Liz-Beth Wendel est, en quelques mois, devenue une vraie célébrité en Suède. A l'automne dernier, cette Suédoise de 65 ans a découvert qu'elle toucherait, retraites de base et complémentaire confondues[1], quelque 9.500 couronnes par mois après impôts (environ 1.100 euros, quand le revenu moyen en Suède s’élève à un peu moins de 15.000 couronnes par mois, 1.690 euros) si elle partait immédiatement à la retraite, près de 50% de moins que ce qu'elle gagne en activité. Et ce, alors qu'elle a cotisé plus de 50 ans, ayant commencé à travailler à 14! De quoi attiser la colère de cette ancienne aide-soignante mère de trois enfants, devenue assistante maternelle puis travailleuse sociale.
Sans le savoir, Liz-Beth Wendel a relancé un débat qui, depuis plus de 15 ans, avait complètement disparu de la scène politique suédoise: celui des retraites. Car en votant leur grande réforme des pensions, entre 1994 et 2001, les Suédois avaient bien cru mettre un terme définitif à cette préoccupation qui pourrit la vie de bien des gouvernements occidentaux: comment mettre sur pied un système pérenne alors que l'espérance de vie s'allonge, que la natalité diminue, et que la croissance économique fléchit?
Ils avaient donc imaginé un tout nouveau système paré d'une immense vertu: l'auto-équilibrage.
En résumé, le système public de retraites repose sur deux piliers:
- le pilier principal: les retraites liées au revenu (inkomstpension)
- un pilier accessoire: les retraites capitalisée (premiepension)[2]
Le premier est financé par des cotisations de 16% sur les revenus, le second par une cotisation de 2,5%.
Côté capitalisation, les Suédois peuvent choisir le fonds dans lequel ils placent leurs «économies» et effectuer eux-mêmes des arbitrages, s'ils le souhaitent. Un système qui n'a pas provoqué un grand enthousiasme et est actuellement l'objet d'un débat officiel pour simplifier la tâche des «futurs retraités-épargnants».
Côté «inkomspension» (la retraite basée sur les revenus), le principe est simple: les droits à retraite sont calculés en prenant en compte les revenus perçus pendant la totalité de la vie active, y compris les périodes de congé parental, de congé maladie, de chômage ou d'études par exemple. Il n'est plus donc question des 15 meilleures années, comme auparavant.
Mais ces droits à retraite accumulés (dont le montant en couronnes est communiqué chaque année dans une enveloppe orange, d'où le titre de cet article: «Liz-Beth voit rouge à cause de l'enveloppe orange») ne permettent pas de prédire le montant de ladite retraite qui peut être prise à partir de 61 ans: celle-ci dépend de l'âge (le système incite à travailler au moins jusqu'à 65 ans), mais surtout de l'évolution de l'espérance de vie et de la situation économique du pays (évolution des salaires, croissance, etc.)
Autrement dit, si le système s'auto-équilibre sans que l'on n'ait besoin de toucher aux cotisations, c'est que le montant des retraites lui-même est la variable d'ajustement du système.
Les Suédois ne s'y attendaient pas
Or même si la Suède affiche, comparativement, des résultats économiques plutôt bons pour un pays d'Europe de l'Ouest, les retraités s'en rendent compte: leurs pensions semblent devoir s'effriter inexorablement.
Les Suédois savaient, bien sûr, lorsque le nouveau système est rentré en vigueur, que certains paieraient les pots cassés: ceux (ou celles) qui vivent seul(e)s et qui ont effectué une carrière non linéaire, avec des périodes de travail à temps partiel importantes par exemple ou un début de vie active tardif; ou encore les étrangers arrivés tard dans le pays. Mais pour tous ceux ayant travaillé majoritairement à temps complet pendant au moins 40 ans, le message se voulait réconfortant. D’où la déconvenue des Suédois.
C’est l'autorité en charge des retraites qui le dit: en 2014, la retraite basée sur les revenus diminuera de 0,8%, soit environ 12 euros de moins par mois pour un pensionnaire moyen. Et cela risque de n'être qu'un début. La confédération syndicale LO a pour sa part calculé:
«Pour un ouvrier travaillant à temps complet qui prend sa retraite à 65 ans, le niveau de la retraite n'est plus désormais que de 54% du salaire de fin de carrière, contre les 62% sur lesquels on tablait en 1995. Pour atteindre ce pourcentage, il faudrait tout simplement travailler deux ans de plus. Or deux ans de plus, c'est exactement l'augmentation de l'espérance de vie sur la période considérée.»
Travailler plus longtemps ne semble pas, à vrai dire, effrayer particulièrement les Suédois, ou du moins la confédération syndicale LO. Mais elle constate que le reste de l'économie n'est pas –encore– organisée pour: ni la gestion de la pénibilité, ni celle des congés-maladie, ni, surtout, les entreprises...
Les Suédois se trouvent donc dans une situation un rien frustrante: pour conserver des retraites décentes, ils doivent apprendre à adapter leur comportement sur le marché du travail, en travaillant à plein temps plus longtemps –s'ils le peuvent– ou en acceptant des retraites plus basses. La classe politique, elle, ne se sent plus (pour l'instant) concernée: le système de retraite est si solide!
Catherine Bernard
[1] La plus grande partie de cette somme, comme c'est le cas en général pour les retraités suédois, vient des retraites publiques, les retraites complémentaires ayant une ampleur souvent bien moindre qu'en France. Retourner à l'article
[2] S'y ajoute un troisième pilier: la retraite garantie, pour les retraités ayant cumulé trop peu de droits. Retourner à l'article