Allongement de la durée de cotisation à 43 ans, compte pénibilité, départ à 62 ans (ou pas)… et si les musiciens préfiguraient ce qui nous attend tous? Paul McCartney (71 ans), Sting (62 ans), Elvis Costello (59 ans), Roger Waters (70), Louis Chedid (65), Christophe (67 ans) et Bob Dylan (72 ans) sont toujours sur la brèche et occupent, pour des raisons diverses, l’espace médiatique cet automne.
Alors que l’on valorise la jeunesse mais starifie les seniors, nous avons dressé le bilan de carrière de ces sept artistes emblématiques. Sont-ils bons pour la retraite?
1. Paul McCartney, le papy bosseur
Âge: 71 ans
Nombre d’annuités de cotisation: 51 (fondation des Beatles en 1962, mais le cotisant peut faire valoir quelques trimestres «apprentissage» pour ses concerts avec les Quarrymen).
Actualité: New, nouvel album sorti le 14 octobre. Un disque honnête dans lequel Paul n’essaie pas de nous en mettre plein la vue. Le premier single éponyme nous offre un texte affreusement nostalgique et une mélodie à siffloter dès la première écoute. Sir Paul sait toujours faire le boulot: pas le disque du siècle, ni le testament définitif attendu par les fans, juste le disque d’un baby-boomer qui n’a absolument pas envie de s’arrêter.
CV: mauvais garçon, Beatles, gendre idéal puis beau-père idéal, Sir Paul fait aujourd’hui figure de grand-père parfait, le genre qui chante des comptines à ses petits-enfants tout en leur faisant sentir qu’ils ne pourront jamais être aussi bons que lui. C’est pas grave, on l’aime papy.
Trimestres compte double: hormis la discographie des Beatles, qui devrait compter triple? Un paquet de tubes en solo ou avec les Wings. Les jeunes snobs aduleront le récent Chaos & Creation in the backyard (2005) ou Flowers In The Dirt (1989).
Période de pénibilité: Press to Play (1986). Production datée, guitares grossières, synthés odieux, sax vulgaires, recours à l’informatique pour tenter d’améliorer la qualité de la musique. Rien pour masquer une inspiration aussi inexistante que l’éthique d’un juriste luxembourgeois.
Pris en compte dans la surcote de la pension: Ram, deuxième album solo, réévalué au début des années 2000 et censé avoir inspiré toute la planète pop anglaise.
Pris en compte dans la décote de la pension: Ram, deuxième album solo, complétement détruit par la critique au moment de sa sortie. Le public, lui, achète en masse et cherche les vannes anti-John Lennon présentes de manière plus ou moins subliminales.
Accident du travail: en 2008, Macca révèle au monde ébahi que le groupe électro expérimental The Fireman, hé bien, c’est lui! La nouvelle à la Romain Gary/Emile Ajar fait le tour des JT et les gens écoutent… Les plus fayots se pâment devant le génie expérimental de leur idole. Les autres baissent la tête et retournent à leurs iPods à la lettre B.
Bilan de carrière: peut demander la liquidation de ses droits pour bénéficier d’une retraite à taux plein. Et pas plus d’un album tous les deux/trois ans pour éviter un cumul emploi/retraite trop important.
2. Sting, le préretraité
Âge: 62 ans
Nombre d’annuités de cotisation: 36 ans (depuis la fondation de Police, mais le cotisant peut faire valoir quelques droits avec ses concerts dans différents groupes de jazz dans les années 1970)
Actualité: avec The Last Ship, on s’attendait à trouver le digne successeur de The Soul Cages (1991). De la pop, certes dépressive, mais sublime, sur fond de chantiers navals en berne et d’ouvriers au chômage. En fait, c’est une comédie musicale calibrée pour Broadway, quelque part entre Shrek et Le Roi Lion.
CV: Gordon Sumner, alias Sting, fonde Police et définit un nouveau style entre punk et reggae avec des musiciens qui jouent à contretemps. Carton mondial. En solo, enchaîne également les classiques avec sa pop jazzy et souvent mélancolique.
Trimestres compte double: …Nothing Like The Sun (1987). Deuxième effort solo qui contient le hit Englishman In New York et allie poésie et critiques politiques. Perfection.
Période de pénibilité: The Last Ship. Sting décrit de manière littérale la vie des ouvriers sur les chantiers navals. L’écriture est naturellement ampoulée et sa diction si caractéristique (qui découpe les syllabes et laisse traîner la dernière) a disparu. Tous les textes sont chantés de manière à être compris par des touristes en goguette et repris par des jeunes premiers de la chorus line. La performance vocale est indéniable mais l’émotion est ailleurs.
Pris en compte dans la surcote de la pension: The Soul Cages. Après la mort de son père, Sting évoque de façon poétique la vie d’un homme qui construit un navire. Rock, métaphysique et chavirant.
Pris en compte dans la décote de la pension: Songs from the Labyrinth (2006), qui reprend des musiques baroques de John Dowland accompagné au luth. Dans le public, on attend les rappels pour une reprise de Roxanne.
Accident du travail: Send Your Love en 2003, ou la période «orientaliste» de Sting, fréquemment entendu dans les boîtes de nuit en version remixée. Indansable et pas spécialement écoutable. Sinon, il y a une petite histoire de concert en Ouzbékistan… On n’est pas à une contradiction près.
Bilan de carrière: après quelques années d’intenses activités, monsieur Sting s’est lui-même mis en préretraite et n’en sort que pour tenter des projets qui ne ressemblent surtout pas à ce qu’il a pu faire. Il n’était pas obligé de tout publier. Doit s’inscrire à l’université du temps libre et racheter un bon paquet de trimestres pour ne pas bénéficier d’une retraite minorée.
3. Roger Waters, le monomaniaque
Âge: 70 ans
Nombre d’annuités de cotisation: 46 (depuis le premier album de Pink Floyd, The Piper at the Gates of Dawn)
Actualité: vient de terminer une tournée mondiale, The Wall: Live, qui s’est jouée à guichets fermés dans tous les stades du monde, y compris le Stade de France fin septembre.
CV: Bassiste et compositeur de Pink Floyd, Roger souffrira toujours de ne pas avoir la voix d’ange de David Gilmour, son comparse guitariste. On lui doit l’écriture de The Dark Side Of The Moon, l'un des albums les plus vendus de tous les temps.
Trimestres compte double: The Wall (1979) avec le Floyd. Un grand disque rock qui préfigure les 80s: chansons courtes, drogues dures et paranoïa aigüe.
Période de pénibilité: The Final Cut (1983), conçu comme une suite de The Wall «composée par Roger Waters et interprété par le Pink Floyd», dit la pochette.
Pris en compte dans la surcote de la pension: Amused to Death (1992), qui se révèle moins hystérique que ses précédents albums solos. Moins démonstratif aussi. Ouf.
Pris en compte dans la décote de la pension: The Pros & Cons of Hitch Hiking (1984). Ce disque à la pochette d’un goût supra douteux enchaîne les poncifs et les hurlements stridents. Impossible d’aimer vraiment cela passé 16 ans.
Accident du travail: The Wall Live In Berlin en 1990 pour célébrer la chute du Mur… avec Nina Hagen et Bryan Adams. Ou son opéra rock sur la Révolution française (Ça ira, 2005), une tragédie à la limite de l’écoutable.
Bilan de carrière: Roger a enfin pu réaliser The Wall tel qu’il l’imaginait dans les années 1980. Le spectacle valait d’ailleurs un peu plus qu’une simple «messe nostalgique» et montrait à quel point l’œuvre restait pertinente intellectuellement et musicalement. Maintenant, Roger, va falloir vraiment passer à autre chose.
4. Elvis Costello, le plein emploi
Âge: 59 ans
Nombre d’annuités de cotisation: 36 (premier disque en 1977 mais premiers concerts dans les 70s… sans doute au black)
Actualité: Wise Up Ghost, en duo avec le groupe The Roots. On dirait du (bon) Gorillaz avec une touche soul 70s en plus. L’alliance parfait du rock cool et du hip-hop encore plus cool.
CV: il débute dans le pub rock anglais et prend le pseudo d’Elvis par provocation punk. Son premier album sort naturellement en 1977. Ce génie protéiforme vampirise tous les styles musicaux. Pub rock, punk rock, pop, hip-hop… tout ce qui en ressort devient du Costello.
Trimestres compte double: Get Happy!! (1980), qui porte bien son nom.
Période de pénibilité: Goodbye Cruel World (1984), qui devait être sa retraite musicale. Tellement mauvais qu’il ne pouvait pas en rester là.
Pris en compte dans la surcote de la pension: Brutal Youth (1994). Son disque rock, un peu lourd mais brillamment interprété.
Pris en compte dans la décote de la pension: Painted from Memory (1998), avec Burt Bacharach. La rencontre pop au sommet accouche d’une souris.
Accident du travail: Sommes-nous obligés de parler de Il Sogno (2004)? Un ballet pompé sur le Songe d'une nuit d'été de Shakespeare?
Bilan de carrière: Elvis songerait à prendre sa retraite pour passer plus de temps avec sa famille, mais il n'a pas encore décidé de la date à laquelle il pourrait s'arrêter. «J'ai la responsabilité de mon bien-être et de celui de ma famille», a-t-il confié au magazine Rolling Stone. Il doit encore sortir quelques disques pour obtenir une pension complète, et c'est tant mieux.
5. Louis Chedid, la statue du Commandeur
Âge: 65 ans
Nombre d’annuités de cotisation: 40 (il peut aussi compter sur quelques trimestres supplémentaires sur ses boulots de monteur ciné ou sa participation, enfant, aux Petits Chanteurs à la croix de bois)
Actualité: 40 ans de travail, ça se fête. Surtout dans l’industrie du disque. Son vingtième album, Deux fois l’infini, est sorti début novembre. Passé l’excellent single Scoop, le reste de l’album fait figure d’une balade dans un monospace confortable et douillet. C’est chouette mais ça manque d’aspérités.
CV: des pelletées de tubes pour lui (Ainsi soit-il, etc.) ou pour d’autres (On avance pour Souchon). Succès d’estime dans les 70’s, succès tout court dans les 80’s, petit coup de mou dans les 90’s avant un retour en grâce au début des années 2000. Ses disques publiés entre 2001 et 2010 sont de pures merveilles: Chedid sait s’entourer de musiciens souvent plus jeunes qui dynamisent sa musique.
Trimestres compte double: Anne ma sœur Anne (1985), tube qui parle poétiquement de la montée de l’extrême droite et des crimes racistes en France.
Période de pénibilité: Répondez-moi (1997). L'album manque de souffle. Louis n’est pas encore le «patron» de la chanson française et tourne en rond avec les mêmes musiciens de studio. Une petite pause s’impose.
Pris en compte dans la surcote de la pension: Jeu de l’oie (1975), troisième album regorgeant de pépites acoustiques, portées par un vrai songwriting à la française. Le titre Jackpote est toujours joué en concert.
Pris en compte dans la décote de la pension: certainement Deux fois l’infini, qui va être célébré par tous. Aujourd’hui statufié, monsieur Chédid et sa descendance font consensus. Bien fait, mais franchement, peut mieux faire.
Accident du travail: ce concert du «Soldat Rose» dans lequel Papy Chedid se meut déguisé en panthère en peluche…
Bilan de carrière: le Patron peut prendre une retraite bien méritée. Doit s’arrêter avant une prochaine réforme qui pourrait le pénaliser.
6. Christophe: deux fois la médaille du travail!
Âge: 67 ans
Nombre d’annuités de cotisation: 50
Actualité: un album d’inédits collectors, Paradis retrouvé, une tournée «intime» et bientôt un nouvel album original électro-trip-hop.
CV: il poste son premier single sur YouTube en 1963, à l’époque où ça s’appelle le Golf Drouot. Il crie ensuite Aline en pleine période yéyé et se démarque rapidement de la bande en devenant un Alien composant une musique étrange: Le Beau Bizarre (1978) est le titre d’album qui définirait le mieux son œuvre. Le rock en français, c’est lui. Culte.
Trimestres compte double: pendant dix ans, à partir du milieu des années 80, il se désintéresse de la musique, disant sobrement «J’attendais que la technologie soit au point pour que je puisse enregistrer la musique que j’avais dans la tête». Ce qu’il va faire ensuite brillamment, notamment en 2007 avec le parfait Aimer ce que nous sommes, qui sublime la chanson française et le trip-hop.
Période de pénibilité: Pas vu pas pris (1980) et Clichés d’amour (1983)… A trop vouloir faire le crooner, Christophe flirte avec le ridicule. Snif.
Pris en compte dans la surcote de la pension: Samouraï (1976). Après Les Paradis Perdus, Christophe sort un album très court (30 minutes), inégal mais qui contient des morceaux incroyables comme Pour que demain ta vie soit moins moche.
Pris en compte dans la décote de la pension: Les Paradis Perdus, composé avec Jean-Michel Jarre, qui s’inspire quand même pas mal de Lou Reed et surtout de Pink Floyd.
Accident du travail: «Auprès des filles j’ai un succès fou, hou, hou»… seriné dans toutes les émissions de télé des années 1980. Et le prompteur qui l’aide parfois aujourd’hui sur scène, on en parle?
Bilan de carrière: après tellement de succès et de dérapages, difficile à dire si le prochain Christophe sera génial ou tragique (normalement, il sera génial). Doit néanmoins poursuivre son activité professionnelle: il serait un retraité beaucoup trop ennuyeux pour qu’on l’empêche de travailler.
7. Bob Dylan, le lapin Duracell
Âge: 72 ans[1]
Nombre d’annuités de cotisation: 51 ans (premier album, Bob Dylan, en 1962)
Actualité: a sorti Tempest en 2012 et s’est surtout lancé depuis la fin des années 1990 dans une tournée sans fin, qui vient de faire étape en France. Chaque soir, Dylan joue des morceaux différents et les interprète à sa manière. Parfois, c’est bien.
CV: troubadour, héros de la contre-culture des 60’s. Compositeur d’hymnes (trans)générationnels. A toujours déclenché ferveur et hystérie. On l’aime, on le déteste. Il sombre, il renaît. On prend plaisir à le haïr. Bob s’en fiche. Dylan is Dylan.
Trimestres compte double: Higway 61 Revisited (1965) ou Blonde on Blonde (1966)
Période de pénibilité: Saved ou Shot of Love (1981) —Dieu parle à Bob Dylan, mais ce dialogue aurait pu rester secret. Knocked Out Loaded (1985) est également, de l’avis général, une pure atrocité.
Pris en compte dans la surcote de la pension: Street Legal (1978). Le disque aimé uniquement par les fan de Dylan. Intéressant d’y jeter une oreille. Ou les deux.
Pris en compte dans la décote de la pension: Nashville Skyline (1969). Le barde cherche encore à changer de style et adopte une drôle de voix. Indice: il sourit sur la pochette, on doit se méfier.
Accident du travail: quand un fan de Bob Dylan s’acharne à vous faire croire que ce concert était formidable alors que bon, il ne valait pas tripette.
Bilan de carrière et recommandation: ça fait toujours un peu de peine de se rendre compte que le meilleur est derrière soi… Aujourd’hui, Dylan tourne sur lui-même. En attendant un prochain coup de génie?
Eric Nahon
NDLE: A Slate, on ne voit pas Dylan vieillir, pourtant il a bien 72 ans cette année, et non 71 ans comme indiqué dans un premier temps. Retourner à l'article