Culture

Roy Lichtenstein, le banal sublimé

Temps de lecture : 5 min

Une rétrospective, présentée au Centre Pompidou à Paris, fait du maître du Pop Art l'égal d'Andy Warhol.

Du 3 juillet au 11 novembre 2013, rétrospective Roy Lichtenstein au Centre Pompidou à Paris.
Du 3 juillet au 11 novembre 2013, rétrospective Roy Lichtenstein au Centre Pompidou à Paris.

«Est-il le pire artiste de l’Amérique?», se demandait en 1964 Life Magazine. Le très respecté magazine américain s'interrogeait sur Roy Lichtenstein, une photo le montrant au centre de ses toiles largement inspirées des «comics», les bandes dessinées américaines des années 1940-50. L’artiste américain avait lui-même déclaré quelques mois plus tôt, par provocation et non sans une certaine candeur, vouloir faire un art «si méprisable que personne ne voudra l'accrocher».

Les débuts de Roy Lichtenstein ont été difficiles. Il a eu beaucoup de mal à être pris au sérieux. Les louanges qui entourent son œuvre aujourd'hui n'en ont que plus d'éclat. Ainsi, la rétrospective, réalisée en collaboration avec la Fondation Roy-Lichtenstein, présentée en ce moment au Centre Pompidou à Paris, est la dernière étape d'une exposition itinérante partie de Chicago.

Elle permet de retracer la carrière de l’artiste new-yorkais, de le reconnaître comme l’un des maîtres du Pop Art à égalité avec Andy Warhol. Cette étape parisienne rassemble quelque 130 pièces toiles, dessins, collages et sculptures, s'étendant sur un demi-siècle, de 1950 à 1997. C’est la première grande rétrospective consacrée à l'artiste américain depuis son décès en 1997, à 73 ans.

L'Amérique des comics

Roy Lichtenstein, né à New York en 1923, est le fils d'une famille aisée d’origine juive venue d'Allemagne. Dès l'adolescence, il commence à dessiner. Ses influences sont diverses: des formes épurées de l’Art Déco, aux super-héros qui hantent les univers futuristes des feuilletons radiophoniques, en passant par les slogans provocants du monde publicitaire.

Il s’inscrit à l’école d’art de l’Ohio State University. Mais la guerre interrompt ses études. Il est mobilisé et est envoyé en Europe entre 1943 et 1945. Il suivra une formation de pilote, et fera un bref passage à Paris. En 1946, son père décède, l’armée le renvoie aux Etats-Unis où il reprend ses études et obtient un Master of Fine Arts. Il commence à enseigner. Il aimerait vivre de son art mais il en est encore à chercher son style. New York l’attire. C’est alors le centre du monde artistique qui supplante Paris et attire, entre autres, les Jackson Pollock, Rauschenberg, Jaspers Johns...

En 1957, Leo Castelli ouvre sa galerie à Manhattan dans l’Upper East Side. Elle lancera le Pop Art. Lichtenstein s'essaie d'abord au cubisme à la manière de Picasso. «Je ne me suis jamais défait de ma première influence, le cubisme de Picasso, et pourtant j'ai passé ma vie à essayer de m'en détourner», expliquait Roy Lichtenstein. Il se tourne aussi, un peu, vers l'abstraction et l’Abstract Expressionism qui triomphe alors. Mais ce n’est pas pour lui.

Sa voie, c'est l'Amérique des comics et de la société de consommation triomphante. A partir de 1959, il reproduit fidèlement des personnages tirés de vignettes de dessins de Disney. Le Look Mickey en 1961 montre Donald et Mickey sur une jetée, Donald s’est accroché le hameçon à ses vêtements. C’est un succès. Peu à peu, il emprunte aussi ses reproductions aux scènes de comics mais pour adulte, les couples, les femmes ou les scènes de guerre dont le cultissime Whaam! datant de 1962 appartenant à une série sur la Seconde Guerre mondiale.

La première exposition de Roy Lichtenstein dans la galerie de Leo Castelli se tient en 1962. La réussite est immédiate, toutes les pièces sont vendues avant même l’inauguration. Lichtenstein, ne manquant pas d’humour, intègre cette réussite dans son travail avec Masterpiece 1962 «Pourquoi, Brad Chéri, cette peinture est un chef-d'œuvre! My, bientôt vous aurez tout New York réclamant votre travail!»

Culture populaire

Au moment où Lichtenstein découvre qu'il peut détourner la culture populaire pour en faire la base de son travail, un autre jeune artiste, qui fréquente également la galerie de Leo Castelli, s’inspire lui aussi de la vie quotidienne: Andy Warhol.

Si Lichtenstein transpose les vignettes de bande dessinée, en modifiant un peu les originaux, en intensifiant les couleurs, Warhol lui, s’inspire de célébrités comme Marilyn Monroe, Elvis Presley ou encore des objets de consommation comme les bouteilles de coca ou les boîtes de soupe Campbell. Chacun, dans son studio, jette les bases de ce qui va devenir le Pop Art, ou les objets de la culture populaire, les images publicitaires de la société de consommation et les tâches ménagères sont transposées, magnifiées. Lichtenstein en donne très tôt sa propre définition:

«Le Pop Art regarde dans le monde. Il ne ressemble pas à la peinture de quelque chose, il ressemble à la chose elle-même

La période au tout début des années 1960 pendant laquelle Roy Lichtenstein travaille en multipliant les images prises dans les comics, en les recomposant et en employant des techniques dérivées de l'impression commerciale est la plus connue de l’artiste américain. Elle est pourtant assez courte. Mais il a réussi à inventer son style en soulignant très fortement les contours de ses personnages par un trait épais, en utilisant les couleurs primaires de l’impression cyan, magenta et jaune. Il emploie aussi, il est le seul, les points Ben-Day, ces cercles minuscules qui apportent du relief à ses images et créent un semblant de perspective.

S'il reconnaît que son travail emprunte très largement aux comics, il considère qu'il va bien au-delà. En recadrant l’original, il lui donne une existence propre permettant une nouvelle découverte de celui-ci.

«Plus mon travail se rapproche de l'original, plus il est lourd de sens

«Le triomphe du banal»

Mais bon nombre de critiques, surtout dans les années 1960, contestent l’originalité et même l'intérêt de ses toiles. En 1963, un critique du New York Times titre son article: «Lichtenstein: sans aucun doute le triomphe du banal». Le fait de s'inspirer, de copier diront certains, des vignettes de bandes dessinées pour en faire des toiles gigantesques pose question. Les similitudes sont grandes même dans le phrasé, l’emploi des majuscules ou même la ponctuation des bulles. Un Américain, David Barsalou, s’est amusé à traquer les images originales tirées des comics et à les comparer avec les toiles de Lichtenstein en les mettant côte à côte... Aucune différence.

C’est amusant mais au fond qu’est ce que cela prouve? La démarche artistique de Roy Lichtenstein est bien réelle et la rétrospective au Centre Pompidou aide justement à dépasser les similitudes et à ne pas s’arrêter à quelques images iconiques des premières années de la carrière de Lichtenstein. Elles lui ont permis de sortir de l'anonymat.

Lichtenstein a été un artiste très prolifique en laissant quelque 4.500 tableaux, lithographies et sculptures. Il a continué jusqu’à la fin de sa vie à réinventer et transposer à travers le prisme de son style si particulier. L’exposition permet de découvrir ainsi des œuvres moins connues comme une série de nues Late Nudes, des personnages féminins tirées de coupures de presse ou de comics, qu’il a déshabillés en réinventant une sensualité éloignée de tout archétype académique.

Il faut découvrir également ses dernières toiles, une série de paysages sublimes chinois, inspirés des paysages de la dynastie Song (960-1279). Ces scènes stylisées, au langage pictural défini par des codes et des règles stricts, sont redéfinis par Lichtenstein.

Le grand mérite de l'artiste américain est d'avoir initié et permis la rencontre de deux univers qui, à la sortie des années 1950, ne s’étaient jamais croisés. Il a ainsi créé une esthétique inédite entre des sources commerciales et les beaux-arts. La définition même du Pop Art.

Anne de Coninck

L’exposition Roy Lichtenstein jusqu’au 4 novembre 2013 au Centre Pompidou, 19 Rue Beaubourg, 75004 Paris.

Newsletters

La culture ouïghoure tente de survivre au Kazakhstan

La culture ouïghoure tente de survivre au Kazakhstan

C'est surtout en Occident qu'on déteste les rats

C'est surtout en Occident qu'on déteste les rats

Qu'en est-il en Orient, où la représentation de ces rongeurs semble plus positive?

Comment les femmes DJ ukrainiennes se sont hissées au sommet de la scène mondiale

Comment les femmes DJ ukrainiennes se sont hissées au sommet de la scène mondiale

Malgré la guerre, elles font toujours danser la planète.

Podcasts Grands Formats Séries
Slate Studio