C'est une médaille d'or dont la France n'a pas parlé lors des derniers Jeux Olympiques de Pékin. Et pour cause, le plongeon de haut vol n'a jamais été l'une des spécialités du sport tricolore. En Chine, elle a suscité, en revanche, la déception de tout un peuple parce que sur les huit médailles d'or distribuées dans la discipline du plongeon à Pékin, elle fut la seule qui échappa à l'un des enfants du pays.
L'Australien Matthew Mitcham fut celui qui la décrocha et s'incarna donc en empêcheur de triompher en rond des Chinois. L'exploit n'était pas mince pour ce jeune homme de 20 ans inattendu sur la plus haute marche du podium. Son tour de force fut même salué dans son pays, quelques mois plus tard, par un autre titre de gloire: celui de son élection en tant que sportif de l'année. Mais si Mitcham capta ainsi l'attention de la sorte au point de devenir une vraie vedette en Australie, ce n'était pas seulement en raison d'un saut vertigineux dans une piscine. A Pékin, il est devenu tout simplement le premier homosexuel ouvertement assumé de l'histoire à être sacré champion olympique. Jamais avant lui, un athlète n'avait eu l'audace de faire son coming out au seuil d'une épreuve de cette importance. Pas même l'Américain Greg Louganis, autre plongeur de légende entre 1988 et 1992, qui ne révéla la réalité de sa vie personnelle qu'une fois sa carrière terminée.
Cette histoire, qui pourrait être rangée par beaucoup au rayon des anecdotes sans importance, est, au contraire, un événement considérable et c'est ainsi que l'a vécu toute la communauté gay à travers le monde. Pour tous les homosexuels, Mitcham a eu, en effet, ce formidable courage que d'autres n'avaient pas eu avant lui. Et il a dit sa fierté, le jour de son triomphe, de pouvoir partager sa victoire avec Lachlan, son compagnon qui l'avait notamment sorti d'une grave dépression dans laquelle il avait cette fois plongé pour le pire et qu'il embrassa comme du bon pain lors de sa conférence d'après victoire. Des images joyeuses mais censurées notamment en Amérique où le succès de Mitcham a eu de drôles de répercussions. L'Australien s'est retrouvé, malgré lui, au cœur d'un petit scandale médiatique lié à la couverture de la chaîne NBC à Pékin. NBC qui, lors de sa retransmission de l'épreuve de plongeon à 10 mètres, a, dans ses commentaires, totalement occulté les détails du destin personnel de Mitcham et a zappé tous les plans de coupe où figurait son compagnon.
Un homme et dix femmes ouvertement homosexuels sur les 11.000 participants aux JO 2008
Face au tollé des ligues homosexuelles aux Etats-Unis, la chaîne a dû présenter ses regrets. Autant dire qu'au-delà du bel exploit de Matthew Mitcham, le chemin s'annonce encore long et escarpé pour tenter de faire bouger les mentalités...
A Pékin, parmi les 11.000 athlètes qui ont participé aux Jeux, il était à remarquer que Mitcham était le seul homme à avoir revendiqué son homosexualité alors qu'elles étaient dix femmes à avoir annoncé la couleur. Des chiffres évidemment ridicules au regard de la population représentée. Se taire reste la norme, même si les femmes ont toujours affiché plus librement leurs préférences et sans doute un plus grand courage. Dans l'histoire du sport professionnel, elles ont été bien plus nombreuses à s'affranchir des conventions et des conséquences, à commencer par les championnes de tennis comme Billie-Jean King, Martina Navratilova et, plus récemment, Amélie Mauresmo. Aux Etats-Unis, des golfeuses (Rosie Jones) et des basketteuses (Sheryl Swoopes) ont également franchi le Rubicon.
Mais chez les hommes, le non-dit a toujours été la règle, certains libérant leur parole une fois retraités de leur discipline, à l'image du basketteur de NBA John Amaechi ou du nageur canadien Mark Tewksbury, champion olympique du 100m dos aux Jeux de Barcelone en 1992.
Vivons heureux, vivons cachés
En France, «L'Equipe Magazine» a publié, l'an dernier, l'émouvant témoignage de l'ancien joueur de football Olivier Rouyer qui fit notamment les beaux jours de l'AS Nancy-Lorraine au début des années 80 aux côtés de Michel Platini. «Oui, je suis homo, a-t-il révélé. Voilà, c'est dit publiquement, sans défiance, sans malaise. (...) Le milieu du football est un milieu où l'on n'aime guère ceux qui sortent des clous. Mais j'ai 52 ans, je suis heureux, et il est peut-être temps de parler.»
Vivons heureux, vivons cachés, telle a été longtemps l'existence de Rouyer qui, dit-il, n'a jamais subi d'attaques homophobes sur le terrain, même s'il pense que sa «différence» lui a valu de perdre son poste d'entraîneur à Nancy en 1994 à cause de sales rumeurs véhiculées sur son compte.
Les mentalités changent lentement
Ces exemples sont évidemment rarissimes dans un sport masculin qui vit sous une chape de plomb. Un homosexuel assumé en Ligue 1? Dans le Top 14? Sur les circuits ATP et de la PGA? En NBA? Sur les pistes de la Golden League? Ils n'existent visiblement pas et n'ont, semble-t-il, jamais existé à quelques très rares exceptions près comme Olivier Rouyer. Comme si un homosexuel restait perçu comme «dangereux» dans une arène sportive ou dans un vestiaire dont il risquerait d'être rejeté à partir du moment où il aurait «avoué». Dans ses mémoires, intitulées «Man in the middle», John Amaechi a défini «l'"inviolabilité" du vestiaire, lieu sacré, où la présence d'un homosexuel déclaré briserait tous les codes liés à la virilité fantasmée des sportifs de haut niveau». Amaechi y accuse également Jerry Sloan, le célèbre entraîneur des Utah Jazz, d'avoir eu recours à des discours homophobes pour motiver ses troupes.
Et puis pour expliquer cette impossibilité à affirmer sa vérité, comment ne pas imputer le poids considérable des marques qui cherchent à véhiculer des images qui ne cadrent pas vraiment avec celles d'un homme homosexuel. Dire, c'est renoncer de facto à ses contrats. Mark Tewksbury, nageur à la très forte notoriété au Canada, a ainsi perdu le soutien de sponsors dont il était le porte-drapeau et qui ont brisé leur contrat dès l'annonce de son homosexualité qui ne correspondait plus aux objectifs commerciaux de ses parraineurs.
Hélas, l'homophobie continue d'avoir la peau très dure dans le sport qu'il soit professionnel ou amateur. En accordant, le 17 juin, une interview au quotidien «Aujourd'hui Sport», Louis Nicollin, le président du club de football de Montpellier qui a retrouvé sa place en Ligue 1, l'a encore prouvé de triste manière. A la question de savoir s'il allait diffuser dans le stade de la Mosson le clip du Paris Foot Gay, club amateur gay, le président montpelliérain a répondu avec une très grande finesse: «Un clip sur le racisme, je suis prêt à le passer dès demain matin. Mais sur l'homophobie... Après, ce sera quoi, les femmes battues? (...) Si la maire me demande de le passer, je le ferai. Mais je préférerais montrer des filles à poil...».
Grégory Raulin, président des Gaillards, club amateur gay de rugby, dit lutter au quotidien avec cette indécrassable bêtise humaine, mais de très gros progrès ont été effectués au fil du temps au point que l'équipe est composée aujourd'hui à majorité de joueurs... hétérosexuels. «Ils sont heureux de jouer avec les couleurs des Gaillards et nous sommes très heureux qu'ils nous aient rejoints, avoue-t-il. Ils sont sensationnels: ils affrontent les préjugés et l'incompréhension de leur entourage familial et professionnel. C'est notre plus belle victoire.»
Yannick Cochennec
Photo de une: Amélie Mauresmo, au tournoi de Madrid, en mai dernier.REUTERS/Juan Medina.
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