Économie

Le grand remplacement (par les vieux)

Temps de lecture : 6 min

Les dernières prévisions démographiques des Nations unies ne sont pas très réjouissantes: nous sommes toujours plus nombreux et toujours plus âgés. Et l’Europe va tenir une place sans cesse déclinante dans le concert des nations.

Un couple s'embrasse à Wuhan, le 7 novembre 2010. REUTERS/Stringer.
Un couple s'embrasse à Wuhan, le 7 novembre 2010. REUTERS/Stringer.

Résumé rapide du dernier rapport publié par le département des affaires économiques et sociales des Nations unies, intitulé Perspectives de la population mondiale, révision de 2012 (ce document est actualisé tous les deux ans): en 2100, la population mondiale risque d’avoir passé le cap des 10 milliards d’habitants, contre 7,2 milliards aujourd’hui. L’espérance de vie continuant à augmenter et les femmes mettant au monde de moins en moins d’enfants, les personnes âgées seront plus nombreuses et représenteront une part plus importante de la population.

Ainsi, la Chine compterait à cette date 120 millions d’habitants de plus de 80 ans, soit 11% de sa population! Car, à cette époque, elle ne compterait plus que 1,08 milliard d’habitants (contre 1,38 milliard aujourd’hui); elle serait dépassée par l’Inde, qui amorcerait alors tout juste un recul avec 1,55 milliard d’habitants, mais resterait devant le Nigeria, toujours en pleine expansion avec 914 millions d’habitants, les Etats-Unis (462 millions), l’Indonésie (315 millions) et la Tanzanie (276 millions). L’Union européenne ne compterait plus aucun membre parmi les trente pays les plus peuplés.

Rassurons-nous: les prévisions à une échéance aussi éloignée ont toutes les chances d’être fausses; c’est d’ailleurs pour cela qu’elles sont révisées tous les deux ans. Mais les grandes tendances qui émergent de cette masse de données risquent de se vérifier, qu’il s’agisse de l’augmentation totale de la population ou de son vieillissement.

Il est d’ailleurs important de relever que ceux qui établissent ces projections ne cherchent nullement à faire parler d’eux et à attirer l’attention en publiant des chiffres alarmants. Et pourtant, ce serait facile.

Toutes choses égales par ailleurs (taux de fécondité des femmes, mortalité infantile, espérance de vie à la naissance, etc.), la population mondiale dépasserait 28 milliards en 2100… De quoi nourrir tous les scénarios catastrophes: famines, épuisement des ressources naturelles, guerres pour l’eau, les terres agricoles et les réserves halieutiques.

Mais cette hypothèse est tout juste mentionnée sans aucun développement, car les démographes savent qu’elle est à écarter. Tous les pays qui ont actuellement les taux de fécondité les plus élevés, de six ou sept enfants par femme, ne les garderont pas à ce niveau.

Le taux de fécondité, principale incertitude

L’hypothèse centrale est qu’il y aura une convergence vers un taux de fécondité voisin de 2 enfants par femme, ce qui suppose une baisse relativement rapide dans les pays les plus pauvres et une légère remontée dans les pays développés, où il est actuellement plus proche de 1,5.

Mais une variation relativement faible par rapport aux hypothèses retenues pays par pays peut se traduire au fil des années par des chiffres très différents au niveau mondial. La tendance à la stabilisation de la population annoncée dans le passé a été démentie et, à l’horizon 2050, un écart de 0,5 enfant par femme en plus ou en moins par rapport au scénario central pourrait conduire à une population mondiale de 8,3 milliards ou de 11 milliards avec un scénario central de 9,6 milliards.

Que veulent dire ces chiffres? Qu’on ne peut pas dire avec certitude si nous serons 8,3 milliards sur cette Terre dans 37 ans ou si nous serons 11 milliards, soit une marge d’incertitude de 2,7 milliards. C’est considérable pour une date aussi rapprochée. Et que dire de la marge d’incertitude à l’horizon 2100! Soit on retourne à 6,7 milliards dans l’hypothèse basse, soit on monte à 16,6 milliards, avec un hypothèse moyenne à 10,8 milliards.

On peut penser qu’une incertitude portant sur une échéance de plus de huit décennies n’a guère d’importance: les politiques mises en œuvre à l’échelle nationale ou internationale ne visent jamais un horizon aussi lointain. Mais, pour certains problèmes qui naissent d’effets cumulés dans le temps et ne se résolvent que progressivement, le simple fait que l’hypothèse d’une population mondiale de plus de 16 milliards en 2100 puisse être envisagée doit constituer un signal d’alerte.

Il en est ainsi des émissions de gaz à effet de serre. Quand on voit la difficulté que l’on a à contenir leur progression avec une population qui n’atteint encore que 7,2 milliards, on imagine quel serait alors l’ampleur du problème.

Le siècle de l’Afrique

Sans regarder aussi loin, contentons-nous de contempler ce qui se passe actuellement avec une population mondiale qui s’enrichit de 81 millions de personnes par an (l’équivalent de l’Allemagne). Dans les pays dits développés, la tendance globale est à une légère hausse de la population, l’immigration venant compenser la faiblesse du taux de fécondité (certains pays, comme le Japon ou l’Allemagne, sont sur la voie d’une baisse de leur population, lente jusqu’en 2050, plus rapide ensuite).

La tendance est toujours à la hausse de la population dans les pays moins développés et elle est davantage marquée dans les pays les plus pauvres. Le cas le plus spectaculaire est celui du continent africain, dont la population ferait plus que doubler d’ici à 2050: elle passerait de 1,1 milliard à 2,4 milliard et continuerait ensuite à croître jusqu’à 4,2 milliards en 2100. Tandis que l’Inde dépasserait la Chine en 2028, le Nigeria passerait devant les Etats-Unis aux alentours de 2050.

Ces différences de dynamisme démographique se retrouvent quand on compare les structures de population. Un bon indicateur est l’âge médian, qui sépare la population en deux blocs égaux, la moitié étant au-dessus de cet âge, l’autre moitié au-dessous.

A un extrême, on a des âges médians de 45,9 ans au Japon, 45,5 ans en Allemagne ou 44,3 ans en Italie (parmi les facteurs qui pèsent sur la croissance de ce denier pays, on ne parle jamais de la démographie, qui joue pourtant un rôle non négligeable). A l’autre extrême, au Niger, en Ouganda et au Tchad, l’âge médian est inférieur à 16 ans…

Cet âge médian est appelé à progresser partout. En Europe, il passerait de 40,9 actuellement à 45,7 en 2050. Ce qui signifie que, sur notre continent, la part des plus de soixante ans passerait de 23% à 34%.

Une autre façon de mesurer le vieillissement est de voir la place occupée par les 25-59 ans, cette part de la population qui est censée être au travail et soutenir financièrement les plus jeunes et les plus vieux. Cette tranche d’âge représente 608 millions de personnes dans les pays les plus développés (Europe, Amérique du Nord, Japon, Australie et Nouvelle-Zélande), 2,6 milliards dans les autres pays.

Mais l’année 2013 représente un pic pour ces pays développés: ensuite, cette partie de la population va décroître pour revenir à 533 millions en 2050 et 504 millions en 2100. Au contraire, dans les autres pays, elle va continuer à progresser: elle doit atteindre 3,7 milliards en 2050 et 4,1 milliards en 2100.

Au-delà des écarts qui peuvent être enregistrés conjoncturellement, on voit bien où se va se situer la croissance économique. Par ailleurs, ces prévisions illustrent parfaitement l’ampleur du problème des retraites.

Travail de prospective pour la France de 2025 et d’après

Il a été de bon ton cet été de se gausser du travail de réflexion sur la France à l’horizon 2025 imposé par François Hollande à ses ministres. En fait, l’idée n’était pas idiote du tout. On sait très bien que les ministres n’ont guère le temps d’effectuer eux-mêmes ce genre de travaux, mais il peut être bon pour eux (et pour le pays) qu’ils prennent de temps à autre le temps de consulter des spécialistes dont le travail est précisément de réfléchir à l’avenir.

Prenons l’exemple d’un travail effectué en 1997 par une équipe de l’OCDE sur Le monde en 2020. La question démographique y était largement développée et, il y a déjà seize ans, la leçon a en tirer paraissait évidente:

«Il faudra compter sur relativement moins d’actifs pour financer le coût des pensions et des dépenses de santé d’un bien plus grand nombre de retraités […]. Il s’ensuit que le revenu réel disponible des actifs devra être inférieur à ce qu’il était auparavant ou que le montant des retraites devra diminuer. Plus vraisemblablement, l’un et l’autre se produiront simultanément […]. La solution réside fondamentalement dans une inversion des tendances actuelles en matière de répartition des dépenses et de partage entre temps de travail et loisirs tout au long de la vie.»

C’était bien vu.

Il y a un point sur lequel ces experts se sont lourdement trompés. Ils pensaient que la solution passerait aussi par le développement des systèmes de retraite par capitalisation: l’épargne des salariés des pays développés serait en grande partie placée dans les pays en développement; ainsi les générations de plus en plus fournies de personnes en âge de travailler dans ces pays contribueraient à payer nos retraites.

Mais les crises financières à répétition dans la première décennie du XXIème siècle ont ruiné ces espoirs: en France par exemple, malgré les doutes sur l’avenir de nos système de retraite, peu de salariés accepteraient de voir une part croissante de leurs cotisations de retraite investie sur les marchés boursiers des pays émergents.

Une chose est certaine: si les projections démographiques étaient mieux connues d’un large public et si les politiques les tenaient plus en considération pour prendre leurs décisions, certains problèmes comme celui des retraites seraient davantage anticipés.

En tout cas, que nos voisins allemands se rassurent: si leur nombre, d’ici à 2050, tombe effectivement de 82,7 millions à 72,5 millions comme le prévoient les experts de l’Onu et si ce recul leur pose des problèmes, la France, passée dans le même temps de 64,3 millions à 73,2 millions, sera en mesure de faire jouer en leur faveur la solidarité européenne…

Gérard Horny

Newsletters

Comment l'industrie menstruelle a sali les règles

Comment l'industrie menstruelle a sali les règles

Depuis plus d'un siècle, les discours publicitaires œuvrent soigneusement à l'invisibilisation des menstruations, avec des conséquences.

Savez-vous qu'on ne change pas d'heure à la même date qu'en Amérique du Nord?

Savez-vous qu'on ne change pas d'heure à la même date qu'en Amérique du Nord?

Deux semaines d'écart au printemps, une à l'automne. La raison? Une histoire de barbecue, de golf et de bonbons.

Pourquoi le prix du tabac flambe et pas celui de l'alcool

Pourquoi le prix du tabac flambe et pas celui de l'alcool

Les verres de vin ou de bière ne sont pas logés à la même enseigne que les clopes. L'économie du secteur alcoolier y est pour beaucoup.

Podcasts Grands Formats Séries
Slate Studio