Si on mélange la culture nippone en matière de formalité, de politesse et d'ambages, et celle des banquiers des banques centrales qui adorent l'opacité et le jargon économique, on pourrait penser qu'une réunion avec le gouverneur adjoint de la Banque du Japon serait comme faire un voyage sans retour vers un nuage de brouillard. Pourtant, lors d'une réunion qui s'est tenue lundi, Kiyohiko Nishimura, économiste formé à Yale, ancien professeur d'économie à l'Université de Tokyo et gouverneur adjoint de la Banque du Japon, a livré l'une des explications les plus lucides et utiles que j'aie entendues sur la crise du crédit et ses conséquences (et dieu sait si j'en ai entendues, des explications à ce sujet). Plus surprenant encore, son analyse de la situation est plutôt optimiste.
Un banquier d'une banque centrale est bien placé pour commenter la crise mondiale étant donné la triste histoire du Japon en ce qui concerne la gestion (ou, plutôt, la non-gestion) d'une bulle du crédit/immobilière. Les politiques incertaines du gouvernement et du secteur privé ont condamné le Japon à vivre une décennie traumatisante marquée par une croissance économique essoufflée. Nishimura a repris un de ses exposés - ainsi qu'un discours qu'il a prononcé au mois de mai lors d'une conférence de la Banque de réserve fédérale de Chicago - sur la comparaison entre la période qui a suivi l'effondrement de l'économie japonaise dans les années 90 et celle de l'après-crise économique américaine aujourd'hui.
Il est intitulé: «Le passé ne se répète pas, il rime». Cette rime apparaît clairement dans un graphique qu'il a surnommé «une ressemblance notable de l'évolution de la crise américaine et de la décennie perdue du Japon».
Nishimura situe le début de la crise japonaise au quatrième trimestre de 1990, au moment où les prix des terrains commerciaux ont commencé à chuter. En outre, il retrace les réponses politiques (la réduction des taux d'intérêts en 1991, le plan de relance en août 1992 et les années suivantes, l'essor de la bancassurance en 1995, les faillites bancaires en 1997, l'injection de fonds publics dans les banques en 1998, la politique de taux zéro en février 1999). L'économie nippone a recommencé à croître en 1999, avant de retomber dans la récession en 2001. Le dernier tournant pour le Japon est arrivé en octobre 2002, lorsque les autorités du pays ont exhorté les banques à gérer plus agressivement les prêts problématiques. «L'économie japonaise était globalement sortie du tunnel vers 2005», conclut Nishimura.
Si la première partie de son récit vous semble familière, c'est normal. S'appuyant sur un autre graphique, à côté du premier, il montre que la crise américaine - qui, selon lui, a été déclenchée par la baisse des prix des titres adossés à des créances mobilières en février 2007 - a suivi un parcours clairement similaire. Pour autant, cela ne veut pas dire que la période de vaches maigres aux Etats-Unis va se poursuivre pendant 15 ans. Les similitudes se trouvent davantage au niveau de la séquence des événements qu'au niveau de leur durée. On a parlé de rime, pas de répétition. En fait, la situation économique des Etats-Unis par rapport à celle du Japon peut être envisagée en «années de chien». Nishimura avait expliqué: «Dans la première phase, un mois au Etats-Unis équivalait environ à trois mois au Japon». Mais depuis septembre 2008, on a l'impression qu'«un mois aux Etats-Unis correspond plutôt à six ou sept mois au Japon».
Pourquoi cette accélération? Elle est en partie due aux changements qui ont lieu dans le monde. Nishimura souligne que les deux crises sont nées parce que les marchés du crédit et de l'immobilier en difficulté ont créé une «boucle de rétroaction négative» entre la panique financière et l'activité économique. Mais les informations, les événements et la panique circulent aujourd'hui dans le monde entier à une vitesse incomparable. Avec les systèmes de production dits «juste-à-temps» et les technologies de télécommunication du XXIe siècle, les mauvaises nouvelles sont diffusées très vite et ont une immense portée. Dans les années 90, une bonne partie des échanges d'informations relatives aux marchés internationaux se faisaient encore par fax. En outre, les opérateurs peuvent désormais réagir plus vite aux mauvaises nouvelles en temps réel. Au début des années 90, les analystes devaient attendre les données pendant plusieurs mois. Et dans la mesure où le niveau d'intégration financière était bien plus faible à cette époque, le Japon n'a pas exporté ses problèmes financiers.
Résultat: dans la crise actuelle, «les dysfonctionnements du marché sont allés très vite et leur contagion a été plus étendue que dans le cas du Japon». De surcroît, les dégâts ont été plus graves.
Bien sûr, la durée de la crise est également liée à la mentalité et aux actions de ceux qui ont réagi les premiers. Selon Kiyohiko Nishimura, un enseignement à tirer des deux crises est qu'une fois qu'une boucle de rétroaction négative s'installe, il est difficile et extrêmement coûteux de la briser et de rétablir la confiance. Dans les années 90, les bonnes nouvelles ont mis très longtemps à atteindre les populations clés, en partie à cause d'une réponse politique lente. Mais cette fois, c'est différent. La réserve fédérale des Etats-Unis - et, d'ailleurs, les banques centrales et les gouvernements du monde - ont réagi avec empressement. Les banques centrales du Japon n'ont adopté de politique de taux zéro qu'au bout de plus de huit ans après le début de la crise; la Federal Reserve Bank l'a fait au bout de 20 mois. Il a fallu près de huit ans que pour le Japon injecte de l'argent dans ses banques en grande difficulté, contre seulement 20 mois pour les Etats-Unis. Par ailleurs, Nishimura soutient que les efforts tels que les tests de stress et le programme TARP renforcent la confiance.
Si on suit la logique de Kiyohiko Nishimura, dans moins de deux ans et demi, les Etats-Unis auront connu autant de traumatisme et de reprise que le Japon en 12 ans. Et si cette analogie avec les années de chien continue de s'avérer juste, l'économie américaine pourrait aller mieux d'ici le début de l'année prochaine. Mais il ne faut pas s'emballer. Il y a d'autres leçons à tirer des hauts et des bas du Japon. «Il faut faire attention à ne pas être trop optimiste», conclut Nishimura. «Je suis moi-même ce conseil», confie-t-il.
Daniel Gross
Traduit par Micha Cziffra
Image de une: Tokyo by night. CC Flickr guwashi999