Culture

Marseille 2013: le premier circuit périurbain de grande randonnée

Temps de lecture : 9 min

Entre zones commerciales et friches urbaines, la capitale culturelle 2013 propose le premier circuit de grande randonnée en milieu urbain, loin des images de cartes postales de la région. Un pari de tourisme «destroy» pour renverser les stigmates de la ville et donner une cohérence symbolique et géographique à la grande métropole marseillaise.

Chaine de La Fare, sur le circuit du GR 2013 © Baptiste Lanaspeze
Chaine de La Fare, sur le circuit du GR 2013 © Baptiste Lanaspeze

Marseille

«Traverser le parking de Leroy Merlin par la bande piétonne verte, la suivre vers le magasin et le contourner par la gauche. Continuer tout droit entre Maxi Zoo et King Jouet. Au rond point, prendre à gauche jusqu’au rond-point du Quick.»

Ces lignes ne sont pas extraites d'un itinéraire GPS destiné à se rendre dans une quelconque zone commerciale de banlieue, mais du topoguide du GR2013, sentier de grande randonnée péri-urbaine conçu pour Marseille Provence capitale européenne de la culture.

Exit donc les balades au bord de l’eau et les calanques, Marseille 2013 propose comme l'un des événement phares de son année culturelle une randonnée qui sent plus le pot d'échappement que la pinède, loin des images de cartes postales de la région. Au programme de ce circuit de 365 kilomètres: petit détours aux abords des déchetteries, promenades à proximité des centres commerciaux, points de vues sur les aéroports et les zones industrielles. Dans une région dont la principale ville, Marseille, souffre d'un déficit d'image, pourquoi avoir décidé de miser sur un tourisme des lieux industriels, un tantinet destroy?

Un parcours calibré pour le territoire de la capitale

Dans un premier temps, sans doute parce que le projet cadrait bien avec l'ambition régionale de la candidature de Marseille Provence comme capitale de la culture. En effet, le sentier du GR2013, qui dessine un huit dans la région -comme métaphore de l'infini diront ses créateurs– serpente ainsi dans les 38 communes de la région. D'Aubagne à Salon de Provence et Martigues en passant par de plus petites villes comme Gardanne, Cadolive, Cabriès ou Velaux, de nombreuses localités ont été intégrées au parcours.

Car comme le rappelle le président du Conseil Général, Jean-Noël Guérini, directement dans le dossier de presse de ce même GR: «N'oublions jamais que c'est tout un territoire qui a présenté sa candidature au titre de Capitale Européenne de la Culture pour 2013.»

Le territoire de la capitale culturelle. Source: Marseille Provence 2013

Approche territoriale confirmée par l'auteur du projet Baptiste Lanaspeze, ancien coordinateur de la radio culturelle locale Radio Grenouille et fondateur de la maison d'édition Wildproject consacrée entre autres à l'écologie. Au départ contracté pour éditorialiser la programmation de MP2013, Baptiste Lanaspeze écrit dans un deuxième temps le projet du GR2013.

«J’étais venu voir MP2013 avec des idées d’écologie urbaine, en attirant leur attention sur le fait qu’il n’y avait pas un seul projet sur la relation ville/nature. Par la suite je leur ai dit qu’il fallait un véritable projet plateforme, une grosse infrastructure, avec le rapport ville/nature comme dénominateur commun».

Editorialiser le territoire

Pour Nicolas Maisetti, docteur en science politique à l'université Paris I et auteur du blog d'analyse Marseille Internationale, la raison du succès du projet pourrait également s'inscrire dans une tendance présente dès la genèse de la programmation de Marseille Provence 2013: englober plus de villes pour masquer certaines lacunes culturelles de Marseille.

«Dès le début, Gaudin souhaitait se débarrasser du fardeau de gérer la capitale culturelle, il savait que Marseille ne pouvait pas offrir une offre culturelle conséquente et a donc décidé de s’appuyer sur la région et d’englober des villes réputées pour leur dynamisme culturel comme Aix, Arles et Avignon dans le projet culturel territorial.»


Le circuit du GR2013 / Wildproject via Wikimedia Commons

Le GR2013 se situe donc également dans cette volonté d'étaler la programmation sur le territoire pour pouvoir proposer une offre plus riche. S'ajoutent à cela d'autres points fort du projet, comme un budget réduit, 46% du GR2013 étant constitué d’itinéraires déjà existants, le reste ayant été balisé bénévolement par la Fédération Française de Randonnée. Il propose enfin une approche politique habile.

«Un chemin de randonnée, c’était malin politiquement pour les petites villes qui se retrouvent ainsi reliées entre elles comme par un réseau sanguin dans le territoire. Ce GR2013 est ingénieux car il donne une cohérence symbolique et géographique à toute cette grande métropole, il éditorialise le territoire.»

Autre chose que les calanques et la Sainte Victoire

Toutefois, avec ce GR, il n’est pas simplement question d’organiser le territoire sous un projet commun et pour des frais moindres. En choisissant délibérément de mélanger dans ses itinéraires des espaces ruraux préservés à des lieux très urbanisés, voire industrialisés (autoroutes, usines, gares, etc.) ce GR nouvelle sauce ouvre une réflexion sur l’image de la région et son vaisseau amiral, Marseille. La touche destroy s’affirmerait donc comme un empêcheur de tourner en rond, un prétexte pour changer le regard.

Pour Baptiste Lanaspeze, l’objectif du GR2013 est ainsi d'«inviter les habitants et les touristes à vivre autrement leur territoire de sorte qu'ils voient un peu autre chose que les calanques et la Sainte Victoire». De ce fait, le sentier inclut au cours ou en marge de la randonnée, des promenades sonores, des piques-niques, des points de vue, des expositions de photographies des zones urbaines traversées...

Sur le repérage du circuit © Baptiste Lanaspeze

Des propositions artistiques dans la veine de plusieurs groupes d'artistes internationaux qui ont fait de la marche ou de la promenade, souvent collective, une pratique importante, comme les randonnées des artistes britanniques Richard Long ou Hamish Fulton, ou encore des groupe d’artistes plus récents tels que le collectif Stalker.

Selon Suzanne Paquet, historienne de l'art et spécialiste des territoires postindustriels, «les randonnées ou les promenades proposées par ces groupes d'artistes se font en général en périphérie des villes, dans des zones délaissées, limitrophes. De nombreux artistes produisent aujourd'hui des marches sonores ou des promenades vidéo pour faire voir autrement certains espaces, urbains ou périurbains.»

Renverser les stigmates de Marseille

Ainsi la proposition du GR2013, plus qu’une recette «d’anti-tourisme» serait avant tout «un phénomène d'abord artistique qui permet de changer le regard sur certains endroits négligés ou considérés comme peu importants ou laids».

Plus que le changer, le créateur du GR et son collectif «d’artistes marcheurs» parlent de le décaler, de le porter sur des lieux trop souvent négligés. «Les représentations des Bouches du Rhône se cantonnent à 1% du territoire avec les centre villes historiques et deux ou trois sites exceptionnels comme les Calanques et la Côte Bleue. Vous ne verrez par exemple jamais une seule carte postale du plateau de l’Arbois qui est pourtant un endroit magnifique», détaille Baptiste Lanaspeze.

Nicolas Maisetti va lui plus loin. Pour ce spécialiste de Marseille le projet, en plus de donner une autre vision, servirait également à renverser les clichés sur la ville et ses environs en conférant à ce territoire une identité urbaine.

«La stratégie du GR2013 vise, à mon sens, à faire basculer les stigmates de Marseille, à se réapproprier l'histoire industrielle de la Provence et à la revendiquer».

Marketing éditorial risqué?

Mais revisiter l’histoire et redessiner l’image d’une région en mettant en avant tout ce qu’elle a de gris, d’industriel et de chaotique, n’est ce pas un peu glissant, surtout lorsque l’on s’appelle Marseille et que l’on s’adresse aux touristes? Pour Baptiste Lanaspeze, l’identité urbaine de la ville et de sa région est à prendre tout entière, dans ses bons et ses mauvais traits:

«Nous aimons Marseille telle qu'elle est avec son urbanisme chaotique, on veut tout montrer. On trouve que dire “venez découvrir les beautés insoupçonnées de Marseille“ est moins glissant que “tout est beau“, dans une logique de marketing éditorial sur la région».

Un marketing éditorial avec lequel il aura tout de même fallu composer: le GR2013 garde ainsi dans son circuit la Sainte Victoire et la sainte Baume, deux massifs des parcs départementaux afin de conserver l’image d’Epinal de la Région pour s’attirer un public un peu plus large, peu habitué à ce type de tourisme industriel.

«Le Conseil général nous a laissé choisir à 80% l'itinéraire mais a insisté pour que l'on passe par la Sainte Victoire et la Sainte Baume».

Raison invoquée: la question identitaire régionale et le fait que la randonnée se devait de rester dans de beaux paysages. «Disons qu'ils ont accepté de se faire bousculer par le GR2013 mais que le prix à payer a été de passer par des parcs départementaux», explique Baptiste Lanaspeze.

Ces compromis de tracés auront-ils suffi à propulser le GR2013 comme la grande proposition touristique du printemps alors que plusieurs musées marseillais sont encore fermés? MP2013 semble en tout cas beaucoup miser sur son GR, qui a reçu une bonne couverture médiatique dans la presse, contrairement à sa fête de lancement. Pour autant, la proposition n’est-elle pas trop pointue pour le grand public?

Tourisme alternatif et postindustriel

Le fondateur du projet reconnaît que même si cette proposition a été pensée pour s'adresser à tous, elle reste destinée à une certaine catégorie de touristes, culturels et un peu «bobos»:

«Le GR s’adresse aux habitants et aux touristes, pour les amener dans des endroits où ils ne sont jamais allés. D’ailleurs le GR a été pensé pour les récupérer tous les deux, en passant dans les centres villes pour les habitants et avec deux pôles de départ pour les touristes: la gare TGV et l’aéroport de Marignane.

Cela s’adresse bien sûr aux touristes, en particulier aux touristes culturels. Bien sûr, ce ne sont pas forcément des randonneurs classiques, plutôt une génération de trentenaires voire de quadras, une génération qui cherche une nouvelle forme de tourisme un peu alternatif».

Une façon de vivre le tourisme et la culture autrement pour ces visiteurs en mal de sensations fortes qui, plutôt que de passer leurs journées à la plage, pourront admirer les zones commerciales de la région, s'extasier devant les déchetteries aux couleurs du Far West et tremper leurs pieds dans un cours d'eau situé sous l'autoroute.

Corniche de Rognac © Baptiste Lanaspeze

En somme, une aventure atypique correspondant à la nécessité pour le touriste de vivre quelque chose d'original et de se démarquer des autres voyageurs. «Cette forme de tourisme s'inscrit dans une démarche de distinction des groupes sociaux. L'individu désire se distinguer par rapport aux autres en faisant quelque chose de singulier comme par exemple le tourisme industriel mais aussi le tourisme solidaire, de guerre...», explique le sociologue du tourisme Bertrand Réau.

Mais ce type d’excursion, pourtant en vogue, ne serait pas forcément synonyme de succès. «Même s'il y a beaucoup de publicité dans ce sens, cela ne veut pas dire que cela va fonctionner: prenez l'exemple du tourisme solidaire, très mis en avant, mais qui au final a attiré peu de personnes», observe le chercheur.

En attendant, le GR2013 peut jouer sur la corde sensible des habitants et les travailleurs de cette région qui ont investi et traversé ces espaces industriels. «L'industrie et son patrimoine concernent beaucoup de gens, les ouvriers au premier chef. Il ne faut pas négliger la possibilité d'une certaine affection pour sa région, pour une industrie dans laquelle on a travaillé de père en fils, etc...» souligne Suzanne Paquet.

Pour cette spécialiste de l’histoire de l’art, nulle raison que cette grande randonnée fasse un flop et que ces paysages postindustriels ne connaissent pas le même succès qu'ont aujourd'hui les sites naturels.

«Ce qui fait que les paysages sont consommés à grand échelle est présent, aussi, dans le paysage industriel et postindustriel: la nostalgie et une possible forme de sublime. Quoi de mieux que des territoires dévastés qui ressemblent au désert et des monstres gigantesques et rouillés pour provoquer ce petit frisson de terreur nécessaire au sentiment du sublime?»

Une proposition pour tous?

Autre raison de craquer pour le tourisme destroy: la photogénie. «Le touriste se déplace en général pour s'assurer d'avoir SA propre photo d'un site ou d'un paysage, et les installations industrielles, surtout lorsqu'elles sont désaffectées, font de très bons clichés».

Marseille, pourrait donc bien avoir anticipé en proposant une forme d’expression du tourisme qui n'a plus peur de regarder son héritage industriel. Mais encore faudrait-il que cette tendance puisse s’exprimer jusqu’au bout. En faisant de cette randonnée l’un des évènements phares par un malheureux hasard d’ouvertures retardées et en jouant le jeu du marketing éditorial, MP2013 positionne mal son GR2013 en laissant penser qu’il s’adresse à tous.

«C’est une proposition nouvelle de randonnée qui se veut innovante, c’est pour cela qu’elle se fait dans une capitale de la culture et pas ailleurs. Elle vient compléter une offre culturelle classique, elle crée une niche nouvelle atypique au croisement de la randonnée et de la culture», rappelle son créateur. Un GR pas pour tout le monde, donc, mais sans qu’il ne l’ait jamais prétendu.

Toutefois, dans un printemps marseillais où l’on attend encore l’ouverture des grands musées comme le MuCem, ou des évènements plus grand public comme «Le Grand atelier du Midi», une exposition rassemblant Matisse, Cezanne, Van Gogh et Bonnard en juin 2013, le GR2013 prend des airs de proposition pour tous. Une mise en avant qui l’aura rendu plus lisse qu’il ne l’est.

Laura Guien et Stéphanie Plasse

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