France

De Sarkozy à Hollande, l’ère des présidents têtes à claques

Temps de lecture : 4 min

Si tout gouvernant plongé dans l’impopularité provoque un débordement d’esprit critique chez les commentateurs, le «Hollande bashing» ne réplique cependant pas exactement le «Sarko bashing».

Nicolas Sarkozy et François Hollande, le 15 mai 2012, lors de la passation des pouvoirs à l'Elysée. REUTERS/Patrick Kovarick/Pool.
Nicolas Sarkozy et François Hollande, le 15 mai 2012, lors de la passation des pouvoirs à l'Elysée. REUTERS/Patrick Kovarick/Pool.

En apparence, le «Hollande bashing» de la période actuelle n’est que le symétrique du «Sarkozy bashing» de la précédente. «La honte de la République», titrait naguère Marianne. «Il nous fait honte», proclame aujourd’hui Valeurs Actuelles en une. «Putain, 4 ans… ça va mal finir», s’alarmait en 2008 l’hebdomadaire spécialisé dans l’antisarkozysme. «Encore 4 ans, comment Hollande s’est autodétruit», répond en écho le Figaro Magazine ce mois-ci.

La tonalité des médias étant généralement indexée sur les enquêtes d’opinion, les mêmes causes produisent les mêmes effets. Tout gouvernant plongé dans l’impopularité provoque un débordement d’esprit critique chez les commentateurs. A y regarder de plus près, pourtant, l’hostilité à l’égard du président socialiste est fort différente de celle dont souffrait son prédécesseur.

Dès leurs premiers mois à l’Elysée, Hollande et Sarkozy n’ont pas été soumis à la même sévérité médiatique. Les Français sont conscients de cette différence, à en croire un sondage TNS-Sofres. En janvier 2013, seulement 13% d’entre eux jugeaient que les médias avaient un traitement «plutôt favorable à François Hollande» contre 31% de «défavorable». En janvier 2008, la balance était inverse concernant Sarkozy: 37% de «favorable» et 22% de «défavorable».

Des attaques plus fortes mais moins payantes

Les hebdomadaires de droite ont très vite pilonné le président socialiste alors qu’ils sont restés longtemps fascinés par le chef de l’Etat issu de l’UMP. A l’inverse, les magazines de gauche ont tôt basculé dans la critique présidentielle en 2012 alors que certains d’entre eux, comme Le Nouvel Observateur, ont longtemps été sensibles au charme sarkozien.

De basses considérations commerciales ne sauraient rendre compte d’une telle dissymétrie. Alors que le «Hollande bashing» est aujourd’hui plus virulent et plus répandu dans les médias que le «Sarkozy bashing», il se révèle moins rentable. Le Point avait certes réalisé un beau coup en titrant, dès le 17 mai 2012, «Fini de rire». Cette anticipation avait valu à l'hebdomadaire de bondir de 85.000 exemplaires vendus au numéro à 115.000. A L’Express aussi, les Une anti-Hollande ont pu un temps doper les ventes, de 75.000 exemplaires à quelques 95.000.

Mais les manchettes agressives à l’égard du pouvoir séduisent moins qu’avant. La meilleure vente du Point a été décrochée avec «Pépère est-il à la hauteur?» (88.000 exemplaires). «Avant, ce genre de Une, c’était 100.000 exemplaires d’office», confesse Cyrille Duval, PDG du groupe. L’insolent «Monsieur Faible» de L’Express n’a attiré que 63.000 acheteurs. Comme si l’opinion, largement désabusée, devenait de plus en plus insensible aux jeux politiques.

De la haine au mépris

Le dénigrement systématique —définition du bashing— dont ont été successivement victimes Sarkozy et Hollande n’est pas de même nature. Là encore, on constate un étonnant paradoxe. L’ancien président au «kärcher» avait provoqué des réactions d’hostilité autrement plus virulentes que l’actuel chef de l’Etat en quête de normalité. Et pourtant, les sentiments qu’inspire aujourd’hui Hollande sont peut-être plus infamants que ceux qui collaient à Sarkozy.

Celui-ci suscitait, dans de larges secteurs de la population, une véritable haine. L’agressivité du personnage y était pour beaucoup. Chacun se souvient de son trivial «Casse-toi, pauvre con» au Salon de l’Agriculture. Sarkozy réagissait, ce faisant, à une manifestation physique d’hostilité à son endroit. «Touche-moi pas, tu m’salis», avait osé l’avertir un quidam. Au-delà des aspects les plus choquants de sa manière de faire de la politique, le rejet de Sarkozy était surtout une affaire de caractère et de style.

Chez Hollande, le style du président est également sur la sellette. On critique volontiers son indécision, ses atermoiements, ses ambiguïtés. Mais le procès va ici au-delà d’éventuelles faiblesses de caractère.

C’est bien plutôt la compétence même du chef de l’Etat qui est ouvertement discutée. D’aucuns n’hésitent plus à lui reprocher de se comporter à l’Elysée comme le président du conseil général ou le premier secrétaire du PS qu’il fût.

La haine personnelle qui poursuivait Sarkozy devient ici une forme de mépris politique. Selon une enquête BVA, 62% des Français considèrent que Hollande n’est pas «compétent» et 65% qu’il n’est pas «capable de prendre les décisions qui s’imposent». L’honnêteté même dont continue à être crédité le président actuel conduit à mettre en doute sa clairvoyance. L’affaire Cahuzac l’a, en ce sens, affaibli dans la mesure où le chef de l’Etat semble avoir été berné par son ministre du Budget.

Le rassemblement des mécontents

Le candidat qui voulait «rassembler» les Français s’est transformé, en moins d’un an, en président le plus impopulaire de toute la Vème République. Avec 74% de «mécontents» de Hollande comme président, en avril dans le dernier indice de popularité Ifop, il bat le record détenu par son prédécesseur (72% au bout de quatre ans à l’Elysée).

Pire, la structure de popularité du président socialiste est nettement plus étroite que celle de l’ancien chef de l’Etat. En avril 2008, Sarkozy disposait encore d’un solide socle de droite. Il satisfaisait alors les trois-quarts des sympathisants UMP et près de la moitié de ceux du FN. Cela n’est guère étonnant si l’on veut bien se rappeler que l’hôte de l’Elysée appliquait la politique annoncée au cours de sa campagne électorale (fiscalité, heures supplémentaires, sécurité).

Les louvoiements et les contradictions (sur l’Europe, la finance ou les impôts) de la politique conduite par Hollande n’ont pas été digérés par une fraction notable de l’électorat de gauche sans parvenir à dégeler celui de droite. Aujourd’hui, le chef de l’Etat est en butte à l’hostilité de la quasi-totalité des sympathisants UMP, UDI et FN. Mais il mécontente aussi une majorité d’électeurs proches du Modem, d’EELV et du Front de gauche. Même chez les socialistes, Hollande doit se contenter du soutien de deux électeurs sur trois.

Un signe d’immaturité politique

Tout ceci devrait faire réfléchir ceux qui, comme Harlem Désir ou Jean-Pierre Chevènement, semblent s’étonner, et s’indignent, du «Hollande bashing». Pour autant, il ne fait guère de doute que cette tendance à accabler le président en place relève d’une forme d’immaturité politique. Par la personnalisation du pouvoir qui la caractérise, la Vème République a laissé prospérer la croyance naïve que tout ou presque dépendait de la volonté d’un seul homme.

Aujourd’hui encore, on supplie volontiers «le président» de parler (il va encore le faire ce jeudi 16 mai), afin de remettre de l’ordre, de rétablir la confiance, de fixer un cap etc. Le pouvoir est pourtant plus dilué que jamais. Une véritable critique de notre système de décision dépasserait largement les facilités d’attaques personnelles contre le châtelain de l’Elysée.

Eric Dupin

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