuth

Traduit par Peggy Sastre

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