Accordez au moins ça à Barack Obama: il a tant excellé dans l’art d’agir de façon imprévisible dans la préparation des frappes militaires qu’il proposait en Syrie que personne n’a la moindre idée de ce qu’il va faire maintenant. Il a réussi à embrouiller autant ses amis que ses ennemis. Sun Tzu serait fier de lui.
Mais le président américain ne peut s’attribuer seul le mérite d’avoir semé la confusion dans les rangs. En effet, le secrétaire d’État John Kerry peut, lui, se targuer de la distinction unique d’être devenu le premier chef de la diplomatie américaine dont une saillie désinvolte lors d'une conférence de presse a provoqué une initiative mondiale de dernière minute visant à désarmer un dictateur sanguinaire.
Kerry n’avait pas l’intention de faire une offre hardie pour éviter les frappes militaires que le parti de son président et le public n’avaient aucun intérêt à soutenir. Il a simplement suggéré que si Bachar el-Assad remettait toutes ses armes chimiques dans la semaine, cela pourrait éviter une attaque américaine imminente -et il était évident qu’Assad ne ferait jamais une chose pareille.
Le département d’État a précisé en toute hâte que Kerry ne faisait pas une vraie proposition -ce n'était qu'une façon de parler. C’était pour rigoler, vous voyez. On peut le dire, l’administration Obama travaille en freestyle en matière de politique étrangère. Et dire cela c'est presque une insulte pour les adeptes du freestyle.
Mais voilà, Vladimir Poutine n’est pas du genre à laisser filer une opportunité. Le Kremlin a bondi sur la suggestion diplomatique de Kerry. Et maintenant, tout le monde -les Français, les Britanniques, les Chinois, l’administration Obama- espère que les Russes pourront mettre au point un plan vérifiable pour que le régime d’Assad leur remette ses stocks d’armes chimiques.
Aux yeux de l’Occident, il est à la fois possible de faire payer Assad et d’éviter la dangereuse imprévisibilité de frappes militaires. Et la Russie et la Chine pourront conserver leur homme à Damas.
Soupir de soulagement au Capitole
Le soupir de soulagement poussé au Capitole était clairement audible lundi soir lorsqu’Obama a dit que le plan russe offrirait peut-être une sortie de crise. Chose étonnante, Obama s’était tourné vers le Congrès pour soutenir son projet de frappes -ce que les présidents ne font quasiment jamais- alors qu’il était à mille lieues d’obtenir une majorité. Cela aurait été un moyen fort habile de forcer le Congrès à partager la responsabilité d’une action, ou pas, en Syrie, à l’exception près que voir sa politique étrangère neutralisée par le Congrès aurait signé une défaite qui l’aurait beaucoup affaibli.
Si le président américain croyait que son propre parti le soutenait, il se mettait le doigt dans l’œil. Personne n’imagine que la Chambre des représentants (et peut-être même le Sénat) n’allait donner son aval au recours à la force en Syrie. Mais la manœuvre de dernière minute de Poutine a épargné aux Démocrates de devoir éviscérer la politique étrangère de leur propre président. Poutine fournit au président Obama une protection politique que même son propre parti lui refuse.
Mais quand c’est un dictateur qui sauve la peau de votre politique étrangère, c’est qu’il y a un problème. Et c’est dans cette situation que se trouve aujourd’hui Obama: Poutine offre au président américain une porte de sortie qu’il n’arrivait pas à trouver tout seul.
Certes, la Syrie ne s’est pas encore engagée à remettre ses armes chimiques. Si elle le fait, ce sera définitivement l’épisode le plus heureux de tout cette aventure (quoi que dise l’administration sur son projet menacé de recourir à la force, cette issue était imprévue). Peu importe que les États-Unis n’aient pas la moindre idée de l’endroit où Assad entasse ses munitions chimiques.
Effet de surprise
Pour l’instant, nous allons nous investir dans la fiction crédible qu’Assad va se débarrasser lui-même de son arme la plus puissante pour assurer sa survie -la seule chose qui motive un dictateur- parce qu’elle permet à tous les camps de se défiler. La discussion va désormais tourner autour de la réelle crédibilité du plan russe, de la possibilité de garantir un accord par la menace d’un futur recours à la force et de l’éventualité qu’Assad s’y soumette.
Si la manœuvre de Poutine ne fonctionne pas, la politique étrangère d’Obama dépendra quand même de la versatilité d’un dictateur. Car un message est déjà parfaitement clair pour Damas: l'administration Obama fera tout ce qui est en son pouvoir pour ne rien faire du tout.
Si Assad se retrouve acculé, il va probablement gazer de nouveaux ses compatriotes syriens. Peut-être à moins grande échelle, mais il y a fort à parier qu’il n’abandonnera pas ses armes.
Comment le président américain réagira-t-il alors? Difficile à dire. Parce que personne n’a la moindre idée de ce que fait Obama. Il a au moins ça pour lui: l’effet de surprise.
William J. Dobson
Traduit par Bérengère Viennot