Presque un an après la conférence de Genève de juin 2012, qui s’était soldée par un échec, la diplomatie semble reprendre ses droits dans la recherche d’une solution politique au conflit syrien, qui dure depuis plus de deux ans, a fait plus de 80.000 morts et des centaines de milliers de réfugiés.
Contrairement à ses compères, Ben Ali en Tunisie, Moubarak en Egypte ou Kadhafi en Libye, balayés par les «printemps arabes», Bachar el-Assad a réussi à se maintenir au pouvoir, avec l’aide de la Russie et de l’Iran. Les Occidentaux, qui hésitent à livrer des armes aux groupes rebelles de plus en plus dominés par les islamistes, paraissent impuissants.
Dès son arrivée au pouvoir, François Hollande s’est pourtant montré actif sur le dossier syrien. Il a réussi à entraîner ses partenaires, européens et américains, dans la reconnaissance du Conseil national syrien comme représentant légitime du peuple syrien.
«Ligne rouge» et «donne qui change»
La France n’est pas la dernière à apporter de l’aide humanitaire aux insurgés, comme aux Syriens contraints de quitter leur patrie et de s’installer dans les pays voisins. Elle a même été en pointe, avec la Grande-Bretagne, pour essayer de lever l’embargo européen qui frappe les armes à destination de la Syrie, y compris celles destinées à l’Armée syrienne libre. Mais la crainte de plus en plus pressante que les armes tombent dans les mains de groupes extrémistes a refroidi les ardeurs.
François Hollande, comme Barack Obama, a averti, voilà quelques mois déjà, que l’utilisation d’armes chimiques par le régime de Bachar el-Assad constituerait «une ligne rouge» qui «changerait la donne». La «ligne rouge» semble bel et bien avoir été franchie. Si le 8 mai, dans un entretien au Monde, Laurent Fabius déclarait encore que la France «avait des indices mais pas de preuves», son collègue américain John Kerry était affirmatif, quelques jours plus tard: «Nous pensons avoir la preuve solide de l’utilisation [des armes chimiques].»
Comment réagir si «la donne a changé»? Les Occidentaux, Américains en tête, n’ont pas l’intention d’apporter à cette question une réponse militaire.
Les livraisons d’armes aux rebelles sont compliquées, pour les raisons mentionnées. L’imposition d’une zone d’exclusion aérienne est un acte de guerre, au même titre que le bombardement des installations produisant ou stockant les armes chimiques. Les Occidentaux n’y sont pas prêts et le Conseil de sécurité, bien qu’aux abonnés absents depuis plusieurs semaines, mettrait certainement son veto.
Le départ de el-Assad reste-t-il une condition?
Reste la voie diplomatique, et elle passe par Moscou. Vladimir Poutine a réussi à se placer au centre du jeu. Les Américains viennent de lui reconnaitre ce statut en annonçant, de concert avec les Russes, la convocation avant la fin du mois de mai d’une conférence internationale qui devrait permettre d’ouvrir un dialogue entre le régime de Damas et l’opposition.
Ce pourrait être un progrès si pour ce faire les Occidentaux ne renoncent pas à toutes les conditions qu’ils ont posées, dans la foulée de l’opposition syrienne. Et en particulier le départ de Bachar el-Assad, qu’ils réclament depuis deux ans.
Dans l’accord passé entre le secrétaire d’Etat américain John Kerry et son collègue russe Sergueï Lavrov, l’incertitude demeure sur ce dernier point, celui-là même qui avait fait capoter la conférence de Genève. Les Occidentaux s’accrochent à des déclarations ambigües de la diplomatie russe, selon lesquelles Moscou n’est pas concerné par le sort de «certains individus».
Mais dans le même temps, la Russie continue, sous prétexte d’honorer d’anciens contrats, d’équiper le régime de Damas et s’apprête à lui livrer des missiles sol-air SS-300. Ces armes permettraient à Bachar el-Assad de riposter à d’éventuelles frappes israéliennes ou à l’imposition d’une zone d’exclusion aérienne.
Poutine cherche à renforcer sa main
Il est évident que Vladimir Poutine cherche à renforcer sa main s’il doit y avoir marchandage. Le président russe est intéressé à empêcher l’effondrement du régime syrien pour plusieurs raisons. Il veut mettre un terme aux changements de régime dans le monde arabe, dont il pense qu’ils ont été inspirés par les Occidentaux. Le regime change est sa hantise depuis les révolutions de couleur dans les républiques ex-soviétiques, qui ont renversés les dirigeants postcommunistes.
D’autre part, il veut éviter l’installation d’un gouvernement islamiste —ou une instabilité permanente qui ferait le jeu des islamistes— dans un des principaux pays du Moyen-Orient, qui reste un des derniers alliés de la Russie dans la région.
Enfin, ayant besoin de l’onction de l’Eglise orthodoxe pour donner une légitimité historique à son pouvoir, il se veut le défenseur des minorités chrétiennes contre le fondamentalisme islamique. Il n’est cependant pas exclu qu’il soit prêt à «sacrifier» Bachar el-Assad s’il a la garantie que son régime se survivra sous une forme ou sous une autre.
Pour mettre fin au bain de sang et éviter d’être entrainés dans une aventure militaire dont il ne veut pas, Barack Obama —et ses alliés européens—, sont-ils disposés à donner satisfaction à la Russie? C’est l’interrogation de ces prochaines semaines. Avec une question subsidiaire qui concerne aussi bien les Russes que les Occidentaux: les uns et les autres sont-ils en mesure d’imposer une solution à leurs alliés respectifs?
Daniel Vernet