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Exigeons le retour du contre-la-montre en épilogue du Tour de France!

Temps de lecture : 4 min

Organiser une telle épreuve le dernier jour nous permettrait de revoir des duels de fin de Grande Boucle façon Anquetil-Poulidor cuvée 1964 et LeMond-Fignon millésime 1989.

Greg LeMond et Laurent Fignon en 1989. L'Américain avait 50 secondes de retard au classement général sur le Français. Il l'emportera de 8 secondes à l'issue du contre-la-montre. REUTERS
Greg LeMond et Laurent Fignon en 1989. L'Américain avait 50 secondes de retard au classement général sur le Français. Il l'emportera de 8 secondes à l'issue du contre-la-montre. REUTERS

Les passionnés du Tour de France n’ont pas oublié ce dimanche 23 juillet 1989. Et ceux qui n’étaient pas nés ou suffisamment grands pour vivre ce moment suffocant de sport en ont certainement entendu parler. Ce jour-là, pour 8 misérables secondes, soit l’équivalent de 80m après 3.285 kilomètres de course, l’Américain Greg LeMond avait arraché le maillot jaune des épaules de Laurent Fignon, leader pour 50 secondes au matin de cette 21e et ultime étape composée d’un contre-la-montre individuel de 24,5 kilomètres entre Versailles et les Champs-Elysées.

Le matin de la course, il était difficile d’anticiper l’issue dramatique tant le petit matelas chronométrique de Fignon devait le mettre, en principe, à l’abri d’un retour de LeMond muni, certes, d’un guidon dernier cri de triathlète. En traversant la Place de la Concorde, Fignon, gêné par une blessure à l’entrejambe, était encore maillot jaune pour une poignée de secondes. En arrivant au sommet des Champs-Elysées au terme d’un interminable faux plat et d’un insoutenable suspense, il en avait été dépossédé à la stupéfaction de tous, à commencer par celle de l’Américain dont le bonheur ahuri éclatait à la une de L’Equipe du lendemain.

1989, année décidément très spéciale aux Champs-Elysées puisqu’il s’agissait de celle du bicentenaire de la révolution fêté en grande pompe neuf jours plus tôt sur la même avenue au gré de la fantaisie de Jean-Paul Goude.

Ce n’était pas la première fois que le Tour de France se terminait le dimanche par un contre-la-montre individuel et dans une telle vague d’émotions. En 1968, le Néerlandais Jan Janssen avait profité des 58 kilomètres entre Melun et la Cipale, à Vincennes, où était jugée l’arrivée, pour renverser le Belge Herman Van Springel. Ce dernier, qui avait 16 secondes d’avance sur son poursuivant, perdit le Maillot jaune pour 38 secondes.

En 1964, le célèbre duel Jacques Anquetil-Raymond Poulidor avait connu un bouquet final aussi ébouriffant lors d’un autre contre-la-montre ultime, mais sans inverser le cours des événements. Anquetil avait un avantage de 14 secondes avant de s’élancer entre Versailles (encore) et la piste du Parc des Princes, soit 27,5 kilomètres. Dans un duel à distance suivi par le pays tout entier, Poulidor était revenu à 3 secondes lors d’un temps intermédiaire, mais avait fini battu pour 55 secondes au classement général.

En effet, ce final constitué d’un contre-la-montre le dernier dimanche a été une tradition annuelle de 1964 à 1973 (en 1972 et 1973, il s’agissait d’une demi-étape contre-la-montre programmée le matin avant un sprint collectif l’après-midi alors que ce programme avait été, par exemple, inversé en 1964 et 1968).

Puis en 1976 et 1977, alors que l’arrivée avait été jugée pour la première fois sur les Champs-Elysées en 1975 à l’initiative de Yves Mourousi qui l’aurait suggéré à Valéry Giscard d’Estaing après avoir discuté de l’idée avec Jacques Goddet et Félix Lévitan, les dirigeants du Tour de France de l’époque, le dernier chrono individuel revint au goût du jour, mais sur les six kilomètres seulement du circuit de la plus belle avenue du monde. Là encore, il s’agissait d’une demi-étape, avec un bref chrono en matinée lors d’une sorte de «prologue» transformé en épilogue, avant une course en ligne éclair l’après-midi, dans l’esprit d’un critérium ou d’une kermesse.

Etrangement, depuis 1989, et malgré le succès monumental du finish entre Fignon et LeMond, le Tour de France s’est privé depuis de cet éventuel élément de suspense. Le «juge de paix» du dernier contre-la-montre est désormais placé le plus souvent soit le vendredi, soit le samedi précédant l’issue de la Grande Boucle. Cette année, il était même avancé au mercredi, entre Embrun et Chorges.

Jean-Marie Leblanc, qui entra en 1988 dans l’organisation du Tour du France dont il devint le directeur général de 1994 à 2006, ne pense pas qu’un contre-la-montre le dernier jour soit une bonne idée:

«En 1989, j’estimais au départ que c’était une erreur d’avoir fait cette programmation même si je comprenais le caractère historique, ce chemin Versailles-Paris, à la mode la révolution. Mais cela s’est avéré un coup de génie. Tant mieux! Cela n’a pas été réédité parce que les Champs-Elysées, cela doit être la fête des coureurs célébrés par toute la foule de Paris. Un contre-la-montre reste fastidieux et ne correspond pas à l’idée de cette joyeuse note finale.»

Dimanche, donc, entre Versailles et Paris (133 kilomètres), l’arrivée du Tour de France se fera, en principe, sans la moindre émotion particulière lors d’une étape en ligne réglée comme du papier à musique. Depuis 1975, l’ultime épisode de la Grande boucle s’est terminé 34 fois sur 38 lors d’un sprint massif et n’a jamais réservé de très grands moments à quelques exceptions près.

En 1979, les deux premiers au classement général, Bernard Hinault et le Hollandais Joop Zoetemelk, avaient réussi de façon stupéfiante à se faire la belle, le Français réglant son rival au sprint. En 1975, Eddy Merckx, deuxième, avait osé aussi attaquer Bernard Thévenet, Maillot jaune pour moins de trois minutes, dans les premiers kilomètres de la dernière étape, mais le coup de poker Belge avait échoué. Depuis, comme un code d’honneur à respecter, il est de tradition de ne plus défier le Maillot jaune en abordant la Capitale.

En 1991, dans une folle embardée, le sprinter ouzbek Djamolidine Abdoujaparov, maillot vert cette année-là, avait heurté, lui, un plot publicitaire et le pied d’une barrière des Champs-Elysées et s’était affalé, le visage sur la chaussée, par grande vitesse. Terribles images de douleur et de sang, mais qui ne laisseront jamais autant de traces que celles du bonheur de LeMond et de la désillusion de Fignon qui écrira un jour dans un livre de souvenirs:

«Pendant un long moment, la défaite resta en dehors de mon être

Mais elle n’est jamais sortie de nos mémoires comme ce contre-la-montre qu’il sera bien temps de nous resservir un jour comme un dessert trop rare.

Yannick Cochennec

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