Culture

Peut-on faire un «A la Maison Blanche» français?

Temps de lecture : 5 min

Les séries politiques françaises ont longtemps peiné à trouver leur voie… Mais les scénaristes ne perdent pas espoir.

Mais qu’est-ce qui empêche la télé française de faire une bonne série politique? La question, posée et reposée mille fois depuis le lancement en 1999 de la série américaine «A la Maison Blanche», semble plus que jamais d’actualité. La politique est omniprésente sur nos petits écrans, la saga Obama et le soap Sarkozy font s’affoler les audiences, mais les fictions politiques, elles, peinent à trouver le ton juste, enchaînent les échecs et sont accusées de tous les maux: manque d’ambition, d’inspiration, de réalisme.

«Les Français aiment la politique, ils aiment les séries, donc je ne vois pas pourquoi une série politique ne les intéresserait pas», s’agace à juste titre Hervé Gattegno, journaliste au service politique du Point et scénariste optimiste, à la recherche de la bonne formule pour séduire les producteurs et les diffuseurs.

Autocensure

Encore faudrait-il que ces derniers soient prêts à être séduits. «La télévision française favorise la médiocrité, pas l’audace et la prise de risques. On a peur de gêner, de ne pas être apprécié», condamne Raoul Peck, scénariste et réalisateur de «L’Ecole du pouvoir», portrait de la promotion Voltaire de l’ENA – celle de Ségolène Royal, François Hollande et Dominique de Villepin – diffusé au début de l’année sur Canal +. La tradition française, en matière de séries politiques, souffre il est vrai d’un «syndrome Lagarde et Michard» appliqué aux séries.

L’Histoire politique, passe encore, mais l’actualité, c’est une autre paire de manches. «Remonter il y a quinze ou vingt ans, on sait faire, reconnaît Gilles Gerardin, scénariste d’Un homme d’honneur, “unitaire” sur la mort de Pierre Bérégovoy, diffusé en mai sur France 3. En revanche, la télévision préfère se tenir à l’écart de tous les sujets polémiques, par crainte ou par révérence vis à vis du pouvoir.» Pourtant, à en croire les scénaristes, aucune véritable pressions politiques ne pèse sur leurs épaules. «Les auteurs s’autocensurent, pas parce qu’ils ont peur du pouvoir en place, mais parce qu’ils ont décrété, par commodité, qu’il ne faut pas faire de fictions politiques en France», accuse Hervé Gattegno.

Aller au-delà de la politique-spectacle...

Frileuses, les séries politiques hexagonales souffrent aussi d’un déficit de réalisme criant. Quand «A la Maison Blanche» affiche clairement ses couleurs, opte pour un Président démocrate, nos gouvernements fictifs arrivent tout juste à affirmer leur camp. «La réalité américaine est bipolaire, simple, argumente Olivier Kohn, créateur de Reporters, diffusé sur Canal. En France, les étiquettes changent, et dire UMP c’est renvoyer à des individus, pas seulement à un parti. PS, Modem, ce sont des notions transitoires, qui n’ont pas la même clarté et la même résonance que Démocrates ou Républicains». Au-delà, «les scénaristes ont une vision caricaturale de la politique, ne relèvent que le “spectacle politique”, une vision fantasmée du pouvoir, qui occulte son essence, son fonctionnement intime», explique, plus sévère, Marc Abélès, anthropologue au CNRS, spécialiste du pouvoir politique.

Première visée par ces accusations, «L’Etat de Grace», diffusée sur France 2 en 2006, comédie politico-romantique sur la première femme présidente de la République, accusée d’avoir préférée la pure fantaisie au réalisme. «Travailler dans le réalisme implique un long travail d’enquête journalistique qu’on ne nous laisse pas le temps de faire, se défend Jean-Luc Gaget, son scénariste. Il faudrait pouvoir enquêter de longs mois avant de se mettre à écrire, et ça n’est souvent pas possible dans le fonctionnement qui est le notre. La fantaisie, l’humour et l’imaginaire viennent d’une certaine manière suppléer ces manques. L’idée de "L’Etat de Grace" était de montrer les coulisses du pouvoir à travers le prisme de la comédie sentimentale. Nous pensions que les codes et le rythme inhérents à ce genre étaient les meilleurs atouts pour rendre captif le spectateur sur un sujet, la politique, qui pouvait paraître à certains comme ennuyeux.»

...Sans tomber dans l'ennui

Les séries politiques seraient barbantes. L’idée a la dent dure, et explique sans doute en grande partie la crainte des diffuseurs. Faire un carton d’audience avec des débats à l’Assemblée nationale et des ministres autour d’une table? Pour Hervé Gattegno, c’est possible. «La politique est formidablement ludique dans sa réalité, s’enthousiasme-t-il. Il faut simplement aller à contre-pied de sa sacralisation à l’excès ou de la caricature sombre du pouvoir».

«La politique est tout sauf chiante», confirme Raoul Peck, qui balaye tout complexe d’infériorité vis à vis d’un imaginaire politique purement américain qui expliquerait le succès d’«A la Maison Blanche» et l’impossible déclinaison d’un tel projet dans l’Hexagone. «Le cérémonial politique français n’a rien à envier à celui des Américains, bien au contraire! Les histoires, elles non plus, ne manquent pas: pensez à ce qu’on pourrait faire du quotidien des chauffeurs des ministres, de la sécurité de l’Elysée, des réputations de coucheurs de tel ou tel ministre, etc. Même les politiciens les plus pâlots ont tout du parfait personnage de série. Le problème, c’est de les inclure dans quelque chose de percutant, de trouver la bonne forme, pas de copier les Américains…»

Quelle forme pour la future série politique française? «Quelque chose qui se rapprocherait du docu-fiction, l’idéal pour décrire la mécanique politique avec réalisme», propose Marc Abélès. «Il faut faire une fiction avec des personnages inventés, mais dans un cadre réaliste, précis, poursuit Hervé Gattegno. Ce qui doit être ressemblant, ce ne sont pas les personnages, mais le fonctionnement de la politique». Olivier Kohn préfère quant à lui citer Jean Cocteau. «Je suis un mensonge qui dit toujours la vérité», voilà quelle devrait être l’essence de la fiction politique, entre forme fictionnelle et fond réaliste.

«La fiction peut aller encore plus loin que le journalisme dans l’auscultation des coulisses et des dysfonctionnements du pouvoir, s’enthousiasme-t-il. Le but, c’est de placer la politique face à un miroir. En comprenant ses mécanismes, on finit par deviner ses tendances, son évolution.» Appliquée à «Reporters», cette recette a débouchée, mi-juin, sur une étonnante connexion entre fiction et réalité. L’intrigue principale de la série – un attentat contre des ingénieurs français suite au non-versement de commissions occultes par le gouvernement français dans une affaire de vente d’avions à l’Arabie Saoudite – s’est en effet avérée être une lecture quasi prophétique d’une piste d’enquête qui expliquerait l’attentat – bien réel – de Karachi, qui avait coûté la vie à 11 ingénieurs français en 2002…

Un changement grâce à Sarkozy?

L’heure des séries politiques serait-elle enfin venue? «La fiction politique réaliste souffre de ne pouvoir mettre en scène de vrais personnages, par peur d’attaques sur le droit à l’image, explique Raoul Peck, mais avec quelqu’un comme Sarkozy, qui met en scène sa vie privée, il va être de plus en plus difficile pour les politiciens de se plaindre d’être portés à l’écran!» Le sarkozysme, meilleur allié de ces fictions? «Son gouvernement est saturé de figures romanesques, s’amuse Marc Abélès. Pensez à ce qu’on pourrait faire d’un Eric Besson dans une série! La balle est dans le camp des scénaristes. La période leur donne du grain à moudre…»

Peu à peu, les choses semblent se décider à bouger. «Les chaînes acceptent de plus en plus de projets», reconnaît Raoul Peck, qui ambitionne pour de bon de lancer un «A la Maison Blanche français». «Il y a là un gisement inexploité», confirme Hervé Gattegno, qui comble sa «frustration» de ne pas voir de fictions politiques françaises en préparant une série sur l’Elysée. Gilles Gerardin, qui aimerait lui réaliser un unitaire sur la nuit de l’élection de Sarkozy, dite «Nuit du Fouquet’s», se réjouit de cette évolution. «Les histoires deviennent plus âpres, plus polémiques. C’est un bon signe. Reste à la fiction française d’approcher la réalité de la politique, son quotidien.» La course au «A la Maison Blanche» française peut enfin commencer…

Pierre Langlais

(Photo: The West Wing)

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