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La reconversion des églises québecoises, un modèle pour la France?

Temps de lecture : 6 min

Réaménager les édifices religieux en bibliothèques, en cantines populaires ou en salles de spectacle permet de sauvegarder le patrimoine et de conserver ces bâtiments à des usages publics.

Dans le Mile End à Montréal, une église reconvertie en bibliothèque (Clément Baudet).
Dans le Mile End à Montréal, une église reconvertie en bibliothèque (Clément Baudet).

MONTRÉAL (Québec)

Tous les vendredis, c'est l'attraction du quartier: le sous-sol de l'église Très-Saint-Rédempteur de Montréal accueille... des combats de lutte. Ce soir, une centaine de familles attendent devant le parvis de l'église pour assister au championnat Serge-Saumon organisé par l'ICW Wrestling, avec un très attendu combat Bulldozer vs. Spoiler.

L'entrée est gratuite, mais si tu ne veux pas passer pour un cheap, tu payes 2 dollars canadiens (un peu moins de 1,5 euro) pour une chaise. L'assurance de pouvoir goûter à l'ambiance survoltée de ce spectacle familial où tout le monde crie autour du ring, avec chips, hot-dogs et bières vendus par la buvette improvisée. À la fin des combats, sur les marches de l'église, c'est la quête comme le dimanche à l'étage, «pour financer la paroisse...», m'explique Hugo, 20 ans, un des jeunes montés ce soir sur le ring.

Au Québec comme dans le reste des pays occidentaux, le constat est difficile à accepter pour l'Église catholique: de moins en moins de fidèles se rendent aux offices et la faible fréquentation rend compliqué d'assumer les coûts de fonctionnement et d'entretien des lieux de cultes. «On dénombre aujourd’hui encore 2.200 lieux de culte actifs, mais ils semblent tous, à terme, mena­cés de fermeture. La décroissance est très rapide», précise Luc Noppen, titulaire de la chaire de recherche du Canada en patrimoine urbain à l'Université du Québec à Montréal (UQAM).

Au Québec, contrairement à la France, les églises sont la propriété des paroisses. Et lorsque ces dernières fusionnent ou ferment, elles se retrouvent en vente. Selon une enquête de 2010 réalisée par la Chaire de recherche du Canada en patrimoine urbain, depuis le début du XXe siècle, plus de 240 églises ont été vendues à Montréal, dont 70 ont été démolies, et le mouvement s'accélère.

Entre 250.000 et 500.000 dollars

Les prix varient considérablement. «Plusieurs facteurs jouent lors de la négociation du prix de vente: la destination future du bâtiment, son état physique, le type d’acheteur, etc.», précise Lyne Bernier, doctorante au sein de chaire de recherche du Canada en patrimoine urbain de l'UQAM. Comptez entre 250.000 et 500.000 dollars en moyenne pour vous offrir une église à Montréal.

La situation de la mégalopole québécoise est très différente du reste du Québec par sa diversité cultuelle et culturelle: «À Montréal, les lieux de culte fer­més par les traditions religieuses historiques sont, dans 60% des cas, cédés à de nouvelles traditions issues de l’immigra­tion, surtout évangélistes», analyse Luc Noppen. Une association sikhe investit l'église anglicane All Saints quand l'Église adventiste du septième jour utilise l'ancienne église Saint-François-Solano.

La Trinity United Church de Montréal est occupée depuis 1974 par l'association internationale pour la conscience de Krishna.

Mais les études démontrent que ces groupes religieux n'ont pas véritablement d'intérêt pour le patrimoine ecclésial: «Ils utilisent les églises désaffectées, acquises à bas prix, pour un usage strictement fonctionnel, en attendant de construire un nouveau lieu de culte mieux adapté à leurs besoins et auquel ils puissent mieux s’identifier. L’église ancienne qu’ils reprennent est à leurs yeux une solution tempo­raire», constate le chercheur.

Deuxième catégorie d'acheteurs: le secteur privé. Les promoteurs immobiliers lorgnent de plus en plus sur ces bâtiments vides qui peuvent être reconvertis en appartements ou simplement détruits pour laisser place à de nouvelles constructions. Mais les démolitions, coûteuses et difficiles à accepter par les habitants, se font rares et la reconversion est toujours privilégiée.

Reprises par la société civile

Elle se fait parfois à but lucratif. À Gatineau, l'église St. James accueillera bientôt un magasin de meubles de luxe. Dans le quartier du plateau à Montréal, l'église Saint-Jude a récemment été reconvertie par un jeune architecte en spa finlandais et salle de sport, tandis que l'église Saint-Jean de la Croix abrite désormais des appartements de luxe.

Face à cet appétit du secteur privé, de nombreuses initiatives cherchent à favoriser la reprise des églises par la société civile. «Ces bâtiments sont importants car ils sont liés à la manière dont le fait religieux est inscrit dans la culture du Québec. Nous avons les moyens de les conserver et de les convertir à d'autres usages, toujours au service de la collectivité», défend Luc Noppen.

Difficile en effet de toucher aux églises sans raviver et bousculer la question de l'identité québécoise. En 2012, un documentaire, Ne touchez pas à mon église, donnait d'ailleurs à voir la mobilisation des habitants du petit village de Saint-Camille face au destin précaire de leur église.

À Montréal, depuis 1993, la bibliothèque du quartier du Mile-End occupe l’ancienne église Church of the Ascension, construite en 1910, et dont le plafond en bois, les arches et les vitraux ont été conservés. Depuis 2002, l’organisme Chic Resto Pop occupe elle l’église Saint-Mathias-Apôtre, dans le quartier populaire Hochelaga-Maisonneuve.

Acheté pour la somme de 300.000 dollars, le bâtiment est utilisé à 100% par ces Restos du cœur made in Québec. Cette entreprise d'insertion sociale sert chaque jour plus de 1.400 repas dans la nef de l'église transformée en cantine populaire. Les sous-sol hébergent les cuisines et les bureaux administratifs sont logés dans le presbytère adjacent.

«Une autre manière de communier»

«On mange dans l'église maintenant, c'est une autre manière de communier», lance Jacynthe Ouellette, directrice générale du Chic Resto Pop. Une reconversion qui perpétue selon elle le message de charité chrétienne:

«De nombreuses personnes qui viennent manger ici ont été baptisées ou se sont mariées dans cette église, elles y ont vécu des choses.»

Dans le quartier Ville-Marie, l'église Saint-Brigide de Kildare est elle aussi en pleine reconversion. Elle devrait accueillir d'ici quelques années une compagnie de cirque, une crèche, des logements sociaux pour SDF et un centre d'hébergement pour jeunes fugueurs. «Nous avions besoin d'espaces et les églises en ont! C'est un lieu de culte qui devient un lieu de culture. Le théâtre, c'est un lieu de rassemblement», explique Gervais Godreau, codirecteur artistique de la compagnie de théâtre Le Carrousel, qui fait aussi partie de ce projet financé par le ministère de la Culture.

L'église Saint-Brigide de Kildare (Yoakim Bélanger)

«Pour protéger ce patrimoine architectural, il nous faut inventer d'autres modèles, et surtout d'autres propriétaires, car l'État et les pouvoirs publics n’achèteront pas les églises lorsque les paroisses disparaîtront», ajoute Luc Noppen. C'est pourquoi le chercheur a fondé la Société des Cents Clochers, un clin d'oeil à l'expression «la ville aux cent clochers» attribuée à Mark Twain lors de sa visite à Montréal en 1881.

L'objectif? Trouver de nouveaux usages appropriés aux églises et gérer l'entretien, qui restera coûteux pour les associations qui s'y installent.

En France, un phénomène encore marginal

En France aussi, les églises se retrouvent parfois en vente et font la une des journaux: une église à Vierzon lorgnée par une association musulmane, une chapelle à Nantes transformée en show-room de prêt à porter, une église convoitée par la chaîne de restauration rapide KFC... Pourtant, ce phénomène de reconversion reste encore marginal.

Juridiquement, la loi de séparation de l'Église et de l'État de 1905 rend les communes propriétaires des églises et responsables de l'entretien ainsi que de la rénovation (sauf les cathédrales, qui relèvent de la responsabilité de l'Etat). La loi d'affectation de 1907 affecte à perpétuité ces bâtiments au culte.

Le maire n'a donc aucun droit de regard sur l'usage de l'église, dont seul le prêtre ou l'évêque sont décisionnaires. À moins de désaffecter l'église: une procédure de plus en plus courante qui implique une demande du maire auprès de l’évêque, suivi d'un décret du préfet pour que la commune puisse vendre l'église librement.

«Dans 95 % des cas, l’évêque accepte la demande de désaffactation. Et elles vont augmenter car il y a moins de prêtres et de moins en moins de pratiquants», précise Maxime Cumunel, délégué général de l'Observatoire du patrimoine religieux, une association de sauvegarde du patrimoine cultuel.

«C'est pire que le problème des retraites»

«C'est pire que le problème des retraites. En France, c'est 40.000 églises dont il va falloir s'occuper dans les décennies à venir», renchérit Luc Noppen. D'ici 2030, entre 5 et 10% de celles qui appartiennent encore à l'État pourraient disparaître, selon l'Observatoire du patrimoine religieux.

Depuis plusieurs années, l'agence Patrice Besse propose à la vente, églises, chapelles et presbytères. Pour le moment, elle vend une à deux églises par mois, dans des petits villages de province essentiellement:

«Ça intéresse souvent des gens dans le milieu du spectacle ou de la culture. Les deux dernières églises ont été achetées par un pianiste et un chanteur lyrique. Ça devient des lieux de culture qui vont rester ouverts au public.»

Mais ces édifices restent des lieux complexes à chauffer et à réaménager. La crise des finances publiques et la désaffection des fidèles pousseront peut être l'Église et l'État à imaginer d'autres modèles, d'autres propriétaires et d'autres usages aux milliers de clochers de l’Hexagone.

Clément Baudet

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