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Dopage sur le Tour: et si l’effet EPO n’était que placebo?

Temps de lecture : 4 min

L'effet de l'EPO sur les sportifs n'a pour des raisons évidentes jamais été scientifiquement documenté. Mais une étude publiée dans une revue britannique conduit à poser cette question provocatrice et à plaider pour que des essais cliniques soient menés sur la réelle efficacité de ce dopage.

Entre Aix-En-Provence et Montpellier, le 4 juillet 2013. REUTERS/Jean-Paul Pelissier
Entre Aix-En-Provence et Montpellier, le 4 juillet 2013. REUTERS/Jean-Paul Pelissier

Tous les sportifs qui prennent de l’EPO (et ceux qui leur donnent) ne savent pas ce qu’ils font. Entendons-nous: ils savent qu’ils trichent mais ils n’ont aucune connaissance réelle, précise, de ses effets. Avec la multiplication des affaires, chacun sait aujourd’hui que la fonction naturelle de l’hormone érythropoïétine est de stimuler la production des globules rouges de l’organisme. On sait aussi que depuis (au moins) un quart de siècle elle est produite à partir des techniques de recombinaison génétique et commercialisée à cette même fin.

Tout est parfaitement connu et codifié chez les malades anémiés. Mais que peut-il bien en être dans des organismes sains –et plus encore dans ces organismes si particuliers, paradoxalement excessivement fragiles, que sont ceux des athlètes de haut niveau?

Dans les premières années de son usage à des fins de dopage, les «médecins» et autres «préparateurs» évoluant dans les milieux des sports d’endurance (le cyclisme certes, mais pas seulement le cyclisme) ont dû apprendre à manipuler cette substance. Administrée en trop grandes quantités ou de manière inopportune, elle peut très vite être à l’origine de troubles de la viscosité sanguine et d’accidents cardiovasculaires. Des cas ont été observés sinon toujours documentés. Mais pour le reste? Une molécule efficace pour corriger une pathologie est-elle également efficace pour «améliorer» le normal?

S’intéresser au sport en général et à cette question en particulier fait que l’on ne peut pas faire l’économie de la lecture d’une bien dérangeante étude. Elle est publiée dans le (peu fantaisiste) British Journal of Clinical Pharmacology. On en trouvera ici (en anglais) la version complète. «Aujourd’hui, quand un coureur cycliste se met à monter les cols avec une fréquence de pédalage inhabituelle, on soupçonne immédiatement qu’il est “chargé comme une mule” et que, comme disent les commentateurs, “la patrouille ne l’a pas encore rattrapé”. Discours et comportement débiles», écrit Philippe Eveillard sur son blog, référencé au sein du clubdesmédecinsblogueurs.com.

A lire, notre dossier dopage et performance

Il y cite cette étude British Journal of Clinical Pharmacology; étude largement passée inaperçue lors de sa publication online (mai 2013) tout comme lors de sa publication papier (juin 2013). Etude troublante en ce qu’elle vient semer le doute sur la réalité des propriétés dopantes de l’EPO «dans la vraie vie» des coureurs cyclistes. Ce travail a été dirigé par trois chercheurs et médecins universitaires de Leiden (Pays-Bas): Jules A. A. C. Heuberger, Jacobus Burggraaf et Adam F. Cohen. Pour Philippe Eveillard, la synthèse des dix pages (et 165 références bibliographiques) de la revue effectuée par les auteurs néerlandais peut être résumée en cinq points principaux.

1. Jusqu’à présent, les recherches menées sur «EPO et performance» ont porté principalement sur le paramètre «consommation maximale d’oxygène» (VO2 max).

2. Les cyclistes professionnels ne se distinguent pas par leur VO2 max, mais par leurs seuils (lactique et ventilatoire) élevés et par l’efficacité de leur «allure» (sur un vélo, pour ne pas traîner en queue de peloton, il faut être «dans l’allure»).

3. Dans les courses cyclistes professionnelles comme dans les courses contre la montre, la performance est étroitement liée aux paramètres des efforts sous maximaux (seuils lactique et ventilatoire, seuil d’accumulation des lactates). Ce sont eux qui devraient être pris en compte pour apprécier l’effet ergogénique de l’EPO.

4. Dans une course cycliste, la durée de pédalage à intensité maximale est très réduite. Par exemple, dans la montée d’un col «hors catégorie», un coureur du Tour de France a une fréquence cardiaque au-dessus du seuil d’accumulation des lactates pendant seulement 119 secondes (3,6% du temps de la montée).

5. Les caractéristiques des populations habituellement étudiées pour établir un rapport entre EPO et performance ne sont pas celles concernées directement par le dopage (les cyclistes professionnels).

Pour les auteurs, la situation qui prévaut aujourd’hui avec l'utilisation de l’EPO chez les athlètes est similaire aux nombreuses formes de traitement médicamenteux en vigueur alors qu’ils n’ont pas fait leurs preuves. A ce titre, et faute de démonter leur efficacité, ils devraient être abandonnés. Et ces auteurs de plaider pour la mise en œuvre d’un essai clinique contrôlé dans les conditions de compétition – during real-life circonstances.

Ils se disent conscients que les preuves indiscutables qui seraient ainsi apportées ne seraient pas de nature à obtenir l’éradication de l’usage prohibé de l’EPO – a fortiori si le bénéfice objectivement obtenu était majeur (ce qui n’a pas été scientifiquement établi jusqu’à présent. En revanche si le bénéfice était mineur, voire nul, la lutte contre le dopage s’en trouverait facilitée. «Disposer de preuves scientifiques de haute qualité serait toujours préférable à la situation actuelle, dans laquelle les athlètes risquent leur carrière et santé avec l'utilisation irrationnelle d'une substance», concluent-ils.

Sans doute. On peut toutefois raisonnablement penser que ces chercheurs et médecins font ici preuve d’une certaine naïveté. Peut-être est-ce, chez ces citoyens néerlandais, une manifestation de la passion du cyclisme. Il est difficile en effet d’imaginer que des essais comparatifs sur l’efficacité de l’EPO et sur ses modalités d’utilisation n’ont pas déjà été menés dans les milieux de sports d’endurance les plus directement concernés par cette forme de dopage. Essais ont les résultats n’ont bien évidemment jamais été publié dans les revues scientifiques internationales.

Et comment demander un essai clinique mené dans les règles de l’art (tirage au sort des volontaires et méthode dite du «double aveugle») pour une pratique officiellement condamnée par des fédérations sportives, des réglementations nationales et l’Agence mondiale antidopage? Qui le financerait et qui la validerait? Pour autant, ce travail conduit à soulever une autre question, rarement abordée d’un point de vue scientifique tant dans le domaine de la médecine officielle que de la pratique du dopage: celle de l’effet placebo.

Le seul fait de croire en la puissance de l’EPO a t-il pour effet d’augmenter les capacités musculaires, pulmonaires et cardiovasculaires d’un coureur cycliste même si l’injection pratiquée n’en contient pas? Et dans ce cas faudrait-il considérer que ce coureur est dopé? C’est là un assez joli sujet, sinon de publication, du moins de réflexion.

Jean-Yves Nau

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