C'est un phénomène de plus en plus évoqué par les médias étrangers. Le vol de poussettes aurait touché près de 340.000 familles anglaises en 2012, un chiffre fourni par la compagnie d'assurance britannique Liverpool Victoria. Sur 2.000 parents interrogés, 7% se sont déjà fait voler leur poussette et 42% d'entre eux n'ont pas porté plainte.
En France, aucun chiffre n'est disponible. La faute aux peu de déclarations de vol enregistrées par la police. «Nous en entendons parler mais peu de gens portent plainte, j'en prends peut-être trois ou quatre par an», témoigne un policier d'un commissariat de la région parisienne. Ces procédures aboutissent rarement.
La police n'a pas fait de ce délit une priorité. «Peu de plaintes ne signifie pas que ça n'existe pas», concède un policier d'un commissariat du centre de Paris. A Paris comme à New York, la police répond qu'elle ne possède pas «de brigade pour les vols de poussettes».
Les constructeurs contactés, pas plus bavards, répondent «ne pas vraiment avoir d'informations pertinentes à donner sur le sujet des vols de poussettes.»
Entre 200 et 600 euros pour une poussette
«Il arrive régulièrement que des clientes nous expliquent qu'elles se sont fait voler leur poussette, indique Cécile Merlo, vendeuse depuis deux ans et demi au dépôt-vente Opitchounet, à Marseille (Bouches-du-Rhône). Les poussettes sont volées dans les halls d'escalier, dans les salles d'attentes des pédiatres...». Nadia, vendeuse depuis trois ans chez Natalys, dans le très chic VIe arrondissement de Paris, raconte:
«Nous avons des clientes qui se sont fait voler leur poussette à plusieurs reprises. Elles reviennent en acheter une mais c'est un investissement: la poussette que nous vendons le plus est la Bugaboo, à 619 euros.»
Hannah, une de ses collègues, complète:
«Nous avons au moins deux clients par semaine qui évoquent le vol de leur poussette. Étrangement, ça arrive souvent aux mêmes. Une de nos clientes a vu la sienne disparaître à quatre reprises.»
Le fabriquant hollandais Bugaboo, dont le chiffre d'affaire annuel s'élève à soixante-dix millions d'euros, vend dans cinquante pays des modèles design et ergonomiques dont la valeur excède parfois un millier d'euros. La poussette des stars, adoptée par Jennifer Garner, Gwyneth Paltrow ou encore Claudia Schiffer, n'est pas l'unique cible des voleurs. «Les Maclaren aussi sont visées par les délinquants, confie une vendeuse, depuis 25 ans chez New Baby dans le XIXe arrondissement de Paris: «Ainsi que les accessoires, comme les habillages pluie, qui disparaissent dans les crèches.»
Olivia Morlong, gérante de la boutique Little Design à Bordeaux (Gironde) depuis trois ans, conseille la prudence: «Je préviens tous mes clients de ne pas laisser la poussette à la crèche et d'utiliser un antivol.»
Plusieurs sites Internet de vente en ligne proposent des cadenas et antivols pour poussettes, tel BuggyGuard. Les antivols pour bicyclette font également l'affaire. «Nous conseillons à nos clients de monter la poussettes à leur domicile, explique Nadia, de Natalys. Certains voleurs arrivent à pénétrer dans les halls d'immeubles et sont outillés pour forcer les poussettes cadenassées.»
La vendeuse rapporte des discussions lors desquelles les clients évoquent de plus en plus ces vols, «en hausse croissante depuis 20 ans. Tous les deux mois, un client nous parle de sa poussette volée.» Selon la police britannique, ils ont augmenté depuis 2009 de 25% en Angleterre.
Mais pourquoi une telle hausse? La compagnie d'assurance Liverpool Victoria estime que l'augmentation du prix des poussettes est la cause de cette multiplication. La facture monte rapidement: un habillage pluie coûte une trentaine d'euros environ et une poussette de marque entre 200 et 600 euros en moyenne.
46 millions d'euros de marché noir en Angleterre
L'identité des coupables est difficile à définir. Les cadenas brisés font penser aux méthodes employées par des voleurs organisées. Pour autant, la police doute de l'existence d'un trafic de poussettes en France. Pourtant, en Angleterre, où seulement la moitié des poussettes sont déclarées volées, le marché noir était estimé par la compagnie d'assurance Halifax Home à 46 millions d'euros en 2009. Pour Elissa Gootman, la journaliste du New York Times, c'est «le crime parfait»:
«Certaines poussettes coûtent plus de 1.000 dollars (750 euros), écrivait-elle en 2011. Elles sont souvent laissées à l'extérieur, surtout quand la seule alternative est de les porter pour monter et descendre les escaliers. Elles sont sur roues. Elles n'ont pas de plaque d'immatriculation. Elles sont partout. Compte tenu du prix d'une poussette neuve, 200 dollars pour une poussette d'occasion semble une bonne affaire, ce qui explique la bonne santé du marché de la revente.»
Les poussettes disparues seraient en très grande majorité revendues sur Internet. Les modèles qui présentent des signes identifiables peuvent parfois être reconnus sur les sites de petites annonces. Un père de famille canadien a reconnu sa poussette volée à 583 euros sur Craiglist, l'équivalent américain du Boncoin. Il est allé lui-même la récupérer avec un ami.
De nombreux parents se tournent vers les sites de petites annonces pour acquérir leur poussette et entretiennent le marché frauduleux, indique John O'Roarke, de Liverpool Victoria. Les courtiers en assurance recommandent aux acquéreurs de modèles neufs comme d'occasion d'exiger une facture, utile en cas de vol ou de revente. Caroline Rosales, blogueuse allemande et mère, en témoigne dans der Spiegel: alors qu'elle cherchait à vendre sa Bugaboo, l'acheteur intéressé s'est révélé être un policier qui la soupçonnait de recel.
Que faire en cas de vol ?
Les personnes lésées peuvent-elles prétendre à un remboursement des assurances? La possibilité d'une indemnisation dépend du lieu où le forfait a été commis. Les crèches, les parcs d'attraction comme Disneyland Paris et les lieux publics déclinent en majorité toute responsabilité en cas de vol. En revanche, si la poussette a été dérobée au domicile (où 22% des poussettes de familles anglaises étaient déclarées volées en 2009, selon Halifax Home), l'assurance habitation peut jouer: «La valeur des biens est estimée dans un contrat d'habitation, explique Virginie Vinuesa, conseillère en assurance à la GMF. Il couvre les vols dans l'appartement. Mais ne sont concernés ni la rue, ni les parties communes, même protégées par un code».
Le propriétaire devra ensuite prouver l'achat de sa poussette. «Idéalement une facture, voire des photos, ajoute Virginie Vinuesa. La facture donne la date d'achat et permet d'être remboursé en fonction de l'ancienneté de la poussette». Si elle est perdue, le magasin dans lequel la poussette a été acquise peut parfois en fournir un double. Contrairement aux vélos, une poussette ne peut pour l'instant être assurée et ce, même si le prix d'achat est supérieur à 1.000 euros.
Célésia Barry