C’est entendu, le Front national est actuellement porté par une forte dynamique. Voici un parti que l’on continue de classer à «l’extrême droite» mais qui réussit désormais la prouesse, dans des scrutins majoritaires, de frôler l’élection!
Qu’on le veuille ou non, le FN n’est plus aujourd’hui considéré par l’opinion comme un vrai «danger pour la démocratie». A rebours, son attractivité lui permet d’aimanter des électorats extrêmement variés.
Les deux dernières élections législatives partielles l’ont démontré avec éclat. Dans la deuxième circonscription de l’Oise, en mars, la candidate du FN a bondi d’un tour à l’autre de 26,6% à 48,6% des suffrages exprimés. Trois mois plus tard, dans la troisième circonscription de Lot-et-Garonne, toujours face à l’UMP, le parti lepéniste est passé en une semaine de 26% à 46,2% des mêmes suffrages. De fortes dynamiques annonciatrices de futurs succès, surtout dans les cas de figures où le FN sera confronté à la gauche.
Le Front républicain moribond
Le plafond de verre qui semblait rendre quasi-impossible le franchissement d’une majorité absolue dans les votes a explosé. Seule une minorité des électeurs de gauche adhère encore à la stratégie dite du «front républicain».
Dans le Lot-et-Garonne, de 23% (selon une étude Ifop-Le Monde) à 32% (selon une estimation du chercheur Joël Gombin) des électeurs socialistes du premier tour se sont reportés sur le candidat UMP au second. Dans l’Oise, ce report «républicain», handicapé par la personnalité de Jean-François Mancel, était encore pire: de 14% (selon la Fondation Jean-Jaurès) à 20% (selon Joël Gombin) selon les études.
Plus grave encore, en cas de duel FN-UMP, une fraction minoritaire mais non négligeable de l’électorat de gauche préfère désormais le candidat lepéniste, même si l’abstention et le vote blanc et nuls sont majoritaires. Ces «gaucho-lepénistes» ont représenté entre 15 et 20% des votants socialistes du premier tour dans le Lot-et-Garonne et entre 13 et 43% (ici, les estimations sont fort divergentes) pour la législative partielle de l’Oise.
On n’ose imaginer ce que seraient, dans le contexte actuel d’impopularité de la gauche, les reports de l’électorat UMP sur le FN en cas de duel législatif avec le PS. Xavier Chinaud, qui fut longtemps un expert électoral de l’UDF, parie sur la probable élection des candidats d’extrême droite. C’est d’autant plus prévisible que la ligne officielle, et ambigüe, du «ni PS ni FN» des dirigeants de l’UMP favorise objectivement ce dernier.
Mais l’enseignement majeur des dernières années demeure que, lors des scrutins majoritaires à deux tours, le FN progresse désormais autant dans le cadre d’un duel avec la gauche que contre la droite. C’est bien cette capacité à séduire des publics contrastés qui est à la source de ses performances électorales.
Diversité et fragilités
Cette attractivité tous azimuts ne va pas sans fragilités potentielles. Une force politique ascendante ratisse large et emporte des adhésions bigarrées, le phénomène est classique.
Le parti mariniste séduit ainsi sur un large éventail idéologique, de la droite extrême et traditionnaliste à une sorte de populisme gauchisant. Cette diversité se traduit par des électorats aux profils sociologiques et politiques variés selon les points du territoire. Le FN droitier du sud n’est pas le FN populiste du Nord-Est.
Les succès actuels de cette formation tiennent beaucoup à cette capacité à attirer des contraires sur fond de profonde crise économique et politique. Le divorce croissant d’une gauche prisonnière de la «rigueur» d’avec l’électorat populaire et la neutralisation d’une droite orpheline d’un véritable leadership ouvrent plusieurs espaces au parti frontiste.
Mais ce cocktail gagnant n’est-il pas instable? Ancrées dans des raisons structurelles, les difficultés rencontrées par le PS et l’UMP ont certes peu de chances de disparaître prochainement. Rien n’assure pour autant que le FN pourra continuer à jouer de multiples facettes au fur et à mesure de l’avancement de ses ambitions politiques.
Deux lignes antagonistes
Potentiellement, deux lignes antagonistes s’affrontent en son sein. La première est celle d’une «nouvelle droite», selon l’expression employée par le député apparenté FN Gilbert Collard. Elle se fixe comme objectif de participer à une recomposition de la droite sur la base d’un rapport de force favorable.
Marion Maréchal-Le Pen, qui s’est elle-même toujours définie comme «de droite», se situe tendanciellement sur cette ligne. Elle prône des alliances locales avec l’UMP aux prochaines municipales. Comme par hasard, ce sont les deux personnalités les mieux dotées institutionnellement, et d’ailleurs élues dans le sud de la France, qui prônent cette orientation.
L’autre ligne est celle du «ni droite ni gauche», théorisé... par Samuel Maréchal, le père de la députée du Vaucluse, au milieu des années quatre-vingt-dix. C’est celle que revendique aujourd’hui Marine Le Pen, comme elle nous l’expliquait clairement en avril 2012:
«Je suis ni droite ni gauche. Il faut sortir de cette fracture droite-gauche, le vrai clivage est entre les nations et le mondialisme. Je suis sur la ligne des partis populistes européens qui se battent contre les deux totalitarismes du XXIème siècle, le mondialisme et l’islamisme, qui se font mutuellement la courte échelle.»
Son influent conseiller Florian Philippot, qui se revendique du gaullisme, est sur cette longueur d’onde. Le but est alors de hisser le FN comme force alternative au «système UMPS» sans s’enfermer dans l’opposition gauche-droite. Il suppose de ne point s’enfermer dans la thématique traditionnelle de l’extrême droite autour de l’immigration et de l’insécurité mais, au contraire, d’exploiter le filon de l’antilibéralisme, même s’il est surtout verbal.
Ambiguïtés calculées
La présidente du FN ne peut néanmoins aller trop loin dans cette direction au risque de fracturer son parti et de désorienter une partie importante de son électorat. C’est la raison pour laquelle Marine Le Pen est contrainte d’envoyer souvent des signaux contradictoires.
Elle fait régulièrement des clins d’oeil à son aile traditionnelle. On se souvient de son hommage à l’intellectuel d’extrême droite Dominique Venner, suicidé à Notre Dame en mai dernier. Plus récemment, elle a réitéré ses propos sur «l’occupation» que représenteraient les prières de rues, pour le plus grand plaisir de son noyau électoral.
Parallèlement, l’ancienne candidate frontiste ne craint pas de se montrer audacieuse en saluant des personnalités de gauche. «Excellent article d'E.Todd et F. Lordon dans Marianne, ou comment dire exactement la même chose que le #FN sans l'admettre», a-t-elle tweeté le 1er juillet.
La stratégie du coucou du parti mariniste a de l’avenir. Elle lui permet d’être entendue par un nouvel électorat très éloigné de l’extrême droite.
Mais les deux stratégies ne pourront coexister au-delà d’un certain stade. Plus le FN se rapprochera du pouvoir et de positions institutionnelles et plus des choix s’imposeront. En attendant, les faiblesses de deux principaux partis de gouvernements offrent un formidable espace d’expansion au parti mariniste.
Eric Dupin