Les États-Unis semblent plus près que jamais de lancer une série de frappes chirurgicales sur des cibles syriennes. Pourtant, un des principaux architectes de cette stratégie met sérieusement et publiquement en question le bien-fondé de la démarche.
Au cours des dernières 48 heures, des responsables américains ont divulgué à divers médias leur projet de lancer des missiles contre les installations militaires en Syrie pour dissuader le gouvernement syrien d’avoir de nouveau recours à ses réserves d’armes chimiques.
Dimanche, le sénateur Bob Corker, briefé deux fois par des responsables du gouvernement au cours du week-end, a déclaré qu’une «réponse [américaine] est imminente» en Syrie. «Je crois que nous allons réagir de façon chirurgicale», a-t-il déclaré. Lundi, le secrétaire d’État John Kerry semblait préparer le terrain à une incursion militaire américaine.
«Généralement inutiles et souvent contre-productives»
À présent, un ancien stratège de l’US Navy, auteur d’un plan d'utilisation des frappes chirurgicales influent et extrêmement détaillé, nous explique que ce programme suscite chez lui de sérieux doutes. Il estime qu’on accorde trop de crédit à l’efficacité des frappes chirurgicales sur les forces d’Assad, sans discuter assez des objectifs à plus grande échelle que ces attaques sont supposées atteindre.
«Les actions tactiques sans objectifs stratégiques sont généralement inutiles et souvent contre-productives», assène Chris Harmer, analyste naval à l’Institute for the Study of War. «Je n’ai jamais envisagé mes analyses de la possibilité de frappes par des missiles de croisières comme un plaidoyer, même si c’est comme ça que les ont interprétées certaines personnes.»
«J’ai clairement dit que c’était une possibilité à bas coût, mais la vraie question est que les options à bas coût n’ont rien de bon tant qu’elles ne sont pas liées à des priorités et à des objectifs stratégiques», ajoute-t-il. «N’importe quel officier de marine peut lancer 30 ou 40 Tomahawks. Ce n’est pas difficile. La difficulté consiste à expliquer à des spécialistes de la planification stratégique en quoi cela fait avancer les intérêts des États-Unis.»
«Rapidement, facilement, sans aucun risque»
En juillet, Harmer a rédigé une étude largement diffusée montrant comment les États-Unis pouvaient endommager des installations militaires syriennes cruciales à bas prix sans faire courir quasiment le moindre risque aux soldats américains. «Cela pourrait être fait rapidement, facilement, sans aucun risque pour le personnel américain et à un coût relativement faible», expliquait-il. Cette étude proposait notamment des frappes à l’aide de TLAM (missiles d’attaque terrestre Tomahawk) lancés depuis des navires dans la Méditerranée.
Cette étude a immédiatement trouvé un écho chez les législateurs bellicistes du Capitole, frustrés par les options esquissées par le chef d’État-major des armées Martin Dempsey, qui demandaient un engagement considérable des forces militaires américaines se chiffrant en milliards de dollars.
«Si vous voulez le compte-rendu sérieux d’une option militaire limitée et réaliste envisageable en Syrie, je recommande chaudement une nouvelle étude publiée aujourd’hui par l’Institute for the Study of War», a déclaré le sénateur John McCain en juillet en faisant référence à l’étude de Harmer. «Cette nouvelle étude confirme ce que moi et de nombreux autres avançons depuis longtemps: qu’il est militairement faisable pour les États-Unis, nos amis et nos alliés d’endommager de façon significative les forces aériennes d’Assad à un prix relativement bas, avec de faibles risques pour nos hommes et dans un temps très court.»
«L’action punitive est la plus bête de toutes»
Toutes les frappes chirurgicales ne sont pas les mêmes, naturellement. Et il n’y a aucune garantie que le plan de frappe de l’administration Obama ressemble à celui de Harmer. Quoi qu’il en soit, ce dernier doute qu’une quelconque frappe chirurgicale ne produise les résultats escomptés —surtout si l’objectif est de punir le régime d’Assad d’avoir sans doute utilisé des armes chimiques.
«L’action punitive est la plus bête de toutes», affirme-t-il. «Le régime d’Assad a montré une résistance incroyable à la douleur et je ne crois pas que nous ayons vraiment envie de lancer une action punitive d’ampleur suffisante pour être dissuasive.»
Il doute également de l’efficacité d’une frappe visant les équipements d’armes chimiques d’Assad. «Si nous commençons à prendre pour cible les armes chimiques en Syrie, la réaction logique sera que s’il lui reste des réserves, il va les disperser parmi ses troupes si ce n’est déjà fait», continue-t-il. «Alors, vous arriverez après la bataille.»
John Hudson
Traduit par Bérengère Viennot