A la mi-juin, juste après l'éviction de Pape Diouf de la présidence de l'OM, les commentaires peu amènes sur les méthodes de Robert Louis-Dreyfus, propriétaire du club de foot-ball, emplissaient les médias. Quel était cet homme qui prenait des décisions irrévocables sans prendre la peine d'en informer l'entourage du club? Après sa mort, samedi dernier à 63 ans, des suites d'une leucémie qu'il n'avait jamais caché et contre laquelle il a mené un combat de plusieurs années, les hommages n'en furent pas pour autant mesurés, de la mairie de Marseille jusqu'à la Fifa (Fédération internationale de football). Oublié, le limogeage! Restait l'aventure à l'OM où, arrivé en 1996 après les tribulations de l'époque Tapie, il aura fait rêver les supporters même s'il n'est pas parvenu à hisser le club dans le gotha européen.
Et pour lui, même si les 200 millions d'euros investis dans l'aventure n'ont pas été les meilleurs placements de sa vie, ce défi aura été le point d'orgue de son engagement dans le monde du sport. Un engagement qui prit forme en 1993 avec Adidas, entreprise bavaroise rachetée à Bernard Tapie auquel — déjà — il succède. Ce sera son plus beau succès, qui lui vaudra en Allemagne le titre d'homme d'affaires de l'année en 1997.
Un génie des affaires
Cet enfant terrible de la prestigieuse famille Louis-Dreyfus, plus connu pour son goût pour les cartes et les cigares que pour le sport, n'avait pourtant jamais manifesté de passion dévorante pour le ballon rond. Sorti de Harvard après des études moyennes, il était resté distant de l'empire financier et industriel familial qu'il avait fini par déserter, construisant sa carrière d'abord aux Etats-Unis en développant une société d'études de marchés, IMS. S'étant ainsi constitué une fortune personnelle qui ne doit rien à sa situation d'héritier, il passe chez le groupe britannique de publicité Saatchi & Saatchi en pleine déconfiture, qu'il redresse en deux ans.
C'est ensuite que commence l'épopée Adidas. Des banquiers d'affaires le contactent, fin 1992. Les discussions dureront quatre mois, avant que Robert Louis-Dreyfus prenne sa décision et commence à constituer un tour de table. Pendant cette période, il met à profit l'expérience acquise chez IMS pour étudier le marché mondial de la chaussure de sport et chez Saatchi & Saarchi pour évaluer l'image de la marque aux trois bandes. Adidas fait alors partie des dix marques les plus connues au monde, mais elle est distancée par ses concurrentes Nike et Reebok.
Le système de production doit être rationnalisé et décentralisé. Il faut abaisser les coûts de production, revitaliser le réseau commercial et défier les leaders du marché, mais Robert Louis-Dreyfus est tenté: la marque lui va bien. Elle a été créée par Adolf Dassler en 1949 qui la dirigera comme une entreprise familiale. Et même si Robert Louis-Dreyfus a préféré faire carrière hors du groupe familial, il reste sensible à certaines valeurs.
Un redressement canon
Bernard Tapie est passé par là. Il préside le groupe depuis 1990 et souhaite céder sa participation. Commence alors la sombre épisode mettant en scène le Crédit Lyonnais. On retiendra que le groupe de banques dont fait partie le Lyonnais rachètera Adidas à Bernard Tapie pour 315 millions d'euros début 1993, que Robert Louis-Dreyfus en deviendra président quelques mois plus tard en rachetant 15% du capital, en acquerra le contrôle en 1994 pour 700 millions d'euros et, à la fin 1995, introduira en bourse la société valorisée à près de 1,7 milliard d'euros. Beau parcours, et à quelle vitesse !
Pour Robert Louis-Dreyfus qui s'est assuré entre autres les compétences de deux ex-cadres de Nike, c'est un en effet coup de maître. Pour Bernard Tapie, c'est un bras de fer qui commence, contre le Crédit Lyonnais pour récupérer la plus-value réalisée contre son intérêt dans la cession à Robert Louis-Dreyfus; c'est seulement en 2008 qu'une commission d'arbitrage mettra fin à une bataille juridique à rebondissements en prenant fait et cause pour Bernard Tapie, moyennent 285 millions d'euros de dommages et intérêts.
Communication, créativité, mondialisation
A la tête d'Adidas, Robert Louis-Dreyfus a restructuré, mais il a surtout introduit le pouvoir de la communication pour relancer la marque. Communication basée sur la créativité du design, sur l'internationalisation de la marque, sur le sponsoring pour incarner les trois bandes sur les terrains de sport (foot, rugby, tennis, basket...) comme dans les manifestations branchées. Il n'y eut pas toutefois que des succès: le rachat de Salomon en 1997 sera une erreur. Mais l'engagement au côté de l'équipe de France de football championne du monde de football en 1998 (contre le Brésil... et Nike) installera la marque au sommet du succès.
Le message est passé: même si Robert Louis-Dreyfus a quitté Adidas en 2001, la marque aux trois bandes continue d'équiper les équipes les plus prestigieuses, du Milan AC au Real de Madrid en passant par le Bayern de Munch et bien d'autres comme l'OM. Un regret peut-être pour Robert Louis Dreyfus, qui aura signé sa plus belle aventure d'hommes d'affaires chez Adidas: avoir équipé les All Blacks néo-zélandais lors du championnat du monde de rugby en 1999, et avoir perdu... contre la France.
Gilles Bridier
Image de une: une des chaussures de Franz Beckenbauer, le mythique joueur allemand. REUTERS/Alexandra Beier
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