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Obama a un plan pour la Syrie. Mais lequel?

Temps de lecture : 6 min

Le président américain n’a pas expliqué dans quel objectif il avait décidé d’armer les rebelles syriens.

Des membres de l'armée syrienne libre regardent des photos, à Deir al-Zor, le 14 juin 2013. REUTERS/Khalil Ashawi
Des membres de l'armée syrienne libre regardent des photos, à Deir al-Zor, le 14 juin 2013. REUTERS/Khalil Ashawi

Il est difficile de se faire un avis sur la décision prise par Barack Obama d’envoyer des armes aux rebelles syriens. Et pour cause: nous ne connaissons ni le type d’armes envoyées, ni la durée prévue pour cet approvisionnement, ni le but recherché (tant pour la guerre civile en Syrie que pour l’équilibre de la région). Néanmoins, plusieurs choses sont bien claires à propos de cette nouvelle étape de l’implication militaire des États-Unis.

Tout d’abord, il ne s’agit pas d’une «intervention humanitaire». Plusieurs rapports ont attribué ce soudain revirement d’Obama à la récente ascension de Susan Rice au rang de conseiller à la sécurité nationale ainsi qu’à celle de Samantha Power au poste d’ambassadrice des États-Unis auprès des Nations Unies. C’est parfaitement absurde: il est impossible que deux conseillers puissent avoir si rapidement une telle influence sur la politique nationale, en particulier à la Maison Blanche, où c’est le Président qui donne le ton en matière de politique étrangère et de sécurité nationale.

Il ne s’agit pas non plus de l’utilisation d’armes chimiques par l’armée syrienne, même si les déclarations répétées d’Obama à ce sujet l’année dernière (selon lesquelles l’utilisation d’armes chimiques constituerait le franchissement d’une «ligne rouge», «changerait la donne» et mettrait Bachar el-Assad «face à ses responsabilités») l’ont mis dans une telle situation qu’il était obligé d’agir, sous peine de perdre toute crédibilité pour ses autres demandes et menaces. Certes, les services de renseignement américains sont arrivés à la conclusion que le régime de Bachar el-Assad avait bien utilisé du gaz sarin… mais ce verdict a été rendu il y a déjà plusieurs semaines.

Fondamentalement, la décision d’Obama est une question d’équilibre des pouvoirs politiques. Ben Rhodes, son conseiller adjoint à la sécurité, n’a d’ailleurs pas dit autre chose lors de la conférence de presse de la Maison Blanche du 14 juin, durant laquelle il a annoncé ce changement de politique. La décision de fournir une «assistance considérablement accrue» aux armées rebelles a été prise, selon lui, «face à la dégradation de la situation générale, avec l’implication d’acteurs extérieurs, comme l’Iran et le Hezbollah».

Renforcer la cohésion des rebelles

Rhodes n’a pas spécifié le type d’armes qui seraient envoyées aux rebelles; Obama lui-même ne le sait peut-être pas encore. «La situation étant très fluctuante, a affirmé Rhodes, il nous est nécessaire… de consulter tous les leaders» de l’alliance pro-rebelle, aussi bien en Europe qu’au Moyen-Orient, à propos des «types de support». Toutefois, il est clair que, quelle que soit la nature de l’aide envoyée, les armes n’en sont qu’une partie (et peut-être pas la plus importante). A propos des forces rebelles, Rhodes a déclaré qu’il était important d’en «renforcer la cohésion» afin de passer de «groupes disparates situés dans différentes parties du pays» à une «opposition organisée».

En d’autres termes, il parle de commandement, de communication, de renseignements, de logistique —le tissu conjonctif de la guerre, que seule une puissance militaire professionnelle extérieure peut apporter.

Ce tissu est aussi bien politique que militaire. Comme l’a dit Rhodes: «Nous voulons relier [les rebelles] à nous-mêmes, ainsi qu’à nos partenaires qui apportent leur concours», notamment la Jordanie, l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, le Qatar et la Turquie. Tous ces pays souhaitent aider les rebelles (ne serait-ce que pour contrer les ambitions expansionnistes de l’Iran), mais ils se sont montrés très peu enclins à travailler ensemble sur ces sujets, ou même pour se mettre d’accord sur un leader à qui concéder son autorité. Les Nations Unies pourraient être ce leader-coordinateur. Certains détracteurs d’Obama ironisent en lui reprochant de faire une nouvelle fois du «lead from behind», mais parfois, comme ce fut le cas en Libye, cela peut marcher.

Que vise Obama dans tout cela? C’est moins clair, ou plutôt on ne sait pas si l’objectif tel qu’il a été énoncé par Rhodes est atteignable. Lors de sa conférence de presse, Rhodes l’a formulé de cette façon: «Nous sommes encore en pourparlers avec les Russes pour savoir s’il existerait un moyen de réunir certains éléments du régime [d’Assad] et de l’opposition afin de trouver une solution politique.»

Il n’est pas question ici de victoire des rebelles et Obama n’a rien fait qui laisserait penser que c’est son objectif. Un résultat positif, à en croire les dires de Rhodes, serait une «solution politique» (de préférence forgée et imposée par les États-Unis et la Russie) qui chasserait Assad du pouvoir, mais «conserverait quelques éléments du régime» tout en donnant voix à «l’opposition qui, nous le croyons, parle pour la majorité du pays».

L'impossible solution politique

C’est, pour le moins que l’on puisse dire, assez tiré par les cheveux. La Russie considère Assad comme un allié, son régime comme une pièce essentielle des intérêts géostratégiques russes et toute ouverture à l’opposition comme une dangereuse source d’instabilité. A vrai dire, quel que soit le point de vue ou la nationalité, il est difficile d’imaginer une «solution politique» qui partagerait le pouvoir entre les hommes d'Assad et les diverses factions rebelles autrement que comme une source de toujours plus de meurtres et de chaos.

Rhodes a indiqué avoir conscience de cette difficulté, mais il a remarqué que les Russes ne redoutent rien de plus qu’une «escalade» du conflit qui rendrait la région toujours plus «chaotique», avec «l’installation d’éléments extrémistes en Syrie».

Il est difficile d’en être certain, mais cela semble être la logique derrière la nouvelle politique d’Obama. Une nouvelle poussée des rebelles syriens, encouragés par l’aide américaine, ne ferait (du moins du point de vue d’Assad et des Russes) qu’accélérer cette escalade, intensifier le chaos et augmenter le risque de voir des éléments extrémistes s’installer en Syrie. L’espoir serait-il ici que les Russes souhaitent s’imposer et fassent usage de leur influence dans la région pour restaurer le calme et l’ordre?

Une fois de plus, les chances semblent faibles. Ce scénario suppose que, face à des rebelles plus efficaces et aidés par les Américains, l’armée syrienne subira des attaques importantes qui contraindront le gouvernement syrien à rejoindre la table des négociations. Bien entendu, il est tout aussi probable, voire plus, que les Syriens répondent aux attaques par toujours plus de destructions et que la Russie accélère ses livraisons d’armes.

Ce qui nous ramène à notre question de départ: à quel point Obama souhaite-t-il s’investir dans cette bataille et pour combien de temps? Pour l’instant, la réponse semble être: pas beaucoup. «La seule option que nous avons exclue, au fond, est l’envoi de troupes au sol», a affirmé Rhodes. La mise en place d’une zone d’exclusion aérienne a été évoquée, mais les chefs d’États-majors interarmées sont sceptiques et Obama n’a pas approuvé cette option. S’il le fait, a assuré Rhodes aux reporters, c’est une question qu’il abordera publiquement «avec plus ou moins de détails»

Une seule option exclue: l'envoi de troupes au sol

À l’inverse de certaines voix de gauche (et d’anti-interventionnistes), je ne crains pas tant que cela que la décision prise par Obama d’armer les rebelles soit un premier pas sur une «pente glissante». Quoi que l’on puisse dire sur Obama, il semble immunisé contre les pentes glissantes. En Libye, il a fait ce qu’il a dit qu’il ferait (ce qui équivalait à une perte conséquente de sa puissance de feu) et rien de plus.

En Afghanistan, il a cédé aux requêtes des chefs d’États-majors qui réclamaient 33 000 hommes de plus —mais il ne leur en a plus donné par la suite et a même commencé à en retirer beaucoup lorsqu’ils n’ont pas réussi à atteindre les objectifs que ses généraux avaient déclaré pouvoir remplir en 18 mois. Obama est pleinement conscient du danger que représente une escalade incontrôlée de la violence.

Pourtant, on ignore toujours ce qu’il espère clairement accomplir par cette mesure (qui, de toute façon, reste encore à définir) et quelles autres mesures il prendra si celle-ci s’avère inefficace. On ne sait pas exactement non plus quelle vision il a de ce conflit et du rôle que les Américains doivent y jouer. L’objectif est-il tout simplement de stabiliser la situation en Syrie? Ou bien voit-il également la guerre civile comme l’un des éléments d’un conflit plus vaste entre chiites et sunnites au Moyen-Orient? (c’est clairement le cas des autres puissances étrangères investies dans le conflit).

Et de quelle manière pense-t-il que sa politique puisse exacerber (ou tempérer, détourner, calmer) ce conflit plus vaste? Ou peut-être s’aventure-t-il dans ce terrain boueux uniquement pour empêcher le côté chiite, c'est-à-dire principalement l’Iran et le Hezbollah, de devenir trop puissant dans la région? Dans ce cas, cela ne risque-t-il pas encore d’exacerber la violence et d’alourdir encore le bilan des morts?

A un moment ou un autre, peut-être après les consultations avec les nations du G8, il faudra bien que le président Obama (et pas l’un de ses conseillers) expose clairement ce qu’il pense de toutes ces affaires.

Fred Kaplan

Traduit par Yann Champion

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