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Nelson Mandela, l'icône d'un siècle

Temps de lecture : 4 min

Avec Mandela disparaît le dernier des héros. Qui, en effet, à part le leader sud-africain, a pu incarner à ce point l’héroïsme dans une époque où l’individualisme semble primer et s’impose comme une valeur globale?

Johannesburg, 9 juin 2013. REUTERS/Mujahid Safodien
Johannesburg, 9 juin 2013. REUTERS/Mujahid Safodien

La peine et la douleur que la disparition de Nelson Mandela suscite sont peut-être sans précédent: rarement vu un personnage public aura suscité un tel amour de par le monde. Il y a de fortes chances qu’une telle vague de sympathie pour un leader ne se renouvelle pas dans un futur proche.

Celui que ses fans appellent «Madiba», est peut-être le meilleur symbole d’un siècle passé riche en idéologies, en épopées, en grandes histoires. A lui seul, il a incarné des concepts aussi forts que le communisme, le terrorisme, la Guerre froide, l’apartheid, le pardon, la rédemption et l’héroïsme dans une époque où l’individualisme s’impose comme une valeur globale. A lui seul, il a symbolisé aussi la fin des grandes épopées.

L’histoire de Nelson Mandela est de celle dont on fait les romans et les films.

De l’écolier forcé d’adopter un nom de blanc à l’activiste révolutionnaire, puis au prisonnier de Robben Island qui saura pardonner à ses geôliers pour devenir le (grand) père de la nation arc-en-ciel, la vie de Son Excellence Nelson Rolihlahla Mandela inspire des millions d’êtres humains qui veulent croire que l’homme est bon et qu’il peut, à la manière d’un Jésus de Nazareth laïc, se sacrifier pour le bien commun.

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Ses détracteurs rappellent qu’il a appelé à l’action violente et au terrorisme, mais le sentiment que le personnage suscite est principalement positif et largement planétaire. Sa mort risque de priver des millions de Terriens d’espérance.

Le héros doit rassembler

Après Mandela, on serait bien en peine de trouver un héros de cette stature, quelqu’un qui serait capable derrière son nom de rassembler la planète dans un message de paix et de fraternité.

C’est que l’époque ne se prête plus aux héros. Cette situation pourrait sembler paradoxale en 2013 alors que les médias regorgent d’histoires mettant en scène des célébrités. Mais comme l’a très bien montré Joseph Campbell, le héros se sacrifie pour son peuple alors que la célébrité se nourrit de l’admiration de ses fans sans rien donner d’autre en échange qu’une illusion.

Chaque nation possède son lot de héros. La France possède notamment Jeanne d’Arc, courageuse bergère illuminée qui rend la France aux Français, ou Napoléon, le petit caporal qui conquiert l’Europe pour le plus grand bien de la nation. En revanche, rares sont les exemples de héros transnationaux, Napoléon étant généralement perçu comme un monstre hors de France.

Il est ardu pour un héros national de s’affirmer de façon globale; ainsi, Vaclav Havel, malgré son parcours héroïque, est largement inconnu en dehors d’une Europe qui a connu la Guerre froide.

Le héros fait de la politique, pas les stars

De plus, un héros possède une dimension politique forte, et de par cette nature peine à faire l’unanimité autour de son projet. Une célébrité en revanche exclut bien souvent la politique de son discours. Lorsqu’on s’attache à recenser les célébrités de renommée mondiale, aucune ne tient de discours politique autres que consensuel. Angelina Jolie se bat pour l’Afrique et George Clooney a soutenu la paix au Darfour, ce qui dans les deux cas ne leur a pas franchement amené de détracteurs devant la faible prise de risque.

Dans la musique, c’est encore plus flagrant. Entre la pop peu en prise avec les problèmes de société ou le rap glorifiant le capitalisme, on trouve la musique électronique qui, par définition, ne fait pas de politique mais fait danser les jeunes. Car les personnalités engagées ne sont bien souvent pas très populaires et il vaut mieux, si l’on veut être adoré par la terre entière, s’en tenir à des notions non-conflictuelles.

Les stars sont donc encouragées par leurs agents à soutenir la paix et l’environnement et à considérer que décidément, la guerre n’est pas une bonne chose, à la manière caricaturale des concours de Miss qui exhibent leurs bons sentiments.

Le héros n'est pas un super-héros

On assiste alors au phénomène suivant: les héros disparaissent au profit des super-héros. Hollywood ne cesse de fournir au monde entier de courageux super-héros, aliens, dieux ou mutants, qui montrent l’exemple en se sacrifiant pour l’humanité. Le succès «monstrueux» des Avengers en 2012 a confirmé le filon commercial du genre et la sortie de Man of Steel, une version revisitée de Superman qui met l’accent sur son «humanité», confirme le besoin de super-héros des spectateurs.

Mais la fonction du super-héros est différente de celle du héros. Le super-héros protège l’humanité, dont il est parfois issu, alors que le héros se sacrifie pour elle. En ce qui concerne les super-héros, leur résilience exceptionnelle et leur capacité à ressusciter pour revenir protéger les humains témoignent de leur nature surnaturelle, et donc de la difficulté à s’identifier à eux. Batman protège Gotham, mais qui aurait les moyens de s’en inspirer?

Alors, avec la mort de Mandela, est-ce la fin des héros?

On se rappelle comment l’Amérique avait glorifié ses héros ordinaires après les attentats du 11 septembre 2001. Les policiers, les pompiers, les sauveteurs avaient été célébrés comme autant de gardiens d’une Amérique meurtrie qui pansait ses blessures. Ce sont les temps de crise qui révèlent les héros. On a le droit d’être naïf alors et se dire aussi que si Mandela a été le dernier des héros, c’est que les temps ne vont pas si mal que cela. Et on le doit en grande partie à Madiba.

Etienne Augé

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