France

Le poids de la tradition des cartables trop lourds

Temps de lecture : 6 min

Le code du travail protège les salariés concernant le poids de charges qu’ils doivent porter. La circulaire ministérielle limitant le poids des cartables scolaires n’est toujours pas appliquée. Alors pourquoi les profs font-ils la sourde oreille?

Dans une école de Marseille, en 2012. REUTERS/Jean-Paul Pelissier
Dans une école de Marseille, en 2012. REUTERS/Jean-Paul Pelissier

Il fait son retour à chaque rentrée. Le trop gros cartable bourré de livres collé sur le dos d’un sixième poids mouche, ce cartable trop large qui semble tirer vers le bas les écoliers du primaire. Sujet trivial, un peu trop «vie pratique» pour intéresser les grands spécialistes de l’éducation des grands journaux, mais qui provoque une indignation sempiternelle chez deux catégories d’adultes: les parents et les kinés.

Selon les kinésithérapeutes, un enfant ou un adolescent ne peut porter un sac équivalent à plus de 10% de son poids sans faire courir un risque à sa jeune colonne vertébrale. Par exemple, si votre fils de 29 kg porte quotidiennement un sac de 7 kg, son dos risque d’en souffrir à court et à long terme. C’est entre 8 ans et 15 ans que le dos est le plus fragile et, des études scientifiques l’ont montré par l'imagerie (IRM), que les risques de lésions du disque intervertébral sont réels.

Avant cela, les problèmes se manifestent par des douleurs liées aux contractures musculaires au niveau du cou et du dos. Et ne croyez pas à des solutions du type cartable à roulettes, il est fortement déconseillé par les kinés car ce cartable est en lui-même bien plus lourd qu’un cartable classique et l'enfant devra tout de mêle le porter pour monter les escaliers de son école.

La circulaire officielle du ministère de l’Education sur le poids des cartables, qui date de 2008, préconise clairement de s’en tenir à la règle de 10% du poids du corps. Pourtant, s’alarme Frédéric Srour, administrateur du syndicat national des masseurs kinésithérapeutes et rééducateur, «tous les jours, dans toutes les écoles de France, cette règle est bafouée» et il y a peu de recours face au problème du gros cartable:

«Si le code du travail protège les salariés notamment concernant le poids de charges qu’ils doivent porter, aucun code ne protège le dos de l'enfant lorsque la circulaire ministérielle n'est pas respectée.»

Une campagne de santé publique a déjà été lancée, elle s’appelle M’ ton dos (le M majuscule pour aime semble très en vogue quand on s’adresse au jeune public, on peut au passage se demander si un slogan rédigé en français normal ne pourrait pas être tout aussi efficace). M’ Ton Dos est un programme de prévention et de sensibilisation défendu par des professionnels de la santé et soutenu par des parents d'élèves. Il a déjà reçu la caution de certaines agences régionales de la santé. Frédéric Srour ajoute qu’une campagne de visites gratuites chez les kinésithérapeutes va être organisée par le SNMKR et la FCPE du 23 septembre au 5 octobre… Bon à savoir en cas de soupçon de scoliose.

Comment ne plus en avoir plein le dos?

Pour les kinés, la solution c’est donc… d’éduquer. Eduquer les parents, éduquer les enfants, éduquer les enseignants. Une éducation «vertébrale» qui aurait pour principale vertu de prévenir les problèmes de dos de la population scolaire et de la population en général. Il faut aussi savoir que la position assise prolongée, devant un ordinateur par exemple, est néfaste pour le dos. D’ailleurs est-ce que vous vous tenez bien droit au moment où vous lisez ces lignes?

Pour Frédéric Srour, il faut absolument rabâcher les bons conseils de postures aux enfants et aux ados et limiter le temps d’écran, il faut aussi bien entendu aussi faire du sport et, pour revenir au cartable, vous l’aurez compris, l’alléger au maximum.

De ce point de vue, les technologies pourraient contribuer à régler le problème et les kinés sont les plus grands partisans des tablettes et des manuels. Pour la FCPE, principale fédération de parents d’élèves, les tablettes sont aussi –et à l’évidence– la solution du futur. Encore faudrait-il qu’elles soient suffisamment robustes, que leurs contenus soient vraiment au point, mais c’est une autre histoire.

En attendant, les cartables restent lourds, trop lourds, et la FCPE bat le rappel sur le sujet tous les mois de septembre depuis des décennies. Le communiqué de rentrée sur le sujet est une véritable institution pour la fédération. Paul Raoult, son président, cite un article de son prédécesseur historique, Jean Cornec (en poste de 1956 à 1980) à ce sujet. Il date de… 1968! 45 ans à répéter la même chose, c’est long. Alors pourquoi les profs font-ils la sourde oreille?

Pour Paul Raoult, c’est parce qu’ils ne se sentent tout simplement pas concernés ou du moins parce qu’ils pensent toujours que c’est aux enseignants des autres disciplines de faire des efforts et non à eux. Pour un autre kinésithérapeute, père de famille nombreuse, il n’est pas certain que les enseignants soient confrontés en direct à la souffrance de leurs élèves quand les cartables sont trop lourds, ce sont les parents qui sont en première ligne et le courant passe parfois mal entre l'école et les familles. La question n’est donc pas souvent abordée dans leurs rencontres, les uns et les autres sont davantage focalisés (et angoissés) par les résultats des élèves.

Du côté des profs, le propos est évidemment plus mesuré: la situation progresse, certes lentement mais indéniablement et on nie ne pas s’intéresser à la santé des élèves. Il y a une vraie évolution depuis 15 ans. Ainsi Vincent Bellegueule, professeur d’anglais syndiqué (Snes) ne demande pas systématiquement le manuel. C’est surtout pour les sixièmes (vous savez, ceux qui pèsent 29 kg) que c’est compliqué remarque-t-il. Les petits de 11 ans veulent bien faire et ont souvent tendance à mettre tous leurs livres dans le cartable de peur de commettre une erreur. Au collège, il faut apprendre à s’organiser.

Ce qu'il y a derrière le cartable

Pour les tablettes, il faudra être patient. Vincent Bellegeule se méfie du discours un peu «magique» de son ministre sur le numérique: «Cela ne va pas arriver d’un coup et cela ne réglera pas tout les problèmes.» La vraie bonne solution semble donc indéniablement que des jeux de manuels supplémentaires restent dans les salles de classe. Cette solution fonctionne très bien quand elle est mise en place.

Hélas, les finances de l’Education nationale ne sont pas infinies et la dotation nationale pour les manuels (au collège, c’est l’Etat qui finance les livres scolaires) est en baisse ces dernières années. Dommage pour les cartables.

Et puis, bien sûr, il faut dire un mot des casiers (oui, comme dans les séries américaines!) qui semble une solution de bon sens. Rares sont les établissements qui en possèdent, faute de place car ce système a rarement été anticipé par l’architecture scolaire, les chefs d’établissement craignent aussi des problèmes de vandalisme, vols etc.

Le philosophe et historien de l’éducation Claude Lelièvre raconte que lorsqu’il était psychopédagogue en 1980, on disait dans les formations qu’il suivait qu’on «pourrait juger de l’intérêt réel des enseignants pour les élèves dans leur globalité quand le poids des cartables aurait décru».

Nul n’ignore que métier d’enseignant n’est pas (plus) très valorisé de nos jours, il s’exerce souvent difficilement, et pas seulement dans les zones d’éducation prioritaire. Cela explique peut-être pourquoi la demande de matériel –de matériel bien précis: grand cahier à petits carreaux, classeurs rouge, vert, chaque prof a ses exigence– reste un motif d’étonnement pour les néophytes du collège. Organiser le travail de sa classe dans sa discipline est une prérogative jalousement conservée par les profs. C’est même un des marqueurs de leur fameuse autonomie pédagogique. Pour Paul Raoult, cela les rassure, d’ailleurs affirme-t-il, «ce sont souvent les enseignants qui se sentent le plus déconsidérés dans les établissements qui demandent le plus de fournitures, c’est une manière d’affirmer l’importance de leur discipline».

Le poids du cartable est aussi un symptôme pour l’école: une école qui peine encore un peu trop à s’emparer de sujets qui ne sont pas totalement scolaires ou qui concernent la vie quotidienne, on l’a vu au sujet des rythmes scolaires dans le primaire et il y aurait encore beaucoup à dire sur les emplois du temps des collégiens. Une institution qui se méfie des parents et dans laquelle ces derniers, une fois passée l’entrée au CP, ne peuvent rentrer qu’une ou deux fois par an, sur invitation expresse des enseignants.

D’ailleurs, pour revenir à la circulaire qui règlemente le poids des cartables, on pourrait s’étonner du peu d’intérêt et de respect portés à cette directive. Mais les textes officiels sont-ils faits pour être respectés? Pas toujours visiblement quand on parle d’éducation. La circulaire de 1956 qui interdit les devoirs écrits à la maison au primaire reste, dans le genre, le plus beaux cas d’école à l’Education nationale.

Louise Tourret

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