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Attaque de Nairobi: al-Qaida va-t-il cesser de ménager Israël?

Temps de lecture : 4 min

Paradoxalement, l'organisation n'a jamais voulu affronter frontalement l'État juif, mais celui-ci voit dans la dernière opération des shebab somaliens une évolution de sa doctrine.

Un panneau pointant le centre commercial de Westgate à Nairobi. REUTERS/Karel Prinsloo.
Un panneau pointant le centre commercial de Westgate à Nairobi. REUTERS/Karel Prinsloo.
En attaquant via une de leurs «filiales», les shebabs somaliens, le centre commercial Westgate à Nairobi (Kenya), construit par un consortium de sociétés israéliennes et comprenant plusieurs commerces tenus par des Israéliens, al-Qaida a-t-elle voulu envoyer un message à Israël?
En douze ans passés depuis le 11-Septembre, la nébuleuse terroriste a sonné l'arrêt de la domination américaine dans les pays arabo-musulmans. Elle a essaimé des grottes de Tora-Bora à des zones en décomposition telles que l’Irak, le Yémen, la Syrie, où elle a détrôné l'opposition dite «modérée», le Maghreb, le Sahel ou encore, comme les derniers évènements viennent de l'illustrer, la corne de l’Afrique.

Mais paradoxalement, al-Qaida n’a jamais voulu affronter frontalement Israël, comme si elle reconnaissait sa suprématie, alors que l'organisation a pourtant laissé son empreinte sanglante sur de nombreuses capitales, de Bali à Djerba en passant par Istanbul, Londres ou Madrid.

Passivité ou opportunisme?

Cette passivité visant Israël s’explique d’abord par la volonté d’al-Qaida d’éviter des représailles de la part d’un État réputé pour punir les actions terroristes contre ses intérêts.

Une autre thèse affirme que l'Etat juif a pris de fortes mesures de protection: le Mossad aurait recruté des agents issus de différents pays arabes (Algérie, Maroc et Yémen), qui auraient reçu un entrainement militaire et d’espionnage pour être ensuite infiltrés parmi les combattants d’al-Qaida. Leur mission consisterait à informer Israël sur la préparation d’attentats contre les intérêts juifs.

En revanche, al-Qaida a mené des opérations «intermédiaires», par exemple en cherchant à provoquer une guerre entre le Hezbollah et Israël: les djihadistes ont envoyé des roquettes sur le territoire israélien pour porter préjudice au mouvement chiite, impliqué dans la guerre en Syrie. Une provocation qui avait pour objectif de provoquer une montée de la tension à la frontière libano-israélienne en faisant couler le sang, mais qui n'a pas abouti, Israël refusant de se laisser entraîner dans une confrontation.

La stratégie opportuniste d'al-Qaida misait aussi sur une confrontation entre les États-Unis et Israël contre l’Iran sur le problème nucléaire. En effet, l’Iran serait alors contraint de ne plus exercer son contrôle sur la Syrie et sur le Liban, laissant les mains libres à l'organisation dans ces deux pays.

«S’élever et se tenir debout»

Détaillant en 2005 la stratégie de son mouvement, Abou Moussab al-Zarqaoui, le responsable d'al-Qaida en Irak, mort en juin 2006, avait distingué trois phases dans son projet d’établissement en vingt ans d'un califat islamique. La première, «l'éveil», a commencé le 11 septembre 2001. La seconde, «ouvrir les yeux», en 2003 avec l'entrée des troupes américaines en Irak: l'objectif de l'organisation terroriste consistait alors à recruter de nouveaux djihadistes pour défendre la cause.

Nous sommes censés vivre la troisième phase: «s’élever et se tenir debout». al-Qaida, qui avait longtemps négligé le problème palestinien, s’en est emparé en en faisant la question centrale de son projet, afin d'obtenir le soutien de certains pays musulmans et sa reconnaissance comme puissance incontournable avec qui il faut négocier.

L'objectif de cette phase n'est pas de s'en prendre directement à l’État d’Israël, mais d'organiser son encerclement à travers les pays voisins. L’Égypte a été la première touchée, avec des attaques de touristes israéliens en 2004 dans le Sinaï puis en 2005 à Charm el-Cheikh, qui entérinèrent la présence d’al-Qaida dans le pays. L'organisation s’est ensuite installée en Jordanie, où elle s’est fait remarquer par des attentats contre trois hôtels d’Amman.

Puis, elle a profité du retrait d’Israël de Gaza pour installer ses agents dans la bande, notamment avec l'enlèvement de Gilad Shalit en 2006, dont une des organisations responsables était «l'Armée de l'islam». Le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, avait reconnu la même année la présence d'al-Qaida à Gaza et en Cisjordanie et avait mis en garde contre la «destruction de l'ensemble de la région» par l'entité terroriste.

Les groupes djihadistes présents sur place gagnent en réputation et en force et se consolident en raison de l’échec du Hamas à changer la vie des Palestiniens à Gaza. Leur réputation se diffuse à l’étranger: près d’une dizaine de Français les ont rejoints à Gaza pour combattre Israël, les armes à la main, sous le flambeau de «la défense de la mosquée al-Aqsa de Jérusalem».

Nouvelle doctrine

al-Qaida a réussi à compléter l’encerclement d’Israël en développant sa présence en Syrie et au Liban. Dans le pays du Cèdre, le succès du groupe terroriste Fatah al-Islam, qui s’est opposé militairement à l’armée libanaise, a consacré sa présence dans le camp palestinien de Nahr El-Bared. Le chef du Fatah al-Islam, Abou Muayed, a immédiatement annoncé la couleur en déclarant: «Nous sommes ici pour libérer Jérusalem». Un slogan évidemment conçu pour rassembler large.

En Syrie, Israël n’a pas cessé, grâce à ses commandos envoyés sur place, de garder l’œil sur les terroristes, notamment pour surveiller la dissémination de l’armement chimique, et s'est opposé dès le début à toutes frappes occidentales parce qu’elles ne pouvaient que consolider la mainmise djihadiste.

Pour l’instant, cette stratégie d'al-Qaida consistant à infiltrer les pays voisins d’Israël a fonctionné. En attendant la quatrième phase: l’instant propice pour agir contre la sécurité du pays et contre la paix de la région.

Israël voit en effet dans l’assaut de Westgate une évolution de la doctrine d’al-Qaida tendant à éviter la confrontation directe. Jusqu’à présent, l'organisation sous-traitait ses opérations, comme les tirs de missiles, à des groupuscules islamistes de Gaza ou du Sinaï, en particulier le Jihad islamique, ou évitait le contact direct en organisant des attentats aux colis piégés ou des frappes rapides de quelques miliciens contre des cibles israéliennes à la frontière égyptienne.

Elle change à présent de braquet. Elle a décidé d’utiliser de gros moyens pour marquer les esprits et parce qu’elle a acquis de l’expérience sur les différents champs de bataille, la Syrie en particulier. Elle internationalise le conflit avec Israël en impliquant des miliciens de plusieurs nationalités et organise des commandos militaires lourdement armés dans des opérations de grande envergure contre les intérêts israéliens.

Elle veut forcer Israël à se déployer à l’étranger, là où il est le plus vulnérable, et n’hésite plus à le provoquer d’armée à armée après avoir mis en place un encerclement autour de lui. L’État juif a capté le message, au point d'avoir envoyé rapidement des conseillers mettre un terme à l’audace des terroristes.

Jacques Benillouche

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