En remportant Wimbledon, dimanche 5 juillet, pour la sixième fois aux dépens d'Andy Roddick au terme d'une finale conclue au bout d'un insoutenable suspense de cinq sets (5-7, 7-6, 7-6, 3-6, 16-14), Roger Federer a ajouté une pierre supplémentaire au monument qu'est devenue sa carrière. Avec 15 titres du Grand Chelem à son actif, le voilà devenu le joueur le plus prolifique de l'histoire, devant Pete Sampras, vainqueur de 14 tournois majeurs.
L'Américain n'a pas semblé traumatisé de perdre son record si l'on en juge par le sourire radieux qu'il a affiché dans le Royal Box du Centre Court où il a assisté au nouveau sacre du Suisse sur le gazon anglais. Il est vrai que tout le monde aime Roger Federer et lui veut du bien, à commencer par son rival le plus tenace, Rafael Nadal, qui s'est toujours répandu en compliments sur celui qui lui chipe sa place de n°1 mondial au terme de ce Wimbledon. Le mois dernier, Nadal s'était dit heureux de voir Federer enfin gagner Roland-Garros et il y a fort à parier que le Majorquin, blessé et absent à Londres, s'est réjoui à nouveau de cette nouvelle victoire dans son jardin anglais.
Populaire, Federer l'est comme personne aujourd'hui et comme personne ne l'a peut-être été avant lui. Rares sont ceux qui osent affirmer qu'ils ne l'apprécient pas ou quand ils s'attaquent un peu à lui, c'est pour afficher des raisons aussi mystérieuses que: «ce type est trop parfait, ça cache quelque chose.»
Roger Federer est, en effet, parfait et c'est agaçant. Pour s'en apercevoir, il n'y a qu'à faire l'inventaire de cette saison 2009 qui est loin d'être finie et au cours de laquelle il visera notamment, en septembre, une sixième victoire... consécutive à l'US Open. En avril, Roger s'est marié avec Mirka, sa compagne depuis 2000. En juin, il a remporté Roland-Garros, tournoi qui lui avait toujours échappé. En juillet, il a donc battu le record de Pete Sampras et est redevenu n°1 mondial à l'issue de cette invraisemblable finale. Et dans quelques semaines, il s'apprête à devenir père pour la première fois. Comme l'on dit, ce n'est plus du jeu... Alors étonnez-vous qu'après on le regarde avec les yeux de Chimène. Tentative d'explication en cinq points de cette formidable cote d'amour.
1. Son palmarès
Pour qu'un sportif soit populaire, un palmarès n'est pas inutile. Celui de Federer est, on l'a dit, renversant. Il a tout gagné, à l'exception de la coupe Davis, à laquelle il n'a jamais donné trop de priorité, et l'or olympique en simple, qu'il rêve de décrocher en 2012 sur le gazon de Wimbledon. Parmi les records en tout genre qui sont en sa possession, citons-en un au-dessus des autres. Federer reste sur une série de... 21 demi-finales successives dans le Grand Chelem. Il faut remonter à l'édition 2004 de Roland-Garros, pour recenser un résultat inférieur à une demi-finale. Pour créer un lien avec le public, rien de mieux que la constance. Federer ne déçoit jamais ou si rarement. Il est présent aux rendez-vous. Il ne pose pas de lapin à ses supporters.
2. Son jeu
Si le jeu de Nadal peut ennuyer, dans la mesure où il repose sur des qualités essentiellement défensives, celui de Federer ne cesse de captiver en raison de son extrême richesse. Le Suisse est un créateur à la technique léchée qu'il déroule avec une aisance déconcertante en s'appuyant sur un déplacement de félin rendu possible grâce un physique idéal et élastique. Avec lui, le joueur se fait artiste pour la plus grande sidération d'un public qui peut avoir le sentiment que Federer invente parfois des coups. Federer ou le spectacle permanent.
3. Sa communication
Federer est polyglotte. Il parle le Suisse allemand, l'anglais et le français qu'il maîtrise certes moins bien que les deux autres langues. La perfection de son anglais, appris au contact de sa mère, Sud-Africaine, est notable et lui permet d'échanger avec le monde entier. Le spectacle de ses rendez-vous avec la presse est fascinant. Il prend la peine et le temps de donner trois conférences de presse en une seule, en jonglant avec les trois langues. Exercice qu'il réédite à trois reprises puisqu'il accepte de se démultiplier de la sorte pour la presse écrite, la télévision et la radio. «Vous êtes le lien avec les fans», a-t-il dit un jour au sujet des journalistes. On a connu des champions plus égoïstes, et moins soucieux du rôle des medias et donc du public.
4. Son éducation
Roger Federer pourrait marcher sur l'eau, mais il refuse de la ramener, même si ses initiales royales RF, inscrites sur sa casquette, en agacent certains. L'humilité, voilà l'un des ingrédients de l'extraordinaire popularité de ce champion resté accessible qu'il est difficile de prendre en flagrant délit de grosse tête. Il ne met pas une distance excessive entre lui et le commun des mortels. Il signe des autographes à tour de bras et quand on l'observe dans les coulisses d'un tournoi, il est toujours soucieux d'être poli et aimable avec tout le monde, y compris avec le «petit personnel». Cette bonne éducation transpire sur le court où son attitude est toujours irréprochable.
5. Sa normalité
Federer n'est pas un «monstre froid». La preuve: il pleure! C'est l'une des bizarreries de la vie de ce champion qui a souvent ému les foules à cause de ses larmes, qu'elles coulent quand il gagne ou quand il perd comme lors du dernier Open d'Australie. Federer ne mène pas non plus grand train. Sa vie personnelle se déroule loin de la jet-set qu'il ne fréquente pas. Pas d'anicroche, pas de scandale, pas de mauvais goût ostentatoire.
Une existence de Monsieur tout le monde auprès de Mirka à qui il est fidèle depuis neuf ans et qui ne ressemble pas aux habituelles top models qui accompagnent nombre de joueurs sur le circuit professionnel. Un homme comme les autres, mais un champion exceptionnel qui est allé jusqu'au bout de lui-même pour reprendre sa couronne à Wimbledon après 4h17 d'un mémorable duel. Cette fois, il y avait plus de larmes dans les yeux d'Andy Roddick que dans ceux de Roger Federer.
Yannick Cochennec