La course la plus rapide des championnats du monde de natation –et des Jeux olympiques– est le 50m nage libre. Lors des actuels mondiaux de Barcelone, les finales masculine et féminine de cette discipline, toutes les deux programmées ce samedi 3 août, s’annoncent, comme à chaque fois, spectaculaires et bouillonnantes d’écume même si les deux records du monde (20’’91 et 23’’73) établis en 2009 à l’époque des combinaisons en polyuréthane promettent de ne pas être battus.
Il y aurait pourtant un moyen de les effacer des tablettes sans artifice vestimentaire pour peu que les règles de la nage dite libre soient justement plus libres. En effet, la Fédération internationale de natation (Fina) impose à tous les nageurs de sortir la tête de l’eau après les 15 premiers mètres de la course. Mais il est probable que si cette limite était remise en cause en étant repoussée, voire carrément supprimée, le record du monde aurait toutes les chances de voler en éclats par la grâce notamment d’un mouvement qui permet aux nageurs de se propulser à grande vitesse sous l’eau: l’ondulation du dauphin.
L’ondulation du dauphin est un mouvement du corps qui part des pieds jusqu’à la tête et permet de se mouvoir avec une grande efficacité sous l’eau sachant que plus vous nagez en profondeur, plus cette technique est payante loin des remous de la surface.
Michael Phelps en a été l’un des utilisateurs les plus innovants au cours d’une carrière où la longueur de son corps (il mesure 1,93m) a été un vecteur de vitesse particulièrement performant que ce soit au départ après le plongeon ou consécutivement aux virages qui permettent de reprendre de la vitesse grâce au mur de la piscine que les deux pieds viennent frapper avec force.
Rajat Mittal, chercheur à la George Washington University, a étudié le phénomène Phelps avec précision et a indiqué qu’aucun autre nageur que lui parvenait à imprimer semblable ondulation du dauphin dont toute la force du mouvement serait tirée, à 90%, de l’action de ses longs pieds plats.
Ce type de nage sous-marine n’est pas nouveau, mais est désormais extrêmement codifié.
En 1988, l’Américain David Berkoff avait fait sensation à l’occasion des sélections américaines qualificatives pour les Jeux olympiques de Séoul. Lors de la même journée, cet étudiant de Harvard avait battu le record du monde du 100m dos à deux reprises en passant ses 35 premiers mètres sous l’eau au rythme d’ondulations dignes d’un mammifère marin et en nageant à nouveau une vingtaine de mètres en profondeur après le virage de la mi-course. Malheureusement pour lui, il avait été dominé à Séoul par un autre sous-marin venu du Japon, Daichi Suzuki, alors que la troisième place était revenue au Soviétique Igor Polianski devenu également un nageur surgissant des «abysses».
Il est amusant de revoir la course, dans la mesure où les trois premiers semblent avoir complètement disparu pendant une bonne partie de la première longueur.
La Fina n’avait pas tardé à réagir à l’époque en imposant, quelques mois plus tard, l’obligation de sortir de l’eau après 10m avant de se raviser en 1991 et de proposer 15m –distance toujours en vigueur.
Ce n’était pas la première fois qu’elle devait sévir sur le sujet. En 1956, le Japonais Masaru Furukawa avait été sacré champion olympique du 200m brasse à Melbourne en nageant presque toute sa course sous l’eau après avoir repris son souffle à l’occasion des virages. Cette brasse iconoclaste avait mis les dirigeants de la Fina en colère parce qu'elle s’engouffrait dans une faille du règlement. Ils condamnèrent la discrétion de ce style sous-marin tant elle était préjudiciable au spectacle en interdisant toute brasse sous-marine et tant elle était possiblement dangereuse pour ceux qui voulaient persévérer dans cette technique apnéique.
Au milieu des années 1990, quelques années après l’«affaire Berkoff», la polémique remonta à nouveau à la surface de l’eau. A l’époque, le Russe Denis Pankratov révolutionna le papillon en utilisant cette technique des départs sous-marins à l’image de sa victoire sur 100m lors des Jeux d’Atlanta en 1996 où la ligne dos n°5 sembla longtemps dépourvue de tout nageur.
Là encore, la Fina tapa du poing sur la table en 1998. Tout comme en dos et en brasse, le papillonneur, comme le crawler, se vit obligé d’émerger de l’eau 15m au plus après le départ et à chaque virage.
Pourtant, certains entraîneurs estiment que la nage dite libre devrait, comme l’indique son nom, se montrer plus tolérante et autoriser les innovations afin d’ajouter plus de piment aux courses. Comment ne pas imaginer, en effet, l’attente pleine de surprises des spectateurs lors d’un 50m nage libre qui serait couru en présence de coureurs adoptant un style de nage «classique» et ceux optant pour des coulées de 50m? Pourquoi ne pas imaginer cette course retransmise à la fois par une caméra extérieure et une autre sous-marine?
Evidemment, David Berkoff, devenu l’un des cadres de la fédération américaine de natation, est l’un de ces avocats de la tolérance, mais Stéphan Caron, médaillé de bronze sur 100m nage libre aux Jeux de Séoul et de Barcelone en 1988 et 1992, s’oppose, lui, à ce type de course.
«Je pense qu’il faut mettre une limite, sinon cela devient de la nage sous-marine et c’est un autre sport sans compter que cela présente également un danger pour la santé des nageurs.»
Il reconnaît néanmoins que les nageurs ont développé une technique d’ondulations sous l’eau extrêmement performante «qui leur permet d’aller plus vite que des nageurs en surface notamment dans les épreuves de dos».
«20 secondes et quelques dixièmes paraissent envisageables sur 50m, précise-t-il. Mais j’ai du mal à me projeter au-delà pour la simple et bonne raison que les nageurs sous-marins nagent moins de 10 secondes sur 25 mètres avec l’avantage du départ plongé mais il leur est très difficile de reproduire un deuxième 25 aussi rapide.»
Il est peu probable que la Fina revienne dans un proche avenir sur sa réglementation de la nage libre. Toutefois, elle vient de faire preuve d’ouverture, lors de son récent congrès général, en autorisant à l’avenir les compétitions de relais mixtes (deux hommes, deux femmes) lors des grands rendez-vous internationaux comme elle a admis, dès ces Mondiaux de Barcelone, la tenue d’une compétition de plongeon extrême. L’obligation de spectacle pourrait bien l’obliger un jour à réviser son jugement.
Yannick Cochennec