Culture

Hollywood peut-il se désintoxiquer du blockbuster?

Temps de lecture : 7 min

Certaines très grosses productions boivent la tasse, des «petits» films cartonnent, Steven Spielberg et George Lucas prédisent la fin des blockbusters et la fin du cinéma tel qu'on le connaît. Les majors ont des raisons de s'inquiéter. Mais les indépendants encore plus.

Pacific Rim. © Warner Bros Pictures.
Pacific Rim. © Warner Bros Pictures.

C’est l’été des (apparentes) remises en question à Hollywood. Ou plutôt, plusieurs interrogations se mêlent, suscitant à la fois un sentiment généralisé d’inquiétude et pas mal de confusion. A l’origine de ce remue-ménage, un nombre inhabituel de très grosses productions qui connaissent un échec cinglant au box-office, tandis que quelques films aux budgets modestes tirent leur épingle du jeu.

After Earth de M. Night Shyamalan avec Will et Jaden Smith et Pacific Rim de Guillermo Del Toro, déjà sortis en France, White House Down de Roland Emmerich avec Channing Tatum et Jamie Foxx, Lone Ranger de Gore Verbinski avec Johnny Depp (le duo gagnant des Pirates des Caraïbes), RIPD avec Jeff Bridges et Ryan Reynolds, tous productions à plus de 150 millions de dollars, se ramassent au box-office. Dans le genre mégaspectacle à effets spéciaux et explosions tous azimuts, seul le miraculé World War Z (à qui tous les analystes avaient prédit un sort encore pire) est un succès.

Deux événements sans rapport direct viennent alimenter commentaires inquiets et appels à un autre schéma. Le premier est le succès du petit film d’horreur The Conjuring (sortie en France le 21 août), en tête des entrées alors qu’il n’a couté «que» 20 millions de dollars. Son réalisateur, James Wan, spécialiste de ce genre de coup (son Insidious avait couté 1,5 million et rapporté 54 millions) est en passe de devenir un modèle alternatif pour certains dirigeants de Studios.

De plus en plus chers, de plus en plus formatés

Le deuxième événement est la fameuse conférence donnée à USC (University of South California) par Steven Spielberg et George Lucas le 13 juin, où ils annoncent un effondrement des superproductions à très haut budget (ce que prédisent depuis des mois, sinon des années, des cabinets d’analyse financière spécialisés), le rétrécissement des salles à un marché de luxe à prix élevés pour classes moyennes ++, et la migration des films grands publics sur les écrans personnels.

Intitulé «Pourquoi les Studios doivent en finir avec leur obsession des méga-budgets», un article très complet d’Andrew Stewart dans le principal média corporatif de Hollywood, Variety, met en évidence les risques de cette dérive sur des produits de plus en plus chers et de plus en plus formatés, répétant à l’infini les mêmes formules. Il donne aussi une des raisons pour lesquelles les choses ne vont pas changer aussi rapidement que certains l’annoncent: le cinéma tel qu’il se pratique dans les Studios est une activité lourde et lente.

En 2011, rappelle Stewart, l’industrie a connu un premier grave trou d’air du même type, et des voix se sont élevées pour mettre en garde contre des projets trop chers et trop répétitifs. A ce moment là, tous les gros films qui échouent cet été étaient déjà entrés en production, et il n’était pas question de revenir en arrière.

De même, les blockbusters des prochaines années sont déjà en cours de fabrication, et l’été 2015 est prévu pour connaître un embouteillage encore pire avec notamment la suite des Avengers et Les Pirates des Caraïbes 5 chez Disney, Independence Day 2 chez Fox, Les Schtroumfs 3 chez Sony et Terminator on ne sait plus combien chez Paramount.

Pour ne rien arranger, malgré plusieurs tentatives, les Studios ne sont pas parvenus à mieux répartir les sorties dans l’année, les périodes fin mai-début août et décembre restant tellement plus porteuses qu’il est difficile de choisir d’autres dates pour de si lourds investissements.

Ces sommes faramineuses font vivre des dizaines de milliers d'employés

Il manque, comme toujours lorsque les professionnels parlent du coût des films, un autre motif pour expliquer qu’il sera difficile de bloquer cette tendance aux énormes budgets afin de «changer de paradigme», selon la formule de Spielberg à USC: lorsqu’un film «coûte» 250 millions de dollars, cela signifie que ceux qui font partie de l’establishment hollywoodien – les vedettes, mais aussi les producteurs, les agents, les réalisateurs et les techniciens cotés, les wizzards des effets spéciaux, les sociétés de marketing et de relations publiques – empochent la plus grande partie de ces sommes faramineuses, qui par ailleurs font aussi vivre des dizaines de milliers d’autres employés du showbizness.

Il en faudra beaucoup pour que tout ce monde-là décide de faire autrement.

Plusieurs questions se posent alors. La première concerne la capacité du marché non-américain à absorber les produits extrêmement onéreux: l’«outre-mer», comme Hollywood nomme le reste du monde, représente déjà plus de 70% des recettes globales, et si le marché domestique est difficile, l’étranger reste très porteur pour les superproductions américaines, notamment en Asie et en Amérique latine.

La deuxième question serait: de quoi parlons-nous? Spielberg, Lucas, Variety, et à leur suite la grande majorité des commentateurs procèdent par une série de substitutions ou de fausse équivalences, qui posent Hollywood=cinéma américain (quid du cinéma américain indépendant?)=cinéma en général.

L’histoire de Hollywood est au contraire l’histoire d’un système qui a toujours su, après être allé au bout de ses excès (pour le grand profit de ses membres), se régénérer grâce à l’apport d’indépendants marginalisés mais pas détruits. Nul ne connaît mieux que Spielberg et Lucas ce processus, eux qui furent, avec quelques autres (Coppola, Scorsese, Cimino, Schrader…) les artisans d’une renaissance de Hollywood alors plongée dans une crise au moins aussi profonde, et qui surent tirer le plus d’avantages possibles du système rebâti – à la différence de leurs copains d’alors.

Bien sûr, un élément-clé a changé depuis l’éclosion du «Nouvel Hollywood» au tournant des années 70-80: les lieux et les modes d’accès aux films. Tandis qu’aux écrans de télévision s’ajoutaient ceux de ordinateurs, des téléphones et des tablettes, tandis que le haut débit et les méga-banques de données rendaient accessibles la plupart des films à un très grand nombre de possibles consommateurs, les salles de cinéma étaient reconfigurées, aux Etats-Unis plus massivement qu’ailleurs, pour accueillir de manière privilégiée un seul type de produits: les blockbusters.

La salle de cinéma est un sport de combat

Pourtant, il existe des circuits alternatifs aux Etats-Unis mêmes, et on peut s’étonner que des gens comme le producteur et le réalisateur d’Indiana Jones envisagent de se replier sur la VOD plutôt que d’agir en leur faveur: le seul circuit alternatif à l’hégémonie des mégaplexes en Amérique aujourd’hui, c’est le très considérable ensemble de salles sur les campus.

Se trouvant dans une des universités qui ont été une pépinière de jeunes réalisateurs aux Etats-Unis, Spielberg et Lucas auraient pu s’en souvenir. Par antiphrase, leur analyse (en grande partie fondée, mais pour le seul système hollywoodien) et leur prédiction (discutable) prouve que la salle de cinéma demeure l’enjeu d’un combat décisif en matière de diversité.

Cette diversité est loin d’avoir été abandonnée aux Etats-Unis mêmes. Elle prend des visages différents: il existe, à New York bien sûr, mais aussi à Austin au Texas, à Portland, à la Nouvelle-Orléans et ailleurs, des jeunes et moins jeunes réalisateurs qui font des films et se débrouillent pour les faire voir – aussi sur grand écran.

Et à l’autre bout du spectre, Steven Spielberg lui-même a dû se bagarrer pour sortir dans des conditions décentes son Lincoln. Et il prépare aujourd’hui un remake des Raisins de la colère dont on ne sait quel sera l’intérêt en terme de questionnement politique contemporain, au-delà de l’hommage non seulement à John Ford mais à une certaine veine d’un cinéma social américain, et même hollywoodien (Chaplin, Capra, Borzage, King Vidor…), mais qui n’est en tout cas pas une recette à faire un maximum de fric, et qui aura à son tour du mal à trouver sa place dans les multiplexes.

Deux événements récents dessinent moins la dissolution (melting down) annoncée par les duettistes de USC qu’un émiettement des modèles –parmi lesquels les mégabudgets ne tendraient pas à disparaître, mais à se concentrer encore plus systématiquement sur une formule préétablie. Les gros films qui se sont plantés étaient des «idées originales» (il faut le dire vite), pas des franchises.

Celles-ci, à commencer par les histoires de super-héros, ont toujours un bel avenir devant elles – et les deux plus gros succès de l’été sont le dernier en date des Superman (Man of Steel) et Iron Man 3, grand champion avec 1,2 milliard de recettes dans le monde. Du 18 au 21 juillet s’est tenu à San Diego le 43e Comic Con, grande foire de la culture populaire américaine, où les Studios ont annoncé le lancement de nombreux autres superproductions avec bonshommes en collants et superpouvoirs (dont un qui réunira Superman et Batman).

Ces films-là (et les dessins animés à héros récurrents) rassurent les financiers, ils en sont pas prêts de disparaître, et ils sont toujours destinés aux multiplexes (avec des places bon marché), pas seulement à la VOD.

Mais y aura-t-il encore des écrans pour d’autres types de films? Pratiquement au même moment, Spike Lee annonçait que lassé de chercher les financements de son prochain film auprès des Majors, il avait décidé de le financer à la hauteur (très modeste) de 1,25 million de dollar sur Kickstarter, l’un des principaux sites de crowdfunding.

Affirmant qu’aujourd’hui Universal ne produirait plus Do the Right Thing, le réalisateur affirme sur sa page de Kickstarter:

«Je mourrai en croyant toujours qu’il y a des spectateurs qui désirent des choses différentes (des blockbusters). Il ne s’agit pas d’éradiquer ces films à base de 3D, de catastrophe planétaire à la Transformers. Ils sont cool, mais maintenant, on dirait qu’on ne peut plus faire que ça.»

La véritable question, pour Lee, n’est pas de trouver de l’argent, ce sera, le moment venu, de trouver des salles.

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