Tout le monde le répète, mais ce n’est malheureusement pas faux pour autant: la question rom risque fort d’être au centre des prochaines campagnes électorales. D’ores et déjà, plusieurs candidats aux élections municipales se sont emparés du problème pour tenter de gagner la faveur des populations locales. Les Roms ne seraient que 20.000 à séjourner sur le territoire d’après les estimations du ministre de l’Intérieur. Pas moins de 70% des sondés se déclarent cependant «préoccupés par la présence des Roms en France».
La tentation d’exploiter politiquement cette inquiétude de l’opinion ne date pas d’aujourd’hui. On se souvient du discours de Grenoble de Nicolas Sarkozy ciblant explicitement les Roms en 2010. Chose rare chez lui, l’ancien chef de l’Etat a même fini par le regretter. Ce mea culpa n’empêche pourtant pas la droite de glisser à nouveau sur la pente d’une surenchère au détriment de cette communauté.
Il est symptomatique qu’une personnalité comme Nathalie Kosciusco-Morizet, qui faisait il y a peu profession de combattre le FN, s’en prenne globalement aux «Roms» accusés de «harceler les Parisiens». Anne Hidalgo, son adversaire socialiste à Paris, a vertement critiqué ces propos tout en croyant bon d’ajouter que «Paris ne peut pas être un campement géant» pour les Roms. Marine Le Pen va, bien entendu, plus loin encore en jugeant que le «véritable enfer» que représenterait leur présence risque tout bonnement de conduire à la «guerre civile». Le concours de la dénonciation de cette population ne fait que commencer.
L’état de droit impuissant
La question des Roms s’invite avec insistance dans le débat public parce qu’elle révèle, à sa manière, bon nombre de problèmes qui hantent notre pays. Un premier est celui de la difficulté, pour l’Etat, à faire respecter la légalité. C’est bien l’installation sauvage de campements roms qui est rejeté. Selon le sondage abusivement exploité par Valeurs Actuelles, si 86% des personnes interrogées se déclarent opposées à une installation à proximité dans un campement prévu à cet effet, ils ne sont plus que 44% d’opposants à un camp de Roms légal.
Or l’opinion est aussi agacée par la lenteur avec laquelle les pouvoirs publics démantèlent les camps illégaux, soumis qu’ils sont à la lourdeur des procédures voire à l’ingéniosité des Roms, que par l’inefficacité de ces mesures.
On ne résout pas le problème, on le déplace, c’est le cas de le dire. A peine le camp de Lille-Sud est-il totalement évacué que des regroupements de Roms surgissent à proximité. D’où le désarroi de nombreux maires qui fait écho à l’exaspération de leurs administrés.
L’intégration impossible
La circulaire du 26 août 2012 qui avait pour ambition de proposer des solutions d’insertion aux Roms délogés est, pour l’essentiel, restée lettre morte. La faute n’en revient pas exclusivement aux pouvoirs publics. Manuel Valls a choqué en pointant les limites des «villages d’insertion» expérimentés ici ou là:
«Cela ne peut concerner qu'une minorité car, hélas, les occupants de campements ne souhaitent pas s'intégrer dans notre pays pour des raisons culturelles ou parce qu'ils sont entre les mains de réseaux versés dans la mendicité ou la prostitution.»
Ce constat a pourtant été fait par de nombreux élus locaux, y compris de gauche. «La majorité d’entre eux n’a pas une vraie volonté de s’intégrer», confie Jean-Paul Bret, le maire socialiste de Villeurbanne. Louis Souchal, qui a supervisé un ambitieux programme d'intégration des Roms pour la ville de Nantes, reconnaît l’erreur d’avoir cherché à intégrer toutes ces familles, une petite minorité seulement ayant un «projet de vie» en France.
L’immigration délinquante
Si les Roms ravivent ainsi, jusqu’à la caricature, la difficulté de la France à intégrer ses populations d’origine immigrée, ils braquent aussi crûment le projecteur sur les liens si souvent suggérés entre immigration et délinquance. Sur ce sujet délicat, la dénégation naïve est en vive concurrence avec l’amalgame le plus cynique.
Dans le cas des Roms, il ne fait hélas guère de doute qu’une partie de ceux qui séjournent en France —et qui ne sont nullement représentatifs de la communauté Rom des pays de l’Est dans son ensemble— sont versés dans toute une série de trafics, allant de la mendicité organisée à la prostitution en passant par différents types de vols.
Ces réalités suscitent d’autant plus de frayeur que la méfiance envers les «romanichels» reste ancrée dans la mémoire populaire. L’encyclopédiste Edme-François Mallet évoquait, au XVIIIe siècle, ces «vagabonds» qui «rôdent çà et là, et abusent le peuple sous prétexte de dire la bonne aventure et de guérir les maladies, font des dupes, volent et pillent dans les campagnes». Marine Le Pen a bien noté que la crainte des Roms, parfois installés dans des zones de faibles immigration et criminalité, pouvait permettre à son parti d’élargir son audience.
L’Europe déséquilibrée
La question rom met également en cause l’Europe. De deux choses l’une. Si la Roumanie —dont est issue la majorité des Roms venus en France— ne respecte pas les droits de cette minorité et se montre coupable de discriminations à son endroit, on ne comprend pas ce qu’elle fait dans une Union européenne dont elle ne respecterait pas les valeurs. Mais si tel n’est pas le cas, on ne voit guère les raisons d’accueillir en France une population démunie massivement venue d’un autre pays de l’Union.
Au-delà des trafics qui reposent sur des aller et retours, la présence de nombreux Roms relèvent plutôt d’une sorte d’immigration économique basique. La pauvreté dans un pays riche offre plus d’opportunités. Là encore, les règles européennes sont de la partie.
La liberté de circulation et d’établissement est l’un des grands principes de l’Union. La disparition, en 2014, des restrictions qui limitaient les droits des citoyens roumains et bulgares n’ira pas sans risques dans une Europe aussi hétérogène économiquement.
L’enfer, c’est l’autre
Le triste sort des Roms met enfin en lumière un terrible contraste entre les grands discours qui font l’apologie de la diversité et un rejet de l’altérité qui s’exprime de plus en plus violemment dans la société. Le collectif national des droits de l’homme Romeurope a fort à faire pour combattre les préjugés les concernant au moyen d’une simple brochure.
La peur de l’étranger au mode de vie si différent ne peut qu’être profonde dans une société angoissée par la crise, souffrant déjà de la petite délinquance et d’une piètre intégration des populations d’origine immigrée. Les responsables politiques devraient pourtant rappeler tout ce que les Roms, venus d’Inde en Europe dès le Moyen-Age, ont enduré au cours de leur histoire.
De leur persécution en France ou en Allemagne dès cette époque lointaine à leur mise en esclavage en Roumanie jusqu’au génocide nazi, peu d’épreuves leur auront été épargnées.
Ces malheurs ont conduit les Roms à se replier sur eux-mêmes, pour reprendre un expression galvaudée qui prend ici tout son sens. Leur singularité culturelle, préservée par réaction, a contribué à les isoler. En outre, plus on se sent rejeté et plus on risque de développer des comportements asociaux. Ce n’est assurément pas sur les tréteaux d’une campagne électorale que l’on trouvera les voies et moyens de résoudre un problème aussi douloureux et complexe.
Eric Dupin