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Enchères sur enchères autour du conflit syrien

Temps de lecture : 4 min

A la veille de la deuxième conférence de Genève sur la Syrie, les différents acteurs cherchent à renforcer leur main.

Bachar el-Assad durant l'interview avec al-Manar TV à Damas, le 30 mai 2013. REUTERS/SANA/
Bachar el-Assad durant l'interview avec al-Manar TV à Damas, le 30 mai 2013. REUTERS/SANA/

Les enchères montent à l’approche de la conférence internationale sur la Syrie qui devrait se tenir en juin à Genève. Lors d’une visite du secrétaire d’Etat américain John Kerry à Moscou, Américains et Russes sont tombés d’accord pour organiser cette nouvelle réunion, après l’échec de la première conférence de Genève en juin 2012.

L’objectif de ce «Genève 2» est de trouver une solution politique au conflit qui a fait près de 100.000 morts en Syrie depuis deux ans et dans lequel les soupçons d’utilisation par le régime d’armes chimiques sont de plus en plus sérieux. La conférence devrait déboucher sur la constitution d’un gouvernement de transition. La question est de savoir comment serait composé cet éventuel gouvernement et surtout si Bachar el-Assad ou ses affidés seraient autorisés à y participer. Les avis divergent, non seulement parmi les belligérants, mais aussi entre les deux parrains russe et américain de ce «Genève 2».

Dans la perspective de cette négociation, chaque camp tente de renforcer sa main. Soutenu par le Hezbollah libanais et des moudjahidines envoyés par l’Iran, le régime de Damas est en train de marquer des points sur le terrain. L’armée loyaliste a lancé une offensive pour reprendre la ville de Qousseir, un enjeu stratégique pour les deux camps. Les représentants d’Assad seraient dans une position de force s’ils arrivaient à Genève auréolés d’un succès militaire.

D’autre part, le dictateur de Damas vient d’annoncer à une chaîne de télévision libanaise contrôlée par le Hezbollah que les premiers missiles sol-air russes S-300 étaient arrivés en Syrie. Ces derniers jours, les Occidentaux avaient essayé de dissuader Moscou de livrer ces armes. Le Kremlin n’a tenu aucun compte de ces avertissements arguant qu’il s’agit pour lui d’honorer des contrats anciens concernant des armements «défensifs» visant à empêcher des raids aériens sur la Syrie.

La tactique russe

Tout en continuant à fournir des armes au régime syrien, les Russes ont laissé libre cours à leur indignation après la décision des ministres des Affaires étrangères de l’Union européenne de ne pas renouveler l’embargo sur les livraisons d’armes en Syrie, c’est-à-dire aux rebelles syriens. La diplomatie russe a feint de croire qu’il s’agissait d’une manœuvre visant à torpiller la conférence de Genève. C’est une réaction tactique.

Les Russes ont au contraire tout lieu de se réjouir de la division des Européens que masque mal la décision de lever l’embargo. Les 27 sont en effet déchirés. D’un côté, les Français et les Britanniques sont partisans depuis des mois déjà d’aider militairement l’opposition syrienne «modérée», tandis qu’une majorité d’Etats européens s’en tiennent au principe selon lequel il ne faut pas «ajouter la guerre à la guerre».

Selon ces derniers, il y a déjà suffisamment d’armes en Syrie –certains Etats arabes comme le Qatar alimentent des groupes djihadistes–, les armes risquent de tomber dans de «mauvaises mains», c’est-à-dire chez des fondamentalistes islamistes qui pourraient même les retourner contre Israël. Enfin, des livraisons d’armes aux insurgés ne peuvent que braquer les Russes et retarder une issue politique du conflit.

Tous ces arguments ne sont pas sans valeur. On pourrait ajouter que les Européens –et les Américains– ont beaucoup trop attendu pour prendre une décision permettant d’une part d’améliorer si possible la protection des populations civiles et d’autre part d’équilibrer le rapport des forces entre l’opposition et le régime.

Toutefois la décision de l’Union européenne, avec toutes les conditions restrictives qui l’entourent, constitue avant tout un message envoyé aux diverses parties prenantes du conflit.

A la Russie, les Européens, soutenus par Washington, disent clairement qu’ils ne sont pas disposés à accepter n’importe quelle solution. L’embargo a été levé mais la France et la Grande-Bretagne se sont engagées à ne pas livrer d’armes avant le 1er août pour laisser toutes ses chances à la négociation. Mais cette négociation ne doit pas déboucher sur un maintien au pouvoir de Bachar el-Assad, ce qui reviendrait à une défaite de l’opposition.

Les signaux occidentaux

Car les Occidentaux se réservent une autre option: armer l’opposition afin de changer le rapport des forces et s’engager plus activement dans le conflit. En cas d’échec de Genève, il est probable que les Européens et les Américains abandonneraient le profil bas qu’ils ont choisi à propos de l’utilisation par l’armée d’Assad de gaz toxiques. La «ligne rouge» qu’ils avaient tracée a sans doute été franchie. S’ils feignent actuellement de ne pas le voir pour ne pas gêner l’action diplomatique, cette retenue n’aura qu’un temps.

Le signal est aussi à l’adresse de l’opposition syrienne dont la cohésion est de plus en plus mise à mal. En ouvrant la possibilité de livraisons d’armes dans certaines conditions, les Européens veulent renforcer l’aile modérée et laïque. Celle-ci s’est sentie abandonnée et a perdu du terrain au profit des groupes fondamentalistes, mieux équipés et plus déterminés.

Or cette opposition a besoin d’être soutenue non seulement dans sa lutte contre le régime, mais aussi dans la perspective de l’après-Assad, sauf à laisser le champ libre aux éléments les plus radicaux.

En confortant, s’il en est encore temps, l’opposition modérée face aux islamistes, les Occidentaux ne torpillent pas la conférence de Genève. Ils ouvrent au contraire la possibilité pour Moscou d’accepter un compromis entre le maintien du régime auquel les insurgés ne se résoudront pas et l’avènement d’une Syrie islamiste dont ni les Russes ni les Occidentaux ne veulent.

Daniel Vernet

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