Di-Antalvic? Mais tout le monde, ou presque, connaissait sous ce nom cette association de paracétamol et de dextropropoxyphène (DPX). Au fil du temps, il était devenu l'un des symboles de la lutte médicamenteuse contre la douleur. Voici, en provenance du site spécialisé Doctissimo, des extraits de la fiche signalétique de cet antalgique présent sur le marché français depuis 1964, aujourd'hui commercialisé par Sanofi-Aventis. Le Di-Antalvic est utilisé «pour traiter les douleurs de niveau modéré ou intense». Il «n'est délivré que sur ordonnance». Il «peut entraîner une dépendance». Cet «antalgique opiacé agit en stimulant les récepteurs morphiniques qui modulent la douleur». Et parmi les effets secondaires indésirables possibles: «des troubles digestifs, une fatigue, des vertiges, une désorientation, de rares réactions allergiques (cutanées). Parlez-en à votre médecin à votre prochaine visite. Les personnes âgées ou souffrant d'insuffisance rénale peuvent faire des hypoglycémies.»
Utilisé depuis 45 ans, donc. Et puis cette incroyable nouvelle pour tous ceux qui avaient eu recours à lui: il allait devoir disparaître de notre horizon pharmaceutique. L'Agence européenne du médicament (plus connue dans les milieux professionnels sous le sigle anglophone d'EMEA) a, jeudi 25 juin, recommandé le retrait dans l'ensemble de l'Union des médicaments contenant du DXP. Comment comprendre? Sommes-nous là face à une grave menace sanitaire imposant des retraits définitifs du marché? Si oui, pourquoi nous priver d'un médicament dont personne ne conteste qu'il peut venir en aide à ceux qui souffrent «modérément» ou «intensément»?
Le comité de l'EMEA «pour les médicaments à usage humain», réuni à Londres, a conclu en substance que les avantages du DXP étaient inférieurs aux risques «de surdose mortelle» qu'il pouvait provoquer.
Risque de «surdose mortelle»? Pour un produit commercialisé à une très large échelle internationale depuis près d'un demi-siècle? Ainsi donc le Di-Antalvic et ses cousins génériques exposaient à la mort et nous ne le savions pas.... Si oui que faisait durant tout ce temps la police sanitaire des médicaments?
Pas de preuves
Fait aggravant: les experts de l'EMEA nous apprennent qu'ils ne disposent pas de preuves que le Di-Antalvic soit plus efficace que d'autres médicaments antalgiques. Mais pourquoi ne pas prendre en compte le simple fait qu'il le soit tout autant? Tous ceux qui ont le souvenir d'avoir été soulagé par lui lors d'une rage de dent ou de toute forme de douleur lancinante, «modérée» ou «intense», comprendront sans mal que l'on puisse soulever la question.
Et puis, pour ne parler que du Di-Antalvic, il y avait ce nom magique sans doute porteur, pour beaucoup, d'un effet placebo. Ce «Di» inaugural qui nous en disait long tout en faisant court! Puis ce trait d'union précédant cet «Antal» qui renvoie, consciemment ou pas à la lutte contre la douleur (algie)... Et enfin cette chute brutale, qui vibre et vous réveille à la vie! On aimerait, en ce triste jour, célébrer les talents de celui qui baptisa ainsi cette association de deux molécules.
Allons-nous donc vraiment devoir apprendre à oublier le nom même de Di-Antalvic? N'était-il pas possible d'imaginer des mesures de nature à réduire le risque de «surdoses mortelles». Non ! selon l'EMEA, qui n'a pas «identifié de mesure adéquate pour minimiser suffisamment les risques», comme des avertissements aux consommateurs, une limitation de la taille des boîtes, des demandes aux médecins ou aux pharmaciens de mieux informer les personnes concernées. Etonnante situation qui voit les foudres réglementaires européennes s'abattre sur ce médicament Hier encore il n'était que salvateur. Il est aujourd'hui en passe d'être diabolisé.
Un mal qui a pris en Suède et au Royaume-Uni
Il reste certes un espoir, mais il est bien ténu. La commission européenne dispose en effet désormais de 67 jours ouvrables pour donner son avis. Mais les spécialistes de ces questions que, au nom sans doute du principe de précaution et du poids grandissant des «experts» dans nos sociétés, la commission suit les avis de l'EMEA dans presque tous les cas.
On sait aujourd'hui que le mal a pris il y peu naissance en Suède et au Royaume-Uni, deux pays qui, en 2005, avaient retiré de leurs marchés nationaux ce qui faisait toute l'originalité et l'efficacité du Di-Antalvic: l'association du DXP, un opiacé faible créé dans les années 1960, et le bien connu paracétamol. Motif: un nombre important de décès par intoxications «volontaires ou non». Nous ne disposons pas des parts respectives des décès par intoxication volontaire. Ce qui n'aide guère, on en conviendra, à situer le risque, étant entendu que l'on peut volontairement s'intoxiquer avec bien des médicaments. On évoque 200 décès par an en Suède (9 millions d'habitants) et entre 300 et 400 au Royaume-Uni (60 millions d'habitants).
Le DXP dans le collimateur
Mais cette situation semblait spécifique à ces deux pays. En France par exemple, le nombre des décès s'était avéré de beaucoup inférieur. Nous avons même le souvenir qu'une enquête épidémiologico-pharmaceutique avait démontré que d'autres spécialités antalgiques voisines (dites de «palier II») présentaient une toxicité potentielle supérieure à celle du Di-Antalvic. Ce type d'hétérogénéité dérange toujours ceux qui, à Bruxelles, n'ont de cesse d'harmoniser la libre circulation des marchandises; a fortiori quand la santé humaine est en jeu. En novembre 2007, la Commission européenne demandait à l'EMEA d'évaluer «une fois pour toutes» la balance entre les risques et bénéfices de l'alliance DXP-paracétamol.
Puis, on ne sait guère pourquoi, les projecteurs européens furent braqués à compter de mars 2009 sur tous les médicaments contenant le seul DXP.
L'association DXP-paracétamol (additionnée parfois de caféine) est autorisée en Belgique, à Chypre, en France, au Luxembourg, à Malte ainsi qu'au Portugal. Pour combien de temps? L'EMEA recommande à ces Etats de retirer «progressivement» ces produits de leur marché. Objectif officiel: «permettre le transfert en toute sécurité des patients vers des thérapies alternatives appropriées.» Les «patients» aimeraient sans doute en savoir plus sur ces alternatives ; et au plus vite.
Comme souvent inquiets de leur ombre (ou plus précisément de l'ombre d'hypothétiques poursuites judiciaires engagées contre eux au titre du non-respect du principe constitutionnel de précaution) les responsables de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) ont aussitôt fait savoir qu'en France le retrait se ferait «dans un délai de l'ordre d'un an». Mais curieusement ils le font en exposant tous les éléments qui auraient pu justifier une position inverse.
Peu de cas de suicide au DXP
Ainsi sans ouvertement regretter la décision de l'EMEA, l'Afassaps rappelle qu'elle avait demandé à l'EMEA de maintenir l'association DXP-paracétamol, estimant que celle-ci avait en France «un profil de sécurité d'emploi satisfaisant dans des conditions normales d'utilisation». Et l'Afssaps d'observer que quand on se suicide avec des médicaments, en France, c'est rarement avec du DXP. L'Afssaps précise ainsi qu'il existe «des pratiques différentes en France dans le choix des médicaments en cas d'intoxication médicamenteuse volontaire, mais aussi dans le mode de conditionnement de ces produits et leurs conditions de délivrance».
Conclusion: on retire du marché... Comment bien faire, comment faire au mieux, contre le mal?
Kléber Ducé