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Soutien au bijoutier de Nice, l'Internet qu'on ne veut pas voir

Temps de lecture : 3 min

Facebook n'est plus ce réseau social créé par Mark Zuckerberg pour draguer à la fac. L'omniprésence de Twitter, source de toutes les attentions médiatiques, a occulté la montée en puissance d'un Internet social de masse.

Capture d'écran de la page Facebook de soutien au bijoutier de Nice.
Capture d'écran de la page Facebook de soutien au bijoutier de Nice.

Le bijoutier de Nice s'est fait justice lui-même. Les citoyens aussi, en rejoignant une page Facebook de soutien au bijoutier qui a atteint les 1,6 million de likes au moment de la rédaction de cet article. La presse a embrayé en relayant cet incroyable soutien populaire. Le fait divers local, qui n'intéressait guère que Christian Estrosi, est devenu ainsi un fait politique national.

En déclarant lors de son interview sur TF1 voir «l'exaspération, la colère», François Hollande marque une avancée constitutionnelle majeure en accordant un nouveau droit de pétition aux Français: au-delà d'un million de likes, le Président doit réagir aux demandes de ses citoyens. Ce qui éclaire d'un nouveau jour la décision de Jean-Marc Ayrault de suspendre la «taxe Nutella»: sans doute faut-il y voir une conséquence des 3,7 millions de likes sur la page «Crêpe + Nutella».

Face au compteur de likes qui s'emballait sur la page du bijoutier, une information a commencé à circuler sur Twitter: 80% des inscrits seraient des fakes achetés par l'auteur de la page pour faire parler d'elle. Un véritable dévoiement de la nouvelle démocratie numérique, qu'expérimente à marche forcée François Hollande. L'affaire est prise très au sérieux: France 2 y consacre même un reportage dans son JT de 20h.

Le seul indice en faveur de cette théorie des fakes: un chiffre étonnant sur le site Socialbakers qui donne des stats sur les pages Facebook. 20% des soutiens viendraient de France, contre 79% d'«other countries». Le chiffre ressemble plus à un bug qu'autre chose, mais tant pis, la mécanique est lancée. L'Internet se coupe en deux: d'un côté, ceux qui likent la page du bijoutier; de l'autre, ceux qui relaient la page de Socialbakers.

On apprendra plus tard que les données géographiques de Socialbakers n'étaient tout simplement pas mises à jour et que les soutiens au bijoutier venaient bien de France. Si la théorie des fakes a eu un tel succès, c'est que le succès de la page de soutien au bijoutier, massif et inédit, échappe à toutes les grilles d'analyse traditionnelles. Trop gros pour être vrai.

Pourtant 26 millions de Français sont inscrits sur Facebook, et 17 millions sont considérés comme «actifs». 1,6 million d'inscrits sur une page de soutien à un bijoutier qui fait la une de l'actu, c'est tout à fait crédible, alors que 3 millions de personnes ont liké la page... «Mon lit». A titre de comparaison, Marine Le Pen a recueilli 6,4 millions de votes lors de la dernière présidentielle. Et le soutien à la page Facebook est loin de se limiter à des sympathisants Front national.

Le succès de cette page est une piqûre de rappel: l'Internet n'est plus une extraterritorialité peuplée de geeks et de hipsters, mais bien un décalque de la vraie vie, avec ces débats douloureux qu'on préfère éviter. La page du bijoutier marque l'irruption dans le débat public de l'Internet des chaînes de mails qui échappe d'ordinaire aux radars médiatiques. Qui n'a pas reçu un jour un «fwd» gênant d'un vieil oncle un peu radical? Cet Internet qui s'échange des Powerpoint de montages de François Hollande en Flanby est désormais massivement sur Facebook.

Dans l'imaginaire populaire, Facebook reste ce site que Mark Zuckerberg a créé pour pécho à la fac. Difficile de réaliser que ce réseau qui a débuté avec des photos de mecs qui vomissent en soirée est devenu un lieu de débat politique aussi vivace qu'un dîner de famille un peu trop arrosé. Pourtant, le «partager» de Facebook est la nouvelle chaîne de mails. La page du bijoutier est la manifestation de cette nouvelle viralité, qui dépasse de très très loin celle de Twitter.

Des pratiques nouvelles émergent. Comme cette façon de soutenir la cause en postant une photo intime de soi. On est loin des photos de soirée.

Les photos postées par les utilisateurs sur la page de soutien au bijoutier sont un témoignage de cet Internet populaire, à base de jpeg guerriers et de montages low-cost sur Valls, Taubira ou Hollande. C'est ce que le chercheur Pascal Froissart appelle des «images rumorales», héritières sur Internet des «cartes à jouer, almanachs et calendriers, tracts et libelles, ou […] images dites "d’Épinal"». Des images souvent anonymes, qui «circulent sans contrôle et sans critères esthétiques a priori». La viralité propre à Facebook peut porter facilement ce type d'images à plus de 100.000 partages.

«Je veux un site qui nous ressemble et pas nous qui ressemblions au site», disait Ségolène Royal en 2009 dans un vibrant plaidoyer pour l'Internet populaire; moche et méprisé par les élites. La socialiste avait compris avant tout le monde que le web n'est pas réservé, selon sa formule, au «lobby d'Internet». L'omniprésence de Twitter, source de toutes les attentions médiatiques, a occulté la montée en puissance d'un Internet social de masse, capable de générer ses propres «buzz».

Face à cet Internet qu'on n'a pas vu venir et qu'on ne veut pas voir, le premier réflexe a été d'y voir un fake. Sur le web, quand on n'est pas d'accord avec quelqu'un, on le traite de troll. Et quand on n'est vraiment pas d'accord avec lui, on le traite de fake.

Vincent Glad

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