Ce n'est jamais évident d'écrire une «nécro». Surtout à 1h du matin. Encore moins celle d'un artiste comme Michael Jackson, décédé jeudi 25 juin dans la soirée à Los Angeles, à l'âge de 50 ans. MJ «a été l'une des stars les plus adulées au monde puis l'une des plus controversées, pour ses transformations physiques ou son mode de vie», euphémise l'AFP dans son premier jet. Franchement extrême le garçon! Avouons-le: entre ses débuts gamin, la gloire, la fortune totale, et les transformations, les accusations de pédophilie, la ruine... il faut oser se mesurer à Michael Jackson, à sa mort, et aux souvenirs qu'il laissera. Essayer de faire mieux que Wikipedia et de ses sources est impossible.
Avouons-le aussi, je n'ai jamais été très fan de Michael. Pour le petit provincial ado que j'étais, flirtant davantage avec David Bowie, Clash ou Joy Division qu'avec les productions de la Motown, je préférais laisser Mickael Jackson aux habitués des pistes de danse. Et pourtant, l'annonce de son décès a fait ressurgir une ribambelle d'images. Je venais tout juste d'encaisser la mort définitive du brushing et avouons-le (promis, j'arrête de passer aux aveux), d'un émoi de jeunesse. De ce télescopage de souvenirs, ce sont les images, plus que la voix suraigüe du protégé de «Dirty» Diana Ross qui se sont pointées. Oui, plus que mes oreilles, ce sont mes yeux que MJ, première star internationale de la télévision, aura marqués pendant près de trois décennies. Magnéto!
Il est bien né MJ
Les Etats-Unis ont toujours fait très fort pour dénicher des stars hautes (lui on le reverra chez MJ) comme trois pommes. Michael a quatre frères, plus ou moins talentueux, et un père pasteur dans l'Indiana, très sûr du talent de ses gamins mais pas très tendre avec eux. A ce moment-là, MJ n'est pas encore le roi de la pop : il n'est que le chanteur des Jackson Five, véritablement lancés en 1968 par un premier contrat à la Motown. L'année suivante, les frères Jackson connaissent leur premier succès: «I Want You Back». Le jeune Michael «devient le chouchou du public», assure l'auteur de la note de Wikipedia. MJ, toute star internationale qu'il ait été, avait pourtant toujours des airs de petit garçon peureux, écrivait Rolling Stone. Et moi, à l'époque, je suis plutôt Barry White, mais celui-là.
Craintif à l'idée de donner une interview en tête à tête, s'entourant le plus souvent de frères, de sa sœur Janet ou de managers; presque incapable de tenir en place sur sa chaise, il ne se disait vraiment à l'aise que sur la scène - et avait su qu'il voulait y être dès ses 5 ans. Collectionneur de dessins animés, de figurines pour enfants, il aimait les bonbons, les jeux vidéos, les animaux - des serpents aux fauves. Et il avait tout cela dans son royaume enchanté, le «Magic Kingdom» qui fit couler tant d'encre. Tout ça et quelques hectares. Comme un enfant avec une vie de pop star. Pour Steven Spielberg, qui comparait alors Michael à un «enfant sensible», «si E.T. n'était pas venu voir le petit Elliott, il serait allé chez Michael».
En attendant E.T., Michael et ses frères avaient vraiment des coupes afro exceptionnelles.
Génération MTV
«Thriller», album du chanteur produit par Quincy Jones en 1982, est resté longtemps le plus vendu au monde d'après le Livre Guinness des records (entre 55 et 104 millions de copies vendues, 37 semaines non-consécutives au sommet du Top 200 album des Etats-Unis). Véritable phénomène, il a nourri la génération Michael Jackson et ses petits clones. (Je ne vous parle pas du moonwalk que des générations de jeunes quadras ont tenté - souvent en vain, ne mentez pas - de reproduire). Le clip lance véritablement la culture MTV. La chaîne musicale a été créée l'année précédente, mais «Thriller» aura été son momentum. L'album en effet a donné lieu à un très long clip vidéo, réalisé par John Landis. Probablement le père et la mère de toutes les vidéos, «Thriller» est sans conteste le meilleur clip de tous les temps. Il faut se souvenir les heures de guets devant Drucker pour le premier passage à la télé en France puis «boulevard des clips» — le french MTV — pour sentir le frisson du coup du chapeau Billie Jean + Beat It + Thriller. Jean-Marc Lalanne l'écrit mieux que moi et fait appel à Serge Daney. Je m'incline.
We are the world
En 1984 et 1985, un double épisode de famine frappe l'Ethiopie. Près d'un million de morts et, en Angleterre comme en France, les artistes se mobilisent pour rassembler des fonds. «SOS Éthiopie» et «Do They Know It's Christmas?» n'auront jamais le succès du «We are the World» écrite par MJ et Lionel Richie. Chanson insupportable, avec la rage de Bruce Springsteen dans une rivière de bons sentiments, mais qui récolte 50 millions de dollars pour «la cause qu'il voulait défendre». Anecdotes et chiffres sur wikipédia, le clip est dessous. On connaît la suite. Bernard Kouchner, le french doctor et VRP de l'action humanitaire inspirera une campagne de collecte de riz qu'il ira livrer lui-même en Somalie. Clip introuvable.
Les transformations physiques
Nous avions laissé MJ, un peu plus haut, avec sa coupe afro. A cette époque, son père l'appelait «Gros Nez». En quarante ans devant les objectifs des fans et des paparazzis, le monde a vu Jackson se transformer en direct. Un site retrace la façon dont il a changé de visage(s) au cours des années, de 1979 à 2004, de plus en plus blanc, les traits à chaque fois plus tirés. Jackson a nié avoir eu recours à toute chirurgie. Enfin, à part deux rhinoplasties. La blancheur de sa peau serait due à une maladie, le vitiligo.
Vanity Fair a décrit sa folie. Il y avait ses incantations vaudou, des bains de sang, des lavements rituels. Il y avait aussi ses dettes qui s'étaient accumulées dans les années 90, en dépit de ventes extraordinaires de disques. Il y avait les magiciens qu'il allait faire chercher en Europe, supposés capables de faire apparaître de l'argent. Il y avait aussi ses agissements étranges avec son enfant, à partir de 2002, lorsqu'il avait agité son bébé à la fenêtre de son hôtel pour le montrer — ce bébé blanc dont on ignorait d'où il venait. Il y avait aussi son visage, de plus en plus tiré, fardé, blafard.
Ces agissements bizarres lui étaient profitables, expliquait Vanity Fair, tant qu'il était fou, il n'était pas cet homme mûr chargé de responsabilités. Et il n'était pas toujours évident de distinguer la part de folie réelle, d'une communication arrangeante.
Les accusations de pédophilie
Au milieu des années 90, le monde «découvre» la pédophilie. L'Europe plonge dans l'horreur des agissements de Marc Dutroux et les Etats-Unis, bien avant le scandale des prêtres catholiques, se passionnent pour les perversions de Michael. Dès 1993, «Bambi» se voit en effet accusé d'abus sexuel sur mineur par la famille de Jordan Chandle. Non-lieu. Dix ans plus tard, «Wacko Jacko» s'attache à un jeune garçon des quartiers pauvres, atteint d'un cancer, Gavin. Jackson avait accepté, comme pour plusieurs fondations en faveur de l'enfance, de lui téléphoner régulièrement. Un an et demi plus tard, l'enfant, en rémission complète, était devenu, avec sa famille, proche de MJ. Lors de la diffusion d'un documentaire britannique sur la vie de MJ, tous les Américains assistent à la proximité entre l'enfant et le chanteur: ils se tiennent par la main, et Gavin raconte qu'il passait souvent la nuit avec son frère dans la chambre du chanteur. Les services sociaux se saisissent de l'affaire. Qui ira jusqu'au procès
Jacob Weisberg écrit alors dans Slate que selon lui, Jackson n'est pas pédophile: d'abord les pédophiles commettent des crimes à répétition, et même si MJ avait pu acheter ses victimes, seuls deux enfants avaient décrété avoir subi des attouchements. Par ailleurs entre ces deux accusations, aucun point commun dans la façon dont les crimes auraient été perpétrés. Enfin, pour Weisberg, MJ ne semblait pas avoir le profil psychologique d'un pédophile. «Naïf, juvénile, et terriblement atteint, il semble incapable, de façon pathétique, pas seulement de toute intention criminelle, mais de toute conscience adulte.» Et une telle conscience serait inhérente à la déviance sexuelle qu'est la pédophilie. Et si Michael Jackson dont l'idole est Peter Pan avait joué avec des enfants non pas pour les séduire, mais parce que, véritablement dérangé, il se pensait enfant?
Le scandale et son retentissement judiciaire ternissent son image, même s'il est finalement acquitté en juin 2005.
Réactions
Le traditionnel bal des réactions et hommages publics a commencé dès cette nuit. Madonna, autre monstre sacré de la pop, a confié ne plus pouvoir s'arrêter de pleurer. «Sa musique restera pour toujours». Pour le révérend Al Sharpton, leader du mouvement des droits civiques des Noirs aux Etats-Unis, «Michael Jackson a fait en sorte que la culture accepte une personne de couleur bien avant Tiger Woods, bien avant Oprah Winfrey et bien avant Barack Obama. [...] Et aucune controverse ne pourra effacer cet impact historique.»
Les politiques français ne sont pas en reste dans la poésie. Premier hommage officiel de Frédéric Mitterrand sur Europe 1, que beaucoup pressentaient très à l'aise dans l'exercice. «On a tous un peu de Michael Jackson en nous». «Si j'avais pu rencontrer Michael Jackson et lui dire que ce que je peux représenter de la culture française lui rend hommage, je l'aurais fait tout de suite», a-t-il assuré, saluant «un musicien génial, qui a réussi à se mettre au carrefour de toute sorte de courants musicaux». Pour Jack Lang, Michael Jackson était «un monument», «un génie», «une star planétaire», «une sorte d'Icare de la scène» et sa mort est «On le croyait immortel, lui-même voulait s'élever au-dessus du temps, au-dessus de l'espace», a-t-il déclaré sur RTL.
Les personnalités ont également utilisé leurs comptes Twitter pour envoyer leurs réactions en moins de 140 caractères. Pour le rappeur P Diddy, «Michael Jackson a fait que la musique a eu une vie. Il m'a fait croire également en la magie. Il nous manquera.» Les hommes politiques montrent eux aussi leur modernité en réagissant sur le réseau social. David Miliband, le jeune ministre britannique des affaires étrangères, écrit : «Jamais personne n'est monté si haut pour plonger ensuite si bas. RIP Michael.»
Mais Twiter est aussi victime collatérale du décès de Michael. Selon le newsblog du NY Times qui cite un chercheur d'Harvard, 15% des messages déposés sur Twitter dans la soirée du 25 juin mentionnaient Michael Jackson. «Ni l'Iran ni la grippe A n'ont dépassé les 5%. MJ pourrait bien être le mot clé qui risque de planter twitter. Bingo ! A 0h30, je me demandais bien ce qui m'interdisait l'accès à mon compte. «Twitter is over capacity. Too many tweets! Please wait a moment and try again.» J'ai compris un peu plus tard que jusqu'au bout, Jackson aura été hors norme.
Partout sur le Web, la nuit a été mouvementée. Après la première annonce du décès vers 23h40 par le site TMZ.com, la confusion a régné pendant plus d'une heure. Entre minuit et une heure du matin, les grands médias américains ont hésité à confirmer la nouvelle, certains parlant seulement d'hospitalisation, d'autres de coma. La plupart des sites d'information ont connu des pics de fréquentation qui ont ralenti les connections et fait tomber des serveurs à la pelle. Tous ceux qui se sont connectés à Facebook ou encore sur le site du LA Times, qui a été le premier à confirmer la mort de Jackson, peuvent en témoigner.
Johan Hufnagel, avec Charlotte Pudlowski