Pendant la fermeture, les émissions continuent. Les journalistes de la télévision publique grecque, brutalement fermée par décision du Premier ministre Antonio Samaras, utilisent Internet et une station locale appartenant au Parti communiste pour rester à l’antenne.
Dans l’après-midi de mardi, le porte-parole du gouvernement avait annoncé que l’organisme de radio-télévision publique ERT allait être dissous sans préavis. Les quelque 2.700 salariés devaient être licenciés, avec indemnités, et une nouvelle société devait être créée dans les prochaines semaines.
La décision a fait l’effet d’un coup de tonnerre. Même les alliés de la Nouvelle démocratie dans la coalition gouvernementale, le Pasok et la Gauche démocratique, ne semblaient pas avoir été mis au courant.
Officiellement, il s’agit de mettre fin à la gabegie qui règne depuis des décennies dans l’audiovisuel public. Certes. La radio-télévision d’Etat –il existe aussi en Grèce de nombreuses chaînes privées– ne brillait pas par sa gestion rigoureuse, à l’instar de toutes les entreprises publiques du pays. Le nouvel organisme devrait été doté d’un budget de 100 millions d’euros, soit trois fois moins que l’ERT.
Mais comme le remarquent les commentateurs grecs, en dénonçant les gaspillages, le porte-parole du gouvernement a omis de mentionner que depuis toujours les directeurs de l’ERT étaient nommés par la Nouvelle démocratie et par le Pasok, au gré des alternances politiques.
Les deux grands partis qui se sont partagé le pouvoir depuis la chute des colonels en 1974 ont en outre gonflé les effectifs de la radio et de la télévision publiques pour satisfaire une clientèle qui leur paraissait acquise. Les mêmes commentateurs rappellent qu’en 2011, le gouvernement Pasok de George Papandréou avait proposé une réforme du statut de l’ERT. La Nouvelle démocratie d’Antonio Samaras, alors dans l’opposition, l’avait refusée au nom de la «sauvegarde» du service public.
La décision de fermer l’ERT intervient alors que les représentants de la troïka (Commission européenne, Fond monétaire internationale et Banque centrale européenne) se trouvent à Athènes pour juger des «progrès» accomplis par le pays sur la voie de l’assainissement financier. Le gouvernement s’était engagé procéder à une nouvelle réduction de 2000 emplois publics en juin. C’est chose faite.
«Non à la dictature.» Quelques instants après l’annonce du gouvernement, une banderole a été déployée sur le bâtiment de l’ERT. Ce que la junte des colonels n’avait pas osé faire en 1967, un gouvernement démocratiquement élu l’a fait, regrettent les journalistes. Le directeur de la télévision les a sommés de quitter leur poste sous peine d’être arrêtés par la police. Mais la menace n’a pas eu d’effet.
Des milliers de manifestants se sont rassemblés devant le siège de l’ERT à Athènes en signe de protestation. Même si les Grecs sont en général très critiques vis-à-vis de leur télévision, publique et privée confondue, elle est très regardée. La réputation de l’ERT était en outre fondée sur une tradition qui laisse une large place aux documentaires et à la musique de qualité, contrairement aux stations privées. L’audiovisuel public était «un point de référence pour des millions de Grecs, y compris ceux de la diaspora», écrit le quotidien libéral Kathimerini.
Les employés de l’audiovisuel ont décidé une grève de 48 heures, tous les journalistes grecs cesseront le travail pour une journée. Dans les milieux politiques, les critiques visent le Premier ministre de la Nouvelle démocratie. Aucun débat n’a eu lieu au Parlement. La décision a été prise par décret, en attendant une loi qu’un des petits alliés de la coalition gouvernementale, la Gauche démocratique, a décidé de ne pas voter. Alexis Tsipras, le chef de la gauche radicale Syriza, arrivée en deuxième position aux dernières élections de 2012, en a appelé à l’arbitrage du président de la République, Karolos Papoulias, un vieux sage apprécié des Grecs de tous bords.
En prenant une décision présentée comme «courageuse» contre la télévision publique pour montrer sa détermination à nettoyer les écuries d’Augias, le Premier ministre Antonio Samaras a peut-être choisi la mauvaise cible.
Daniel Vernet