Qu’on les décline en Intercités (comme le Paris-Limoges accidenté vendredi à Brétigny-sur-Orge), Téoz ou Lunéa pour des besoins de communication, les trains Corail et les services qu’ils assurent ont longtemps été les laissés-pour-compte du chemin de fer français.
Les conseils régionaux se concentrent sur la qualité des TER dont ils ont la charge en tant qu’autorité organisatrice, une compétence que leur confère la loi d’orientation des transports intérieurs (LOTI) de 1982. La SNCF s'est concentrée sur le succès de son TGV, modèle de transport de masse à grande vitesse sur lequel elle a bâti sa réputation au niveau mondial. Mais pour les transports interrégionaux, réalisés sur le réseau historique avec des trains conventionnels à des vitesses réduites, rien.
Pour les élus régionaux, ils présentent peu d’intérêt politique, concernant des voyageurs migrant à l’extérieur de leur circonscription. Pour la SNCF, ils génèrent des déficits à cause d’une fréquentation qui ne justifierait pas la fréquence des services proposés si l’opérateur n’y était pas contraint par sa mission de service public.
Tant que, par sa situation de monopole, la SNCF pouvait opérer des péréquations internes, les recettes du TGV venant combler les trous des services Corail, tout le monde fermait les yeux. Les passagers du TGV subventionnaient ceux des services classiques sur lesquels on maintenait une qualité de service plutôt minimaliste. Mais enfin, les services étaient assurés.
Avec la libéralisation des transports ferroviaires et l’obligation pour la SNCF de parvenir au moins à équilibrer ses comptes, la péréquation interne devint un casse-tête pour l’opérateur public obligé de faire face à des services déficitaires dont ses concurrents potentiels n’ont pas la charge. Et les voyageurs du TGV devenant de plus en plus sourcilleux à l’annonce des augmentations tarifaires, cette péréquation devint de plus en plus difficile à réaliser.
Déjà, le transport de fret s’est enfoncé dans les pertes que le transport de voyageurs doit, d’une façon ou d’une autre, compenser. L’équilibre financier, reposant sur deux piliers – le TGV d’une part, les conventions TER négociés avec les Régions d’autre part— devenait inaccessible…
Des trains besogneux au service de la cohésion territoriale
C’est alors que pour sauver ces lignes qui jouent un rôle éminent au service de la cohésion territoriale et du désenclavement pour quelque 100.000 voyageurs quotidiens, l’Etat intervint. Il identifia une quarantaine de ces lignes qu’il éleva au rang de ligne d’équilibre du territoire, et acquit lui-même —comme les Régions dans leur territoire— le statut d’autorité organisatrice.
Un nouvel échelon pour compliquer un peu plus l’usine à gaz du système ferroviaire français? Presque… mais pas tout à fait. L’Etat puise, dans cette pirouette, la légitimité pour réclamer à la SNCF qu’elle garantisse la pérennité des lignes en question. Et il peut même lui fixer des obligations de qualité de service, tout en lui accordant en contrepartie les compensations financières pour que ces services ne soient plus assurés à perte par la SNCF.
Voici comment un nouveau cadre conventionnel a vu le jour pour officialiser des subventions d’un nouveau type sans blesser Bruxelles. Une convention, relative à l’exploitation des trains d’équilibre du territoire (TET) a donc été signée entre l’Etat et la SNCF en décembre 2010 pour la période 2011-2013.
Par la même occasion, les trains Corail, Intercités, Téoz et Lunéa —tous de vieux trains au design péniblement rafraîchi pour manifester le nouvel engagement de l’Etat sur les relations interrégionales— entraient ensemble dans la catégorie des TET. Mais surtout, la SNCF pouvait accomplir sa mission de service public sans la prendre entièrement à sa charge ni répercuter l’intégralité des coûts sur les prix des billets: l’Etat, autorité organisatrice, la rémunérerait désormais pour les services réalisés.
Les recettes tirées de la vente des billets de train ne représentant que 80% du coût de fonctionnement de ces trains, explique le Sénat, les 20% restants sont maintenant attribués sous forme de compensation grâce à la création par l’Etat d’un compte d'affectation spéciale. Celui-ci est abondé par les sociétés concessionnaires d’autoroutes et par les entreprises de transport ferroviaire… dont la SNCF, ce qui ne simplifie pas la compréhension du mécanisme.
Une crédibilité à restaurer
Même face à un chiffre d’affaires de la SNCF de 33,8 milliards d’euros l’an dernier, le montant de cette subvention n’a rien d’anecdotique. Pour l’année 2012, elle devait ainsi se monter à 280 millions d’euros (70 millions de plus qu’en 2011). Dont 187,7 millions affectés à l’exploitation des services nationaux conventionnés. Et 92,3 millions aux matériels dédiés à ces services.
Car le renouvellement du parc de ces trains interrégionaux est devenu une ardente obligation: leur âge moyen est de 35 ans, ce qui suppose pour les plus anciens un état de vétusté avancé. Il suffit d’y voyager pour le constater. Normalement, précise le ministère des Transports, de très larges investissements doivent être réalisés «à compter des années 2014-2015».
Toutefois, on pouvait craindre quelques retards. Ainsi, commentant son activité en 2012, la direction de la SNCF signalait que la prolongation d’un an de la convention d'exploitation des TET, qui devait normalement arriver à échéance fin 2013, avait été prolongée d’un an. «Ce délai supplémentaire sera notamment mis à profit par les deux parties pour engager les premiers renouvellements de matériels roulants qui devront intervenir dans les deux prochaines années», expliquait-elle. C’est maintenant devenu une priorité.
Car suite à la catastrophe de Brétigny-sur-Orge, la SNCF doit maintenant restaurer sa crédibilité en matière de sécurité et prouver la qualité des engagements. Des gages vont devoir être donnés aux voyageurs des TET pour leur démontrer qu’ils sont pris en charge avec la même considération que les voyageurs des TGV. Cela quelle que soit la responsabilité qui incombe au matériel roulant dans cette tragédie, ce que les trois enquêtes diligentées devront établir.
Gilles Bridier