L’ascension de ce chou vert frisé a été fulgurante aux Etats-Unis. En deux ans, ce légume rugueux –kale en anglais, appelé entre autres chou plume, chou frisé non-pommé, ou borécole en français– est devenu une star du monde gastronomique, alors que jusqu'ici, il était surtout consommé par les animaux de la ferme et les végétariens marginaux.
Gwyneth Paltrow en parle sans cesse sur son blog, la famille Obama en a mangé pour Thanksgiving, et les grands chefs du pays l’ont mis au menu. En 2012, la salade de kale (avec citron vert et piment) d’un restaurant de Brooklyn a été élue plat de l’année par le mensuel Bon Appétit.
Cinq livres de recettes entièrement dédiés au légume ont été récemment publiés (l'un d'eux s'appelle 50 nuances de kale en hommage au best-seller érotique de E.L. James), et le kale est régulièrement photographié dans les magazines sous forme de jus, chips ou pesto.
Symbole politique
Le légume est aussi devenu un symbole politique: en manger veut probablement dire que vous êtes un peu écolo et bobo, et que vous soutenez les petits producteurs contre les grandes compagnies agroalimentaires.
Kristen Beddard, une expatriée américaine qui s’est donné pour mission d’introduire ce chou à Paris lie le succès du kale à la mode des jus et de la détox venue d’Hollywood. Pour se préparer au rôle de Catwoman, Anne Hathaway dit en effet avoir mangé du «kale et de la poussière» pendant des semaines… «Aux Etats-Unis, l’image du légume est vite passée de hippie à glamour et grand public», explique Kristen Beddard.
De l’élite au supermarché
Les connaisseurs vont jusqu'à masser le chou pour qu'il soit plus souple, essentiel si on veut le déguster cru. «Prenez des feuilles dans les deux mains et pressez-les, puis frottez-les entre elles. Recommencez», explique un journaliste du Los Angeles Times. En consommer –avec ou sans massage– est devenu un signe d’appartenance à une petite élite gastronomique.
«C’est ainsi que les Américains adoptent de nouveaux aliments», explique David Kamp, l’auteur d’un livre sur la culture culinaire américaine. «Il y a d’abord une phase un peu ridicule pendant laquelle le produit devient très tendance, et quelques années après on le trouve dans tous les supermarchés».
Le kale, nouvelle roquette?
David Kamp raconte que c’est ce qui s’est passé avec la roquette, qui est rapidement passée du statut de mauvaise herbe à salade officielle des gens sophistiqués. «Dans les années 1980, servir une salade de roquette avec du chèvre et de l’huile d’olive extra vierge, ça voulait dire que vous aviez réussi dans la vie».
Pour beaucoup d’Américains, la roquette demeure d’ailleurs un symbole de snobisme, même si elle est maintenant disponible dans tous les supermarchés. Lors de sa première campagne présidentielle 2008, Barack Obama avait eu le malheur de parler du prix élevé de la roquette pendant une rencontre avec des agriculteurs de l’Iowa. Il avait été rapidement traité d’élitiste incapable de comprendre les problèmes des vrais gens.
Au-delà des symboles politiques, prédire quel aliment sera la prochaine roquette ou le prochain kale est devenu un métier à part entière. L'experte en tendances culinaires Kara Nielsen sillonne les supermarchés, bistros et salons gastronomiques du monde pour dénicher les prochains aliments stars.
Prédire les prochaines stars alimentaires
Elle suit de près les progrès du kale, mais aussi de l’épeautre, des algues ou encore du sucre de noix de coco et des graines de chia.
Ces dernières années aux Etats-Unis, s’intéresser à la nourriture est devenu très à la mode. Les jeunes gourmets dépensent des centaines de dollars par semaine en restaurants, et débattent avec passion des têtes de porc grillées qu’ils ont mangé à Brooklyn (plus le plat est intimidant, plus vous serez respecté par vos pairs).
Certains clients photographient tellement souvent leurs plats que plusieurs chefs ont interdit les flash, et il existe déjà un blog intitulé «photos de hipsters en train de prendre des photos de leur nourriture».
Ces photographes acharnés sont aussi prêts à faire des heures de queue pour découvrir le dernier bistro à la mode (beaucoup de restaurants branchés n’acceptent pas les réservations).
Rock stars de bistro
Une anthropologue américaine écrivait récemment que le monde de la nourriture fonctionne désormais un peu comme celui du rock indépendant. «Manger des cuisses de grenouille au curry de thé des hauts plateaux thaïlandais, c’est un peu comme acheter un vinyle en édition limitée» expliquait Wendy Fonarow dans The Guardian.
Il y a un certain frisson de snobisme à manger des ingrédients auparavant méprisés. Ces temps-ci, les abats, les choux de Bruxelles et les oignons sauvages ont beaucoup de cachet.
Malgré le matraquage médiatique aux Etats-Unis, le kale n’a pas encore réellement percé en France. Cependant, les choses sont en train de changer grâce aux efforts de Kristen Beddard.
Cette publicitaire de formation a déjà convaincu plusieurs producteurs en Normandie, Bretagne et région parisienne de planter le légume, ainsi que plusieurs chefs parisiens de l'utiliser dans leurs plats.
Son blog The Kale Project permet de suivre chaque semaine les apparitions du chou dans les marchés et restaurants de la capitale. Grâce à Kristen, le légume a aussi fait son apparition dans les pages de Vogue et ELLE. Un petit groupe d’expatriés en manque de verdure soutient allègrement ces efforts.
Les Parisiens ont déjà adopté tellement de tendances gastronomiques venues d’Amérique que Kristen a bon espoir pour son légume chouchou. Après les cupcakes, les food trucks, les burgers de qualité, les bagels et les bars à jus, pourquoi pas le kale?
Claire Levenson
Article mis à jour avec les différentes dénominations du kale en français