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Ce que le pape François a changé en cent jours

Temps de lecture : 5 min

Tout, dans le style, les thèmes, les réformes, distingue le pape argentin de son prédécesseur Benoît XVI. Le nouveau pape secoue son Eglise et met sur les rails une réforme de la Curie romaine.

Place Saint-Pierre, le 19 juin 2013. REUTERS/Stefano Rellandini
Place Saint-Pierre, le 19 juin 2013. REUTERS/Stefano Rellandini

Il y aura cent jours, le vendredi 21 juin, que le pape François a été élu et une mini-révolution est en train de bousculer l’Eglise catholique –et son milliard de fidèles. Tout, dans le style, les thèmes, les réformes annoncées, distingue déjà Jorge Mario Bergoglio de son prédécesseur Joseph Ratzinger, même si la relation entre les deux papes est fort courtoise. Les deux hommes s’apprêtent d’ailleurs à cosigner une encyclique sur la foi chrétienne, commencée par Benoît XVI, achevée par François, ce qui sera une première dans l’histoire de l’Eglise.

Le pape François s’est libéré du carcan de la Curie romaine –l’appareil de gouvernement de l’Eglise–, dont Benoît XVI était l’otage. Il a fait le choix symbolique majeur de ne plus résider dans ses appartements privés au palais pontifical, qu’il juge sinistres, coupés du monde extérieur, trop proches de la Curie, et de se réfugier à Sainte-Marthe –à l’intérieur du Vatican– où résident les visiteurs religieux et les cardinaux pendant le conclave.

Là, il rencontre en toute simplicité qui il veut au grand dam du protocole, se lève à 4h30, prend ses repas dans la salle commune, travaille, reçoit, se couche tôt. Il ne regagne le palais pontifical que pour les audiences de haut niveau (comme les chefs d’Etat). La Curie ne peut ainsi ni l’emprisonner, ni décider pour lui du programme de ses rencontres, ni filtrer les informations qui lui parviennent.

Il heurte de front toute une culture vaticane dont la force d’inertie et le goût du secret sont redoutables. Jovial, spontané, ce pape latino-américain a besoin de contacts humains, quand son prédécesseur gouvernait de manière solitaire. Chaque matin, dans la chapelle de sa résidence, il reçoit des groupes de visiteurs —dont les employés du Vatican— pour sa messe quotidienne, au cours de laquelle il prêche comme un simple curé de paroisse et distille ses messages.

A propos du diable, de la mondanité et du mariage

Quand il circule sur la place Saint-Pierre, il descend de sa papamobile pour embrasser des enfants et des handicapés. Il fait rire en disant que l’Eglise n’est pas «une baby-sitter», mais «une mère». Ou en invitant des religieuses à ne pas se comporter comme des «vieilles filles».

L’accumulation de gestes et de paroles est stupéfiante, mais on devine déjà où va ce pontificat: vers la défense d’un christianisme social revenu à la pureté de ses origines, authentique dans ses convictions, engagé auprès des plus faibles et des exclus («Une Eglise de pauvres pour les pauvres»). Le pape jésuite fustige la «mondanité» et l’hypocrisie qui règnent selon lui dans son Eglise, la tendance des catholiques à «s’auto-centrer».

Il évoque la menace du diable et du péché, réclame de profondes réformes de l’économie mondiale, pointe le narcissisme de la société, appelle ses fidèles à aller évangéliser les «périphéries»: «Si l’organisation prend le dessus, l’amour diminue et l’Eglise n’est plus qu’une simple ONG». Il ne s’est pas encore prononcé de manière précise sur l’avortement ou le mariage pour tous, mais personne n’imagine qu’il atténue ici l’interdit de l’Eglise.

Soit, au total, un discours de rupture et de vérité qui passe bien, si on en juge par l’enthousiasme des «audiences» pleines et débordantes sur la place Saint-Pierre, mais qui trouble profondément la machine vaticane. Celle-ci ne contrôle plus le flot verbal du pape, ne sait plus quel statut accorder à ses paroles et à ses prêches quotidiens, au récit de ses rencontres spontanées répandu dans les médias et sur-interprété. D’où une impression de cacophonie et de couacs de communication.

Ce que François a dit, ou pas dit

Son discours nuancé aux évêques italiens devient une mise en garde contre le «carriérisme» et la «paresse» —des mots forts— qui guette tout fonctionnaire ecclésiastique. Une boutade sur la «banque du Vatican» (l’Institut des œuvres de religion -IOR) est interprétée comme la menace d’une fermeture et un haut responsable de la Curie doit courir les médias pour démentir. Le récit d’une rencontre privée entre le pape et la Clar (Confédération latino-américaine des religieux) est bombardé sur un site internet chilien et fait le tour du monde. Voici ce qu’aurait dit le pape et qui a été immédiatement démenti:

«Dans la Curie, il y a des saints, mais aussi un courant de corruption. C’est vrai qu’il existe. On parle aussi de lobby gay, et c’est vrai qu’il existe aussi.»

Le style direct et ouvert du pape François contribue à sa popularité, mais se retourne contre lui, tant les indiscrétions se multiplient, rapportées par les témoins de ses rencontres. La quarantaine de parlementaires français venus le rencontrer, samedi 15 juin à Rome, en a fait l’expérience. Le pape a commenté leur travail d’élus: «Proposer des lois, les amender, les abroger». Ce qui a été aussitôt interprété comme une nouvelle forme d’opposition de l’Eglise au mariage pour tous. «Le pape demande l’abrogation du mariage pour tous», ont titré quelques médias. Ce qui n’était pas son message exact, même si le mot «abroger» dans son discours n’était pas totalement dû au hasard.

Peur à la Curie

Bien des hypothèses courent déjà sur la réforme de la Curie romaine, qui avait été réclamée par les cardinaux à la veille du dernier conclave en mars et qui est déjà sur les rails. C’est sur ce terrain que le pape François est le plus attendu. Il n’a pas encore nommé de nouveau secrétaire d’Etat –la fonction est toujours occupé par le redouté cardinal Tarcisio Bertone tenu à une plus grande discrétion–, mais il applique au gouvernement central de l’Eglise des innovations que les membres de la Curie regardent presque avec terreur.

Ainsi a-t-il constitué un groupe de huit cardinaux, représentant la diversité des continents, chargés de conseiller et d’épauler le pape et de jeter les bases d’un nouveau mode de gouvernement. Ce groupe n’a pas encore de nom, mais on en parle déjà comme d’un «Conseil de la Couronne», expérience inédite dans l’histoire. Ce groupe d’hommes que Jose Mario Bergoglio connaît bien et estime, dans lequel figure des personnalités progressistes (comme le cardinal Maradiaga, du Honduras, qui en est le coordinateur), se réunira début octobre à Rome, mais il porte déjà les espoirs des courants réformateurs de l’Eglise qui dénoncent depuis si longtemps la centralisation et la bureaucratie romaine.

On est encore loin d’une réforme démocratique. Ce Conseil n’aura qu’un rôle consultatif, mais déjà des orientations sont données visant à un allègement des effectifs, à une réduction du nombre des «ministères», à une plus grande transparence, au rétablissement d’une «collégialité» de gouvernement entre Rome et les Eglises locales. La Curie promet d’être moins étouffante...

Il faudra attendre pour voir si ces promesses se confirment, mais le pape François n’a pas fini de susciter l’étonnement. Prochain rendez-vous: en juillet, les Journées mondiales de la jeunesse au Brésil –son premier voyage de pape à l’étranger– où 3 millions de personnes l’attendront.

Henri Tincq

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