Avant sa démission fin mars, le Premier ministre libanais Najib Mikati avait choisi une politique de non-ingérence et avait incité les dirigeants politiques à conseiller au Hezbollah de ne pas s’impliquer davantage dans le conflit syrien, sachant qu’il représente le bras armé de l’Iran dans la région. La communauté chiite elle-même avait considéré qu’elle n’avait aucun intérêt à s’insérer dans le brasier.
Le gouvernement libanais craint en particulier qu’une escalade militaire impliquant le Hezbollah n’ait une influence sur les prochaines élections législatives, prévues en juin. Il a compris tardivement que l’arsenal de la milice islamique n’avait pas été constitué en prévision d’une libération de la zone contestée des fermes de Chebaa, encore aux mains des Israéliens.
Il demeure évident que les combattants du Hezbollah ont d’autres objectifs, qui leur ont été définis par l’Iran. L’ancien ministre libanais des Affaires étrangères Adnane Mansour prétend que les miliciens du parti de Dieu n’ont pour rôle que de protéger les frontières libanaises du sud contre Israël, alors qu’ils sont basés massivement à la frontière syrienne.
Hassan Nasrallah, le leader du Hezbollah, n’hésite lui plus à menacer ouvertement d’intervenir en Syrie aux côtés de l’Iran si tous les dirigeants n’axent pas leurs efforts vers une solution politique «préférable en tous points à l’affrontement militaire, lequel, s’il se poursuit, deviendra extrêmement dangereux pour la région».
Mais paradoxalement, dans une démarche qui a dû lui être imposée par ses parrains, il ne cherche pas à envenimer une situation déjà tendue avec Israël. D’ordinaire, il était le premier à fanfaronner sur ses coups d’éclat militaires; or, il a formellement démenti l’implication du Hezbollah dans l’envoi du drone qui a été abattu par l’aviation israélienne au large de Haïfa le 25 avril:
«D’ailleurs, il n’y a rien qui prouve que cet avion a été réellement envoyé. Je ne dis pas non plus que cela n’a pas eu lieu. Mais aucune preuve n’a été avancée à ce propos.»
Certains experts laissent entendre que les Gardiens de la révolution iraniens présents au Sud-Liban seraient en fait les vrais responsables de ce drone destiné à tester la défense aérienne israélienne, car le Hezbollah est déjà fort occupé dans ses combats en Syrie, qui font de nombreuses victimes dans ses rangs.
«Ils ne pourront pas faire chuter Damas»
Hassan Nasrallah a pourtant minimisé les mouvements armés qui combattent le régime de Bassar el-Assad:
«Ils ne pourront pas faire chuter Damas. Ils sont incapables de faire chuter le régime par les moyens militaires, quoi qu’en disent les médias arabes.»
Cependant, il a laissé entendre qu’il pourrait intervenir militairement avec ses alliés iraniens dans le conflit syrien car «les amis de la Syrie ne permettront pas la chute du régime de Bachar el-Assad». Il répondait ainsi au leader des forces libanaises Samir Geagea, qui lui avait conseillé «de retirer ses combattants de Syrie car les affaires internes d’un pays sont de la responsabilité du pays en question». Nasrallah a ajouté que «la Syrie compte dans la région de vrais amis, qui ne permettront pas que ce pays tombe dans les mains des États-Unis, d’Israël ou des fondamentalistes sunnites».
Il a enfin reconnu, pour la première fois, la participation de combattants du Hezbollah aux côtés de l’armée syrienne:
«Un grand nombre de miliciens de l’opposition se préparaient à prendre le contrôle de villages habités par les Libanais. Aussi, était-il normal d’offrir toute l’aide possible et nécessaire pour épauler l’armée syrienne, les comités populaires et les habitants libanais.»
Il a aussi menacé les groupes armés salafistes et ceux qui les financent, à savoir l’Arabie saoudite.
Réflexion à Washington, intervention en Israël
Cette implication avérée du Hezbollah en Syrie a poussé Washington à envisager sérieusement d’armer l’opposition au régime de Bachar el-Assad, après une réévaluation des options américaines et après diffusion d’informations militaires obtenues par les commandos israéliens qui opèrent ponctuellement en Syrie. Cette décision semble justifiée aussi par la réussite des contre-offensives des forces loyales du régime syrien, qui ont repris le quartier de Wadi el-Sayeh à Homs en infligeant des pertes aux rebelles.
Selon des ONG locales, l’opération de reprise de Wadi el-Sayeh a été coordonnée par les forces issues d’Iran et du Hezbollah sous les ordres d’officiers iraniens qui supervisent les opérations militaires. Les forces du régime ont ainsi réussi plusieurs percées dans des villes aux mains des insurgés et ont réussi à bloquer les sources d’approvisionnement d’armes en provenance de la frontière jordanienne.
Devant cette évolution de la situation, les Israéliens ont eux décidé de leur propre stratégie, consistant à agir contre leur seul ennemi dans la région, le Hezbollah. L’armée de l’air de Tsahal a procédé à une première frappe, le 3 mai, contre une cargaison de missiles de haute technologie en instance de transfert aux miliciens islamistes, sans viser d’armes chimiques. Le cabinet israélien de sécurité, réunissant les huit principaux ministres chargés de prendre les décisions sécuritaires pour le pays, avait autorisé la frappe lors de sa réunion secrète du 2 mai.
Simultanément, l’armée avait lancé un exercice de mobilisation de 20.000 réservistes au nord du pays, avec tanks et aviation, d’une part pour tester la réactivité des soldats à se rendre dans l’heure sur le champ de bataille, d’autre part pour mettre en garde le Hezbollah et les Gardiens de la révolution basés au Sud-Liban de n’envisager aucune action aventureuse contre Israël.
Les Israéliens se sentent de plus en plus concernés depuis qu’ils sont convaincus que des combattants islamistes liés à al-Qaida sont en première ligne dans l'insurrection armée contre Assad. Ils savent qu’ils seront les prochaines cibles si ces islamistes prenaient le pouvoir en Syrie avec, à la clé, la récupération de l’arsenal chimique.
L’aviation israélienne a donc procédé à de nouvelles frappes le 4 mai sur des cibles en Syrie à proximité des dépôts d’armes chimiques. Des avions F-16 ont opéré depuis le territoire libanais et le Golan israélien, où ont retenti les sirènes d’alarme. Certains avions ont survolé le complexe présidentiel syrien à des fins d’information sans être attaqués.
Des soldats en uniforme iranien
Ces actions militaires sont consécutives aux informations qui sont parvenues aux israéliens qu’un pont aérien militaire a été organisé entre l’Iran et les forces du Hezbollah, aidées par les militaires iraniens basés en Syrie, au Liban et aux frontières nord d’Israël.
Les appareils électroniques ont filmé, pour la première fois, des soldats en uniforme iranien. Il s’agirait de miliciens bassidjis, formés aux techniques de combat urbain, chargés d’affronter et de déloger les rebelles syriens dans les villes. 6.000 de ces miliciens, stationnés jusqu’alors à Damas, ont été envoyés à la frontière syro-israélienne et au Sud-Liban, trop près du pays pour qu’Israël ne réagisse pas. Une partie des 20.000 réservistes mobilisés pour des exercices sera affectée le long des frontières avec le Liban et la Syrie.
Les israéliens s’inquiètent surtout des armes conventionnelles accumulées par le Hezbollah car, selon les informations des services de renseignements, Bachar el-Assad ne cherche pas à transmettre ses stocks d'armes chimiques à ses alliés du Hezbollah libanais. Cette précision a été fournie par Amos Gilad, expert au ministère israélien de la Défense, qui a confirmé que l’aviation israélienne n’avait visé qu’un chargement de missiles conventionnels en instance de livraison au Hezbollah.
Selon lui, «la Syrie dispose d'importants stocks d'armes chimiques et de missiles. Nous avons les moyens de savoir cela. Les islamistes du Hezbollah n'envisagent pas d'utiliser ces armes, préférant des systèmes qui couvrent la totalité du territoire car les armes chimiques tuent ceux qui les emploient». Une référence aux 60.000 missiles conventionnels sol-sol dont le Hezbollah dispose.
Jacques Benillouche