France

Primaires, système à hauts risques

Temps de lecture : 4 min

Le succès du processus qui a désigné le candidat socialiste à la présidentielle de 2012 a caché la dangerosité de ce même processus quand il vire à la peopleisation ou au bras de fer.

Nathalie Kosciusko-Morizet et Nicolas Sarkozy au parc des Princes en mai 2013. REUTERS/Gonzalo Fuentes
Nathalie Kosciusko-Morizet et Nicolas Sarkozy au parc des Princes en mai 2013. REUTERS/Gonzalo Fuentes

L’indéniable succès populaire des «primaires citoyennes» organisées par le PS en 2011 - près de 3 millions de votants - a fortement impressionné la droite française. L’échec de la primaire de l’UMP à Paris et les tensions de celles du même parti à Lyon montrent pourtant que ce système de désignation des candidats n’a rien d’une panacée. Il suppose de réunir un certain nombre de conditions politiques et culturelles. Et ne va pas sans réels inconvénients.

La primaire organisée à Paris par l’UMP pour désigner sa tête de liste aux élections municipales fut largement vidée de son objet premier -départager les compétiteurs- par l’abandon tardif de Rachida Dati. «Blanche Neige», alias Nathalie Kosciusco-Morizet, restait seule candidate en piste face à quelques illustres inconnus vite assimilés aux «sept nains».

Dans un tel contexte, la mobilisation électorale devenait problématique. De fait, la candidate favorite n’a pas été portée par une vague susceptible de la renforcer dans son futur affrontement avec la candidate socialiste Anne Hidalgo. L’étrange «primaire ouverte» du 3 juin a même attiré moins de votants (20.074) que de membres revendiqués par ce parti dans la capitale (28.234)! Du haut de ses 11.675 voix, NKM n’est guère portée par un spectaculaire élan populaire. Sans compter le coût de l’opération, neutre à partir de 58.000 votants, pour l’UMP.

Au moins l’ancienne ministre de l’Ecologie a-t-elle finalement échappé à un humiliant ballottage. Alors que «Minute» appelait à «se payer NKM pour trois euros», l’abstentionniste «militante et engagée» du «mariage pour tous» a pu craindre d’être victime d’une coalition contre elle des droites radicales.

Primaires inutiles ou dangereuses

On touche ici le principal paradoxe des primaires. De deux choses l’une. Soit elles se glissent dans une logique d’opinion et elles ne font que ratifier les indications, pourtant fragiles, fournies par les sondages sur la popularité et les chances de succès des compétiteurs. Les primaires sont alors assez inutiles. Il suffirait de suivre tranquillement les enquêtes d’opinion pour désigner le «meilleur» candidat.

C’est bien ce qui se passe la plupart du temps. En 2011, les «primaires ouvertes» du PS ont été gagnées par François Hollande, alors en majesté dans les sondages. En 2006, les «primaires fermées» (réservées aux adhérents) de ce même parti avaient été remportées par Ségolène Royal, star incontestée de l’opinion à cette époque-là.

Dans l’autre cas de figure, c’est un noyau militant ou politisé qui impose le candidat d’un camp. NKM aurait ainsi pu trébucher par l’effet de la mobilisation des adversaires du mariage pour tous, des partisans de la «Droite forte» et d’électeurs d’extrême droite.

Ces logiques militantes rendent alors les primaires dangereuses en ce sens qu’elles peuvent conduire à la désignation d’une personnalité décalée par rapport au centre de gravité de son propre électorat. Les écologistes en ont fait les frais avec le choix d’Eva Joly pour la présidentielle de 2012 à l’issue d’une primaire discrète et avec l’issue que l’on sait. Ajoutons que des primaires à faible participation ouvrent la voie à de possibles manipulations de la part d’adversaires politiques un tant soit peu pervers.

Partis dévitalisés et peopolisés

La mode des primaires, un peu vite importée d’un système américain pourtant très particulier, a encore de contestables conséquences sur le système des partis. Elle renforce singulièrement la personnalisation de la vie politique. L’essentiel devient le choix des candidats au détriment de la définition d’une orientation. Les primaires sont également détournées de leur objet premier pour permettre aux personnalités ambitieuses de se faire connaître du grand public avant de peser sur les jeux de pouvoir.

C’est ainsi qu’Arnaud Montebourg et Manuel Valls ont autant profité des «primaires citoyennes» que François Hollande. Ils y ont gagné une enviable notoriété et, dans le cas du premier, une démonstration d’influence qu’il ne manque pas de faire valoir depuis régulièrement.

Le partis politiques se trouvent privés de leur principale prérogative, celle de désigner les candidats aux élections. En renforçant le pouvoir des électeurs, on affaiblit considérablement celui des adhérents. Il s’en suit une dévitalisation de formations qui n’ont déjà jamais été très puissantes en France. Moins militants que jamais, les partis deviennent des assemblées de supporters structurées par des élus. Un éventuel succès des primaires ne les renforcent nullement, comme le PS a pu le constater en 2012.

Hauts risques pour l’UMP et le PS

Pour autant, l’idée de faire arbitrer par des électeurs volontaires les rivalités du personnel politique semble d’autant mieux s’installer qu’elle entre en résonance avec le consumérisme politique ambiant. Le grand parti de droite connaîtra sa première «primaire ouverte» avant l’élection présidentielle de 2017. C’est le point-clé de l’accord récemment passé entre François Fillon et Jean-François Copé.

Il a été reconnu que Nicolas Sarkozy, dont le désir de retour en politique est de plus en plus apparent, devrait éventuellement s’y soumettre. La règle des primaires annonce ainsi un probable et long bras de fer entre l’ancien président de la République et François Fillon.

La droite républicaine peut espérer, par cette procédure, s’éviter un affrontement analogue à celui qui opposa Edouard Balladur et Jacques Chirac en 1995. Mais il lui faudra savoir se contrôler pour que cette compétition ne dégénère pas tant il est vrai que ce camp ne trempe pas dans une tradition très propice à l’exercice. «Nous apprenons effectivement la démocratie, c’est assez nouveau», a pu confesser Copé. Les gènes bonapartistes du courant dominant de la droite française ne favorisent guère la démocratie interne.

Au PS, désormais rodé à cette procédure à l'échelle nationale, le risque se situe localement. Les socialistes ont décidé de recourir à des «primaires ouvertes», pour les municipales de 2014, dans une série de grandes villes comme Marseille, Béziers, Montpellier ou Le Havre. Il serait peut-être souhaitable que ce dispositif soit élargi à d’autres cités.

Car c’est bien dans les municipalités que les primaires pourraient constituer une réelle avancée démocratique. Chez les socialistes, les élus contrôlent fréquemment le parti local - parfois en filtrant l’adhésion aux sections - et leur remise en cause ne peut intervenir que par le biais de simples électeurs. Mais, comme par hasard, les primaires municipales sont nettement moins populaires au PS que leur version nationale.

Eric Dupin

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