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Sommet de Moscou: Obama remet Kissinger au goût du jour, par Daniel Vernet

Temps de lecture : 3 min

Le président américain remet au goût du jour la Realpolitik chère à l'ancien secrétaire d'Etat de Richard Nixon.

Avec sa visite à Moscou, du lundi 6 au mardi 8 juillet, Barack Obama renoue avec les sommets Est-Ouest, même si les relations entre Washington et Moscou n'ont pas la même valeur centrale que pendant la guerre froide. Le temps n'est plus où un jeune président américain sans expérience internationale, John Kennedy, rencontrait, en 1961 à Vienne, un Nikita Khrouchtchev qui lui expliquait: «tout ce qui est à nous est à nous; tout ce qui est à vous est négociable». Le secrétaire général du PC soviétique s'apprêtait à installer ses fusées à Cuba.

La paix du monde ne dépend plus, en premier lieu, du duopole russo-américain. Malgré tout, le sommet de Moscou a un petit air de déjà vu. Non seulement parce que le sujet principal des entretiens entre Barack Obama et le président russe Dmitri Medvedev, auxquels se joindra certainement quand les choses deviendront sérieuses le Premier ministre Vladimir Poutine, porteront sur la réduction des arsenaux nucléaires, comme au bon vieux temps, mais aussi parce que Barack Obama a rejoint ce que Strobe Talbott, ancien sous-secrétaire d'Etat et président de la Brookings Institution, appelle «le courant principal» de la politique étrangère américaine, un mélange réaliste d'internationalisme et de défense des intérêts nationaux. Sous l'influence des néoconservateurs, George W. Bush avait eu tendance à céder au dogmatisme de l'unilatéralisme et au vertige du changement de régime dans les Etats «tyranniques».

Le nouveau président américain et ses conseillers ont au contraire procédé à une analyse stratégique complexe, qui souligne les interdépendances entre les diverses composantes et les divers acteurs. La politique qui en découle doit servir au premier chef les intérêts nationaux américains et c'est en fonction de cette considération que doivent être choisis les interlocuteurs et les éventuels compromis. Une des premières règles de cette politique est qu'il ne faut pas hésiter à parler avec les «méchants», s'ils peuvent jouer un rôle dans la solution de tel ou tel conflit, tout en évitant bien sûr de nourrir des illusions sur leur nature et leurs intentions.

Certains commentateurs américains retrouvent dans cette attitude une approche que ne renierait pas le chantre de la Realpolitik aux Etats-Unis, Henry Kissinger. L'ancien secrétaire d'Etat de Richard Nixon, l'artisan des accords de détente avec l'URSS et du rapprochement sino-américain, a d'ailleurs fait l'éloge à plusieurs reprises de l'analyse stratégique proposée par Obama, en attendant qu'elle se traduise en politique concrète.

Tout le monde a remarqué que dans son discours à l'université du Caire, le chef de la Maison blanche a déclaré que la création d'un Etat palestinien répondait à «l'intérêt national des Etats-Unis». C'est la première fois qu'un président américain employait cette expression qui donne une force particulière à l'engagement en faveur de cet Etat mais qui montre aussi où se situent les ressorts profonds de la politique américaine au Proche-Orient.

La dominante «contrôle des armements» au sommet de Moscou de cette semaine fait craindre que les sujets «périphériques», comme la guerre en Géorgie et ses séquelles, ne passent au second plan. La diminution des arsenaux nucléaires des deux pays par un traité prenant la suite de START I qui vient à échéance en décembre, est un pas plus que symbolique vers un monde sans arme nucléaire, un signal pour la lutte contre la prolifération et un message envoyé aux Etats qui voudraient se doter de la bombe.

Pour les réalistes, les relations américano-russes ont une importance qui dépasse les conflits gelés. Alors que Washington a besoin de Moscou pour chercher une solution à la guerre en Afghanistan et pour faire pression sur l'Iran, l'amélioration des rapports entre les deux capitales ne doit pas être l'otage de différends «marginaux».

Barack Obama devra donc utiliser toutes les finesses de sa rhétorique pour répondre à cet impératif sans donner l'impression aux Russes qu'il accepte l'ingérence de Moscou dans les anciennes républiques soviétiques. De même, les paroles qu'il saura trouver pour montrer à l'opposition démocratique en Russie qu'il ne la sacrifie pas sur l'autel d'une nouvelle «détente», seront attentivement scrutées. En recevant les diverses associations des droits de l'homme, il suffit qu'il prononce les mots «modernisation, liberté d'expression et respect des voisins». Tout le monde aura compris. Y compris au Kremlin.

Daniel Vernet

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