Qu'il est tentant de dresser un parallèle entre la situation d'EDF et celle de l'entreprise France SA! D'un coté, l'électricien national vient de réussir brillamment à lever, par un emprunt auprès des Français, pas moins de 3,2 milliards d'euros. Quelques jours après qu'EDF se soit jeté à l'eau, c'était au tour du chef de l'Etat d'annoncer aux députés et aux sénateurs réunis à Versailles le projet de lancer un grand emprunt national.
Difficile de comparer la logique d'une entreprise avec celle d'un Etat. Et pourtant. EDF, dans sa campagne destinée à réveiller l'ardeur des épargnants, a justifié son emprunt par son besoin de financer l'avenir, à savoir ses investissements en France dans les dix à quinze prochaines années. Cette année, EDF, dans le seul Hexagone, a prévu, pour rattraper plusieurs années de sous investissement, d'augmenter de 44% ses efforts qui atteindront 7,5 milliards d'euros. Ce sont donc 2,3 milliards de plus qu'en 2008. Et 4 milliards de plus qu'en 2007. Des montants qui n'ont rien de surdimensionné comparés aux besoins. A lui seul, l'EPR de Flamanville devrait coûter 4 milliards d'euros, soit 20% de plus que les 3,3 milliards prévus en 2005.
De son coté, Nicolas Sarkozy, pour présenter son emprunt, n'a pas recouru à d'autres arguments: l'Etat, a expliqué le président de la République, va faire appel aux français pour financer les priorités nationales d'avenir. Sans donner plus de précision pour l'instant sur la destination de cet argent. Recherche, technologies, savoir, école, développement durable? Pas moins de deux anciens Premiers ministres, Michel Rocard et Alain Juppé, vont plancher sur le sujet, faire le tri, et tenter de dégager un consensus national.
Que de similitudes entre ces deux situations. A commencer par le constat que tant EDF que l'Etat disposent de bien d'autres solutions de financement, plus faciles et moins onéreuses, que l'emprunt auprès des particuliers. Aucun des deux n'a de problème pour trouver des capitaux sur les marchés.
Des situations financières difficiles
Une autre comparaison mérite d'être faite. Elle concerne la justification de l'emprunt et l'affectation des capitaux récoltés. Si EDF et l'Etat disent que l'argent levé servira à financer l'investissement, il n'est pas vain de se demander s'il ne servira pas surtout à boucler des fins de mois difficiles.
La situation financière d'EDF est très tendue. Si ses activités à l'étranger s'autofinancent, en France, à moins de trouver des ressources supplémentaires, EDF risque de connaître de grosses difficultés à partir de 2012 en raison des coûts de maintenance de son appareil de production qui a beaucoup vieilli, de l'entretien de ses réseaux et du service de sa dette. Celle-ci a bondi de 50% rien qu'en 2008, pour atteindre 24,5 milliards d'euros après les acquisitions de British Energy et le projet de rachat d'une partie des actifs nucléaires de l'américain Constellation.
La situation financière de l'entreprise France est encore moins brillante. Le déficit public devrait représenter plus de 7% de la richesse produite cette année tandis que la dette nette s'est alourdie de plus de 37 milliards d'euros par rapport à la fin 2008 pour représenter 1.233 milliards. A ce rythme là, la dette de la France pourrait bien représenter 88% de son PIB en 2012.
Un emprunt pour quoi faire?
Alors, un emprunt pour quoi faire ? La tentation sera très forte - on l'a constaté avec les vœux formulés par plusieurs ministres - d'utiliser le produit de cette souscription nationale pour financer les petits projets des uns ou des autres, ou pire les dépenses de fonctionnement de l'Etat plutôt que de le réserver aux dépenses d'investissement.
Dans ce contexte, l'appel du pied de Pierre Gadonneix pour obtenir un relèvement des tarifs de l'électricité en France de 20% sur les trois ou quatre prochaines années prend une coloration un peu inquiétante. A peine son emprunt réussi au delà de toutes les espérances, le président d'EDF fait déjà savoir qu'il sera nécessaire de relever ses tarifs - il est vrai bloqués depuis des années - pour tenir son budget.
Curieux signal tout de même, tant dans son contenu que dans son tempo, qui revient à dire que, qu'elle qu'ait été l'ampleur du succès de l'emprunt lancé par EDF auprès des Français, il ne suffisait de toute façon pas à résoudre l'équation financière de l'entreprise.
Que fera l'Etat?
ll serait abusif de transposer cette situation à celle de l'Etat. Si le projet de grand emprunt annoncé par Nicolas Sarkozy suscite pour l'instant beaucoup de scepticisme, il faut espérer qu'il aura le mérite de lancer un large débat destiné à faire prendre conscience à l'opinion de la distinction entre ce que doit être une bonne dépense publique pour préparer l'avenir et ce qu'est une mauvaise dépense fonctionnelle de l'Etat à proscrire.
Restera à ne pas anéantir les enseignements tirés de ce débat. Par exemple en décidant, une fois le grand emprunt national levé, de se résigner à augmenter l'impôt plutôt qu'à accentuer l'effort de réduction des charges de fonctionnement de l'Etat. Un peu comme EDF qui, avant de réclamer un peu vite une augmentation aussi conséquente de ses tarifs, devrait d'abord démontrer sa détermination à réduire ses coûts et améliorer sa productivité.
Philippe Reclus
(Photo: La centrale nucléaire de Bugey, REUTERS/Robert Pratta)