«Projet de loi de lutte contre la récidive». Le choix des mots n'est jamais anodin. Dans le cas de la réforme pénale portée par Christiane Taubira, un terme retient l'attention, celui autour duquel tout le projet semble se concentrer: la récidive. Autrement dit, le fait qu'une personne condamnée ne commette de nouveau une infraction similaire au cours des cinq années suivant sa première condamnation.
En France, les statistiques et autres données sur le sujet sont éparpillées, lacunaires et difficiles d'accès. Ainsi, l'Observatoire de la récidive prévu par la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 n'a jamais vu le jour. Mais malgré ces insuffisances, les chiffres disponibles permettent de constater une hausse régulière de la récidive au cours de la dernière décennie. De 4,4 % des condamnés en 2000 à plus de 11 % en 2010.
Face à ce constat, deux analyses s'opposent: ou bien les peines ne sont pas suffisamment sévères ou bien elles ne sont pas adaptées. C'est la première option qui avait été choisie sous la présidence de Nicolas Sarkozy. Les peines plancher, qui imposaient des condamnations minimums en cas de récidive, en témoignent: la solution consistait à accroître la sévérité des sanctions. Mais voilà, les chiffres de la récidive continuèrent à augmenter...
Aujourd'hui, le gouvernement penche plutôt pour la deuxième option: face à l'inefficacité de la prison, il serait bon de développer des sanctions alternatives, la peine de probation par exemple.
Ces questions devraient agiter le Parlement dans les mois à venir. L'examen du texte en Conseil des ministres est prévu pour le 2 octobre. Les débats à l'Assemblée et au Sénat ne sont pas encore inscrits au calendrier. Avant ou après les municipales? Quoiqu'il en soit, ce jour-là, les murs du Palais Bourbon pourraient bien avoir un air de déjà-vu.
Effectivement, ce débat, nécessaire, n'en est pas moins séculaire. La récidive est une vieille obsession, qui hante la société française depuis le XIXe siècle. L'origine du mot aide à mieux percevoir les angoisses qui peuvent y être associées, car une récidive, à l'origine, c'est une maladie. L'historien Michel Porret expliquait dans l'émission radiophonique Concordance des temps que le terme de récidive est «s'est construit sur des idées de maladies récurrentes, pathologiques, inguérissables. [...] Petit à petit, on va l'utiliser dans un autre sens, non plus la maladie qui revient et qui est inguérissable, mais on va l'utiliser pour décrire le repassage à l'acte d'un crime». On observe donc «une sorte de naturalisation dans le vocabulaire juridique d'un concept qui était un concept médical, plutôt associé à des phénomènes d'épidémie, à des phénomènes de maladies récurrentes».
Le criminel est un pécheur
Mais avant même que l'on cherche des remèdes à «cette maladie sociale», il a premièrement fallu que la récidive soit considérée comme un problème de société. Ce qui n'est le cas que depuis deux siècles environ. Jusqu'à la moitié du XVIIIe siècle, la figure du criminel récidiviste n'existe pas. «Ce que montre les archives criminelles, c'est que l'accumulation des forfaits antérieurs ... n'est pas quelque chose qui aggrave la qualification du crime», illustre Michel Porret, qui a codirigé l'ouvrage Le criminel endurci : récidive et récidivistes du Moyen Age au XXe siècle.
Le criminel de l'époque est avant tout considéré comme un pécheur et l'infraction qu'il a commise comme un péché qu'il faut lui faire expier. Ce qui importe c'est le crime, et non la personne qui l'a commis. Les causes du crime ou les moyens de le contenir ne font pas partie des préoccupations d'alors. «Tout le poids de la prévention est confié à la perspective du châtiment horrible qui attend sur l'autre rive le pécheur impénitent promis à l'enfer. Quant à la peine, elle n'a d'autre fin, en ce bas monde, que de châtier la méchanceté et l'impiété», résume le chercheur Philippe Robert.
C'est ainsi que le système suppliciaire prend tout son sens: «c'était pour faire expier le criminel comme pécheur: c'est essentiellement un des grands rôles de la pénalité de l'époque moderne», précise Michel Porret. Que les supplices aient eu une fonction dissuasive, cela est fort probable, mais finalement ce n'est pas tant ça qui importait.
Absolument pas concernés par la répétition des crimes les juges de l'époque? Oui, mais à une exception toutefois: celle des criminels endurcis, des criminels professionnels agissant par bandes «qui sont l'objet d'une justice expéditive qui a deux issues, soit la peine de mort, soit les galères», supprimant d'office ce que l'on ne désigne pas encore sous le nom de récidive. Et, dans le cas des galères, on n'omettra pas de marquer le condamné au fer rouge, afin de pouvoir le reconnaître si toutefois, il en revenait. Les corps des criminels sont ainsi marqués de diverses façons afin de permettre leur identification.
La notion de récidive et la petite insécurité
Mais, c'est surtout «une pénalité qui élimine les grands criminels, donc ils ne peuvent pas être des récidivistes», continue l'historien. «La notion de récidive naît de la petite insécurité (vagabond, mendiants, petits voleurs...)» et se cristallise au XIXe siècle.
«Le tournant des années 1750-1790 est extrêmement important ... on sort d'une philosophie pénale morale pour une philosophie pénale sociale. Le criminel comme pécheur est une figure qui devient anachronique après les années 1760-1770». Cette pensée des Lumières qui considère le crime comme étant le produit d'un contexte social et non comme un péché révolutionne la manière de concevoir les peines. C'est le grand «basculement d'une culture suppliciaire à une culture carcérale» qui avait été saisi par Michel Foucault dans Surveiller et punir. Cela implique «que l'Etat mette en place une institution qui permette de récupérer celui qui a commis l'infraction sociale».
Cette institution, c'est la prison, qui se développe tout au long du XIXe siècle. Son objectif : rééduquer l'homme criminel. Ses effets collatéraux : mettre en lumière la récidive et l'entretenir.
«La prison est une institution constitutive de la conscience de la récidive puisqu'elle permet de mesurer celui qui entre, celui qui sort, celui qui reentre, celui qui revient», explique Michel Porret. Cette conscience n'aurait pas été possible si le XIXe siècle n'avait pas aussi été le siècle du développement de la statistique et du contrôle des identités. Une circulaire de 1850 instaure le casier judiciaire qui permet de confondre les récidivistes. L'identification des personnes se développe avec le bertillonage, une technique alliant mesures des corps et photos d'identité. Il devient de plus en plus difficile de se faire passer pour quelqu'un d'autre et ainsi de camoufler ses condamnations passées.
Sans casier judiciaire, pas de récidive
Quant aux statistiques, le Compte de l’administration de la justice criminelle enregistre les chiffres du crime depuis 1825 et, parmi ces chiffres, un chapitre spécial est consacré à la récidive. Or les taux de récidive augmentent au cours du siècle: de 28% des accusés en 1850 à 50% en 1879. Un accusé sur deux est alors en situation de récidive, souligne l'historien Jean-Lucien Sanchez. «La statistique criminelle, en dégageant la constante de la récidive, fait apparaître un nouveau visage du crime: le délinquant incorrigible.» Et, témoigne du caractère criminogène de la prison. On distingue alors le criminel par accident, à qui il faudra laisser une chance en lui évitant la prison avec le sursis introduit en 1891, et le criminel par habitude, irrécupérable.
Pour traiter la récidive, qui devient une véritable obsession, et face à l'échec des prisons, la IIIe République décide de déporter ces criminels incorrigibles dans les confins de son empire colonial. C'est la loi de 1885 sur la relégation des récidivistes. Dans un contexte électoral où la droite accuse les républicains opportunistes au pouvoir d'être le parti des libertés au détriment de l'ordre, ces derniers décident de prouver l'intérêt qu'ils portent aux questions sécuritaires en votant cette loi. Les récidivistes seront soumis à un internement perpétuel dans les colonies de Nouvelle-Calédonie et de Guyane.
La loi fixe un nombre de peines au-dessus duquel la personne est considérée comme irrécupérable. Par exemple, quatre condamnations pour vol ou escroquerie à plus de trois mois de prison. Le vagabondage, considéré comme l'antichambre du crime, fait aussi partie des délits passibles de la relégation, si répété à plusieurs reprises. «Ce qui importe, ce n’est pas tant la gravité de l’acte produit, mais le fait de répéter et de persévérer dans le crime. Cet état criminel, même lorsqu’il s’agit d’infractions mineures comme le vagabondage ou le vol simple, indique un degré de dangerosité de l’individu et son insensibilité à l’amendement classique», explique l'historien Jean-Lucien Sanchez, auteur d'une thèse sur le bagne guyanais de Saint-Jean-du-Maroni.
En tout 16.000 personnes furent déportés en Guyane jusqu'en 1938 et 10 000 en Nouvelle-Calédonie, où la relégation fut interrompue plus tôt, en 1897. Après la fermeture des bagnes coloniaux, cette loi continua à être appliquée jusqu'en 1970 dans les maisons centrales de métropole.
Au cours des années 2000, la question de la récidive a fait un retour fracassant sur la scène publique: lois sur le bracelet électronique en 2005, peines plancher en 2007, la rétention de surêté en 2010. Mais les enjeux ont peu vieilli en deux siècles et la question du traitement de la récidive n'est toujours pas résolue. La réforme pénale de Christiane Taubira continuera, à n'y pas douter, à écrire cette histoire.
Hélène Ferrarini