Économie

Chez Nokia, on arrête tout et on recommence, comme d'habitude

Temps de lecture : 3 min

Le Finlandais vient de vendre ses téléphones portables à Microsoft. Se délaissant d'un coup d'une activité qui, il y a encore deux ans, lui fournissait les deux tiers de son chiffre d'affaires. Un pari risqué, mais Nokia est un habitué des mues drastiques.

Le nouvveau Nokia, le Lumia 1020 avec son appareil photo à 41 megapixels, en juillet 2013. REUTERS/Shannon Stapleton
Le nouvveau Nokia, le Lumia 1020 avec son appareil photo à 41 megapixels, en juillet 2013. REUTERS/Shannon Stapleton

Nokia, leader déchu des téléphones mobiles, rend les armes. Et vend ses téléphones portables à Microsoft, se concentrant sur ses activités dans les réseaux de télécommunications. La cession était attendue, et qu'une multinationale se débarrasse d'un pan entier de ses activités n'est pas rare. Alcatel lui non plus ne produit plus de téléphones, pas plus que son grand rival Ericsson. Et IBM n'a pas hésité, il y a quelques années, à vendre ses ordinateurs portables à Lenovo. Pour ne citer qu'eux. Le raisonnement est simple: mieux vaut couper les branches malades pour mieux se concentrer sur des activités en devenir.

Le cas Nokia, pourtant, est largement atypique.

D'abord parce que le géant finlandais n'a pas traîné. Certes, son déclin a commencé au tournant des années 2007-2008. En laissant Apple lancer l'iPhone sans suffisamment rétorquer, Nokia a raté un coche qu'il n'a jamais su par la suite rattraper, voyant ainsi Samsung lui ravir le premier rang mondial en 2012, après 14 années de règne incontesté où l'entreprise a affiché jusqu'à 39% de parts de marché mondial...

N'empêche: les téléphones de Nokia ne sont tombés dans le rouge qu'en 2012. Car jusqu'en 2011, le Finlandais affichait encore des marges opérationnelles positives dans le secteur. Réduites certes par rapport aux périodes les plus fastes (7% en 2011, 11% en 2010... contre plus de 20% quelques années plus tôt), mais le Finlandais n'a donc pas laissé aux pertes le temps de s'accumuler.

Une entreprise à nue

Deuxième particularité: Nokia ne se sépare pas d'une branche de son activité, mais bien de ce qui, il a encore quelques années, représentait la quasi-totalité de ses ventes. Et la totalité de ses profits.

Les téléphones mobiles sont, depuis vingt ans, la principale raison d'être du groupe. Et presque la seule depuis 2006, quand l'entreprise avait fusionné ses activités dans les infrastructures de télécommunications avec celles de Siemens (constitution de NSN, Nokia Siemens Networks). Si, aujourd'hui, Nokia vend une activité qui représente 50% de son chiffre d'affaires, ce pourcentage était de 63% l'an dernier, et de 69% en 2011. Un peu comme si le groupe Bouygues se séparait de Bouygues Construction et de sa filiale Colas (BTP également) pour ne plus garder que TF1, Bouygues Telecom et Bouygues Immobilier. Ou comme si Danone cédait ses produits laitiers pour se concentrer sur les eaux et la nutrition infantile. La mue, autrement dit, n'est pas marginale. Mais totale.

Les brevets, une assurance

Bien sûr, Nokia a anticipé: le Finlandais, tout d'abord, conserve son portefeuille de brevets. Soit 30.000 brevets, regroupés dans 10.000 «familles de brevets», dont 1.200 sont considérées comme «essentielles» et dont les 2/3 seront encore valables dans dix ans, a assuré la direction. Nul doute que Nokia, à l'image de Technicolor (ex Thomson) va désormais travailler très activement à la valorisation de son portefeuille. Quitte à, peut-être, ressembler à ces requins des brevets qui l'ont tant fait souffrir?

Mais Nokia a aussi racheté début juillet la participation de Siemens dans NSN (Nokia Siemens Networks) et se retrouve donc seul maître à bord dans une activité «réseaux de télécommunications» qui, affirment ses nouveaux dirigeants, sera désormais son activité principale.

Mais les fournisseurs d'infrastructures télécoms ont, depuis une bonne dizaine d'années, la vie très dure. Les immenses difficultés d'Alcatel —devenu Alcatel Lucent— en témoignent, puisque le Français n'en finit plus de restructurer ses activités. L'irruption, notamment, du chinois Huawei sur le marché a totalement déstabilisé le marché.

Si Nokia avait constitué NSN avec Siemens en 2006, c'était, du reste, pour tenter de remettre à flots une activité malade. Pari que les deux Européens ont mis beaucoup de temps à tenir, et encore, partiellement: au second trimestre 2013, NSN affichait un taux de marge opérationnelle de seulement 0,3% (selon les normes de comptabilité internationales IFRS), après des années de pertes et avec un chiffre d'affaires en baisse.

Certes, Nokia peut toujours prendre exemple sur son voisin Ericsson, lui aussi centré sur les infrastructures télécoms, et qui réussit à engranger des profits. Sauf que le Suédois est presque —désormais— deux fois plus gros. Ironie de l'histoire: les deux voisins et frères ennemis se retrouvent vingt ans plus tard dans un rapport de taille similaire à celui du début des années 1990...

Echapper à la disparition, une habitude

Si une entreprise, toutefois, pouvait se permettre de tourner aussi drastiquement la page d'une success story devenue un cauchemar, c'est bien Nokia.

Se remettre en question est sans doute, en effet, l'un des savoirs faires du Finlandais. Qui s'en souvient? Il y a tout juste 20 ans, Nokia n'était qu'un nain des télécommunications. A l'époque, le Finlandais, né en 1865 au bord d'une rivière du même nom, et actif tout à la fois dans les bottes en caoutchouc, les pneus, l'industrie papetière ou encore les câbles, était au bord de la faillite. A l'époque, le conglomérat avait déjà opéré un tournant majeur, s'arrogeant, à coup d'acquisitions, une place de choix dans le marché mondial des téléviseurs. Mais l'aventure avait mal tourné, entraînant même le suicide de son dirigeant de l'époque en 1988, Kari Kairamo.

Puis ses échanges en troc avec son grand voisin soviétique avaient été brutalement interrompus, accentuant encore les difficultés. Le groupe se débarrasse alors de son électronique grand public —puis, progressivement, de toutes ses activités historiques— et son jeune dirigeant, Jorma Ollila, décide en 1993 de tout miser sur la téléphonie mobile, une activité certes prometteuse, mais jusqu'alors marginale dans le groupe. Un pari de la dernière chance qui, à l'époque, faisait ricaner bien des concurrents…

Catherine Bernard

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