Il faut relire complètement la citation du pape François sur l’homosexualité qu’il a prononcée, lundi 29 juillet, dans l’avion qui le ramenait de Rio à Rome, lors d’une conférence de presse tout à fait inédite pour un pape. Interrogé sur la rumeur de l’existence d’un «lobby gay» au sein du Vatican, il a eu cette réponse qui a surpris par sa nouveauté de ton:
«On écrit beaucoup sur ce lobby gay. Je ne l’ai pas encore trouvé. Je n’ai encore rencontré personne au Vatican qui me montre sa carte d’identité avec écrit “gay”. On doit distinguer le fait d’être homosexuel, et le fait de faire partie d’un lobby, car les lobbies ne sont pas bons. Si une personne est homosexuelle, qui suis-je pour la juger? Le problème n’est pas d’avoir cette tendance, nous devons être frères. Le problème est de faire des lobbies, lobbies des affaires, lobbies politiques, lobbies des francs-maçons, c’est cela le problème le plus grave.»
«Si une personne est homosexuelle, qui suis-je pour la juger?»
Cette phrase du pape a été immédiatement relevée comme nouvelle et positive par des associations de gays aux Etats-Unis. On est loin de la dénonciation du «crime contre nature qui crie vengeance à la face de Dieu», qui était celle du pape Pie X (sanctifié) en 1910.
Le pape François ne met pas un terme à l’historique conflit entre l’Eglise et la population homosexuelle, mais sa déclaration dénote une bienveillance de ton et une compréhension inconnues, jusqu’à ce jour, à ce niveau de responsabilité dans l’Eglise. Ce n’est pas un changement de position, mais le souhait, qu’il faut saluer, d’une plus grande tolérance.
Abstinence
La doctrine catholique ne souffre aucune exception, ni distorsion, et la déclaration du pape François n’y contrevient pas: l’homosexualité est un péché grave. L’interdit est ancien et commun aux trois religions monothéistes –judaïsme, christianisme, islam– et figure en toutes lettres dans la Bible:
«Tu ne coucheras pas avec un homme comme on couche avec une femme. C’est une abomination» (Lévitique 18-22 )
L’église voit l’homosexualité comme un tabou –et l’un des plus anciens de l’humanité–, comme l’inceste. Dans son épître aux Romains (1-26), Saint-Paul, l’apôtre de Jésus, vise les homosexuels quand il dénonce les «passions déshonorantes» de la société de son temps.
Depuis, avec constance et violence, l’Eglise condamne les attitudes et «orientations» homosexuelles. Elles sont qualifiées, dans le Catéchisme universel de 1992, d’«objectivement mauvaises et désordonnées». Mais elle exige le respect des personnes homosexuelles et le rejet de toute homophobie. C’est une vieille pratique de la morale catholique, jugée hypocrite par ses adversaires, de toujours distinguer entre les «actes», qui peuvent faire l’objet d’un jugement moral, et les «personnes» qui échappent au jugement sur l’acte.
Les «actes» homosexuels ne sont pas tolérés par le magistère catholique parce qu’ils sont contraires à la «loi naturelle» voulue par le Créateur (Dieu) et dépourvus de toute visée procréatrice. Comme on peut le lire dans es documents venus en nombre du Vatican, qui poussent à l’abstinence ceux qui ont une relation durable avec un partenaire de même sexe:
«Ils ne procèdent pas d’une complémentarité affective et sexuelle véritable. Ils ferment l’acte sexuel à la procréation et au don de la vie.»
Préservatif et mariage gay
Rouverte avec l’épidémie du sida et l’interdit du préservatif par l’Eglise, la guerre entre les catholiques et la communauté gay n’a cessé de s’amplifier, ces vingt dernières années, avec la montée des revendications en faveur des unions de même sexe et les premiers succès obtenus dans l’égalité des droits au mariage et à l’homoparentalité.
La condamnation du Vatican est constante, répétée, intangible. En juin 2003, après la reconnaissance du mariage gay par les Pays-Bas et la Belgique, la congrégation de la doctrine de la foi à Rome déclare que le respect dû aux personnes homosexuelles n’implique pas d’accepter les «unions» homosexuelles et encore moins leur reconnaissance légale, sauf à porter atteinte à la cellule familiale obligatoirement composée d’un homme et d’une femme.
Forts de ce «veto» venu d’en haut, les militants catholiques ne vont plus se limiter à des condamnations de principe, mais user de tous les moyens de pression et d’influence pour faire échouer ces projets. Comme on vient de le voir en France avec la longue bataille sur le «mariage pour tous», la hiérarchie catholique et les associations familiales sont à la pointe des manifestations de rue hostiles au mariage homosexuel.
En novembre 2005, le Vatican heurte à nouveau la communauté gay dans un document qui rend les homosexuels inaptes au sacerdoce. Des dispositions sont publiées pour interdire l’accès aux séminaires de jeunes hommes qui présentent «des tendances homosexuelles profondément enracinées ou qui soutiennent la culture gay». Inspiré par une vision très négative de l’homosexualité, décrite comme «une immaturité foncière de la sexualité humaine», ce texte est considéré comme une déclaration de guerre par les communautés gay à travers le monde, qui craignent la diffusion d’un climat de délation dans un clergé où sont présents des pourcentages plus ou moins élevés d’homosexuels (25% aux Etats-Unis, selon le prêtre Donald Cozzens).
Le pape François ne s’est encore jamais expliqué sur ce sujet, ni sur celui des mariages gay. Interrogé dans l’avion de Rio à Rome, il a seulement déclaré que la position de l’Eglise sur le mariage était bien connue, mais il n’en a pas dit plus ni dans cette conférence de presse, ni devant les jeunes de Rio, ni devant les groupes d’évêques qu’il reçoit régulièrement à Rome.
Il ne faut pas conclure de ces silences, ni de la déclaration sur l’homosexualité faite dans l’avion par le pape François, à un changement de cap, voire à un proche réexamen de la position de l’Eglise. Mais on peut y voir une condamnation renouvelée de toute attitude discriminatoire et la promesse de propos plus mesurés et d’une approche plus nuancée dans l’appréciation d’un phénomène que l’Eglise a toujours considéré comme une déviance grave.
Henri Tincq