Utilisateur de Facebook, vous n’échappez probablement pas aux publicités étranges qui envahissent votre timeline. Auparavant reléguées sur la colonne de droite de votre écran, elles sont désormais là, entre deux statuts de copains, à vous PROMETTRE que vous allez perdre 15 kilos en 2 semaines sans rien changer à vos habitudes.


Vous les avez évitées sur Facebook (ou vous n’êtes pas sur Facebook, d’ailleurs)? Vous les aurez sûrement croisées sur un site de streaming en voulant regarder votre série préférée.
Si ce n’est la pub vous promettant une incroyable perte de poids en un minimum de temps et d’effort, c’est donc ses frères et sœurs que vous aurez vus:
- Celle où un beau brun prénommé Julien tient à vous expliquer comment gagner 1.000 euros très facilement au point de vous forcer à cliquer trois fois sur la petite croix pour réussir à fermer la fenêtre de pub.
Un copain de Julien
- Ou encore celle où une jeune femme essaie de vous convaincre qu’en cliquant, elle vous emmènera dans un monde de webcams gratuites où elle et ses copines enlèveront leurs vêtements.
Comment fonctionnent ces pubs? Parce que oui, ces publicités fonctionnent. En effet, si vous faites peut-être partie des internautes qui sentent immédiatement l’arnaque, il y a quand même des gens qui cliquent dessus, sans quoi elles ne pollueraient pas nos écrans.
La logique est un peu la même que pour les spams, ou les arnaques nigérianes: «une rentabilité par grosse diffusion», explique François Lavaste, président du directoire de Netasq, une entreprise spécialisée dans la sécurité informatique.
«C’est toujours un calcul économique, parce que les cyber criminels veulent être rentables, donc ils vont essayer d’utiliser des médias de diffusion le moins cher possible, avec le meilleur retour possible, pour avoir un retour sur investissement.»
Même si 0,001% de personnes recevant un spam cliquent sur le lien donnant la recette pour agrandir leur pénis, ça peut être rentable car cela ne coûte rien ou presque à créer et envoyer.
Le système est le même pour ces vilaines publicités: leur omniprésence, leurs traductions approximatives en de nombreuses langues, et leur capacité à taper là où ça fait mal (l’apparence physique, l’argent, le sexe…) assure la diffusion en masse; il suffit qu’un tout petit pourcentage de personnes clique pour que l’affaire soit rentable.
Revenons à leur fonctionnement. Pour comprendre la logique qui sous-tend celles qui vous proposent de gagner de l’argent très facilement de chez vous, je vous conseille ce passionnant article de The Verge qui détaille leur fonctionnement machiavélique. De son côté, Slate.com s'est intéressé à celles qui parlent d'une «étrange astuce» pour avoir un ventre plat/ ne plus avoir de diabète/ avoir un plus grand pénis:
Dans leurs tests, ces pubs mènent à de looongues vidéos étranges. Dans les miens, celles qui promettent de faire perdre du poids fonctionnent ainsi:
Etape 1: la pub sur le site de base
Vous êtes donc sur Facebook, un lieu auquel vous êtes habitué et en qui vous avez relativement confiance, sur un site de streaming, ou tout autre blog ou site ne regardant pas en permanence ce qui se passe dans ses espaces publicitaires (ou s’en fichant tant que ça rapporte de l’argent).
Ces sites ne choisissent pas toujours consciemment d’héberger ces pubs. Ils font appel à des régies publicitaires qui gèrent leurs espaces de publicités. Ces plateformes ont souvent des règlements expliquant ce qui est acceptable ou non. Google précise par exemple que «toutes les affirmations publicitaires doivent être vérifiées dans les faits». Le blog officiel de Google rapporte interdire et supprimer des millions de publicités par an, et des milliers de comptes de pub d’annonceurs qui ne respectent pas les règles.
De leur côté, les éditeurs des sites décident en amont quelles catégories de publicité ils acceptent ou pas (par exemple Slate n’héberge pas de pubs pour des sites de prostitution et exige des tarifs tellement élevés qu’ils écartent de fait ces types de pubs*), signalent et interdisent les publicités louches qui échappent aux «barrières» de Google ou des autres plateformes de publicité qu’ils utilisent. Ces plateformes sont dans une position un peu paradoxale: les «mauvaises» pubs peuvent ternir leur réputation, mais elles rapportent aussi énormément d’argent... et ne sont pas nécessairement illégales.
Dans ses règles publicitaires, Facebook explique que les publicités pour les produits minceurs sont autorisées, tant qu’elles ne promeuvent pas un certain nombre de produits (comme les stéroïdes anabolisants par exemple). On peut signaler les publicités, et Facebook peut décider d’en retirer une, par exemple si le site juge qu’elle a un impact négatif sur la relation avec ses utilisateurs, explique un porte-parole de l’entreprise, qui ajoute:
«Si la page n’est pas forcément condamnable [légalement parlant, NDLR], c’est compliqué de justifier aux annonceurs qu’on ne la garde pas.»
Les sites de streaming se fichent d’être remplis de pubs moches. Ils fonctionnent au moins en partie gratuitement, donc sur un financement publicitaire. Tant que vous ne vous retrouvez pas avec un virus, vous continuerez à chercher votre série américaine préférée là où vous pouvez la trouver, même si cela exige au moins trois pop-ups publicitaires. Et les sites de streaming continueront à gagner de l’argent en vendant leurs espaces publicitaires.
C’est beaucoup plus embarrassant pour des médias, par exemple. Avec de mauvais réglages, même des sites aussi réputés que celui du Los Angeles Times, du Washington Post ou de The Independant se sont retrouvés dans le passé à colporter des pubs promouvant des pertes de poids spectaculaires. D’autant plus gênant qu’elles mènent... vers de faux sites de médias.
Etape 2: le faux site d’information
Vous vous demandez quel est cet ancien secret qui a permis à la dame de perdre 40 kilos en 2 jours.
En cliquant, vous voilà sur womenhealth.com, labonnesante.com ou dailyhealthreport.com, bref un site qui essaye de se faire passer pour un média d’information:
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Vous y trouvez une «journaliste» qui en ce moment s’appelle Helen Hasman et vous explique la fameuse astuce qui n’en est pas une: il s’agit d’acheter deux produits qui répondent au doux nom exotique de Mitoslim (censé être un produit amincissant à base de baie d’açai) ou NuovoCleanse (censé nettoyer le colon) qui vous feront maigrir.
En effectuant une simple recherche à partir de l’image de la jeune femme blonde, on se rend compte qu’elle se retrouve sur des dizaines de sites, généralement nommée Helen Hasman donc, et souvent présentée dans les sites anglophones comme une journaliste de Woman’s Health, au grand dam de ce véritable magazine.
Je n’ai pas trouvé la véritable identité de la jeune femme blonde, mais avant elle, en 2010, le même genre de sites avait fait de Mélissa Theuriau l’égérie de pilules minceur à base de baie d’açai à l’insu de son plein gré.
Le faux site d’information est là pour vous mettre en confiance, d’où la «journaliste», les logos de médias français et internationaux, tous les différents formats sur la page, les faux commentaires, etc.
L’affaire est également rentable parce que les sites ne coûtent pas cher à construire: ils reprennent tous la même architecture, le même genre de témoignage, se contentant de changer de «journaliste» et / ou de noms de produit (on prend ainsi comme exemple «Mitoslim» et «NuovoCleanse», mais on trouve aussi «Idrotherapy», «Essence of Argan», «Nidora», etc).
Les sites sont généralement créés par un programme d’affiliation, c’est-à-dire pas directement les créateurs du produit minceur, mais un intermédiaire qui gagnera de l’argent quand vous achetez un produit en étant passé par ce faux site d’info.
D’où le fait que n’importe quel lien cliquable, y compris ceux censés vous renvoyer vers une autre rubrique du site, vous amène sur un troisième site, marchand, où acheter les fameuses pilules.
Etape 3: les sites marchands
FAITES-VITES!, vous crient les sites marchands, profitez de cette offre EXCLUSIVE ET TEMPORAIRE!
Sur celui de Mitoslim, on retrouve de nouveaux témoignages de pertes de poids dingues, et un «médecin» qui nous recommande le produit, avec la photo issue d'une banque d'images d’un médecin tenant grâce à la magie de Photoshop une boîte de pilules (dans l’image d’origine, il tenait une pomme).
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Bien en évidence, un formulaire à remplir avec vos coordonnées personnelles (pratique si les personnes derrière les sites veulent ensuite les revendre à des fichiers de spam, vous n’avez même pas d’acheter leur produit pour leur rapporter de l’argent).
Une fois ce formulaire rempli, on passe aux choses sérieuses: une super offre qui se termine justement pile le jour-même –quel que soit le jour où vous allez sur ces sites, l’offre se termine toujours dans la journée– et vous propose trois bouteilles pour le prix de deux.
Les ennuis qui suivent dépendent des sites. Leurs actions ne sont pas toujours illégales, et/ou pas illégales dans tous les pays. Certains «sont de faux vendeurs. Vous payez, vous ne recevez jamais le produit, et le magasin disparaît ou réapparait avec un nouveau nom, un nouveau design», explique Christian Funk, analyste chez Kaspersky.
D'autres renvoient vers de vrais vendeurs qui vendent de mauvais produits (il existe aussi de vrais vendeurs vendant de vrais produits, mais c'est loin d'être la majorité, donc dans le doute...). L’arnaque classique est l’abonnement automatique à l’insu de votre plein gré: vous pensez acheter simplement un produit pendant une offre spéciale, et on vous débite tous les mois.
En fouillant dans les «termes et conditions» de Mitoslim (et qui lit les termes et conditions, ou CGU, des sites?), on trouve par exemple cette référence à un abonnement automatique, pas bien claire d’autant que la traduction de la page n’est pas optimale.
Si on prend l'exemple de Mitoslim, vous allez dans un premier temps payer 4,95 dollars, puis quatorze jours plus tard 79,95 dollars, puis 59,95 dollars tous les 30 jours
Sur Scambook, un site où dénoncer les arnaques, un internaute raconte comment il s’est fait abonner automatiquement à Idrotherapy et Essence of Argan et les difficultés qu’il a pour se désabonner –et stopper les prélèvements automatiques d’une centaine de dollars par mois. Même histoire pour cette internaute qui témoigne sur Rue89.
Et là, bon courage pour faire annuler ces prélèvements si l’entreprise rechigne (ou si vous n’arrivez pas à les contacter ou vous faire comprendre). Vous pouvez aller voir votre banque ou la police, mais ils risquent fort de vous répondre qu’il ne s’agit pas d’une fraude bancaire mais d’un litige entre commerçant et particulier –puisque tout était dans les CGU, explique Pascal Tonnerre, président du Réseau anti-arnaques.
Son organisation (composée d'anciens d’UFC Que choisir) conseille d’arguer qu’une autorisation de prélèvement bancaire, c'est l’équivalent d’un paiement par carte bancaire, et qu’une telle opération non-autorisée a un délai de révocation (13 mois dans l’espace économique de l’Union européenne, 70 jours en dehors). Une version pas toujours acceptée par les banques, précise-t-il.
Un procès mais pas de changement
La baie d’açai –celle-la même qui utilisait Mélissa Theuriau sur ses faux sites d’information– était le produit star de ce genre de pubs il y a quelques années.
Steve Baker, qui travaille pour la Federal Trade Commission, l’agence gouvernementale américaine responsable du droit de la consommation, se rappelle que des sites donnaient des échantillons gratuits d’açai, demandant simplement aux internautes d’entrer leurs coordonnées bancaires pour des frais d’expédition d’1 dollar.
«Mais c’était presque impossible d’annuler les envois, et les gens se retrouvaient à devoir payer des centaines de dollars [mois après mois]. En tout, on pense qu’ils ont pris plus d’un milliard de dollars.»
La FTC a poursuivi dix responsables de ces faux sites d’information faisant la promotion des pilules d’açai en avril 2011, avant d'aboutir à un règlement à l’amiable en février dernier, contre plus de 9 millions de dollars (les responsables n’ont également plus le droit de monter de tels sites sans dire qu’il s’agit de publicité et pas de journalisme, pour les produits «nettoyeurs de colon», blanchisseurs de dents, etc).
Dans son article sur cette affaire en 2011, le Washington Post notait que le procès de la FTC n’empêchait pas «des dizaines d’autres programmes d’affiliation d’utiliser la même formule –la pub intrigante, le site qui ressemble à un média d’information, l’offre d’un échantillon gratuit– pour vanter des régimes à base de mangue africaine ou d’hCG».
Vu l’argent que rapporte cette formule, gageons que les 9 millions déboursés ne freineront pas davantage ceux qui en profitent.
Cécile Dehesdin
* Il y a toujours des petits malins qui parviennent à passer entre les mailles des filets. Retourner à l'article