C'est une «refonte nécessaire» dont ont besoin les aides publiques à la presse, selon les mots du député Michel Françaix, auteur d'un rapport parlementaire sur le sujet paru en octobre dernier. Double motivation: elles coûtent cher à l'État et ne sont pas nécessairement efficaces, comme le soulignait déjà la Cour des comptes dans son rapport annuel, en février.
Jeudi, le groupe de travail qui planchait dessus a rendu ses «recommandations» au premier rang desquelles on trouve l'harmonisation de la TVA à 2,1 % pour la presse en ligne, le même «tarif» que pour la presse imprimée donc, dès le mois de juin. En plus de vouloir supprimer cette «discrimination», le groupe de travail recommande de soutenir financièrement «les projets innovants» (le web donc). Les réductions de l'enveloppe des aides étant déjà planifiées (394,8 millions d'euros en 2013 pour 345,8 millions en 2015, soit 12,4 % de moins), les six personnalités qui planchaient sur le projet (dont Michel Françaix et Bruno Patino) recommandent aussi de revoir de fond en comble les aides au portage des journaux et l'aide postale.
Ces préconisations sont le résultat de la «prise de conscience de l'État», indique Patrick Le Floch, spécialiste de l'économie des médias:
«En raison aussi de ses contraintes budgétaires, l'État devrait réallouer ces aides vers la presse d'information politique et générale au détriment de la presse dite récréative [presse magazine ou télévisuelle NDLR].»
Le constat actuel: des quotidiens en crise
Cette réforme des aides va toucher une presse qui, en ce qui concerne la version écrite des quotidiens d'information générale (qui concentrent à eux seuls 42,5 % de la manne directe), vend de moins en moins... et se vend de plus en plus cher.
Croissance des prix : 1982-2013
Source: passiondataviz.fr, en euros constants (base 2011)
Les lecteurs se retrouvent avec des quotidiens nationaux tels Le Monde qui passe de 3,50 francs (soit 1,11 euro) en 1982 à 1,80 euro en 2013, soit 64 % d'augmentation. L'économiste ironise:
«Au bout de 30 ans, les quotidiens sont quasiment devenus des produits de luxe.»
Et se fait tailler des croupières par la presse en ligne, moins chère.
Des augmentations qui sont compréhensibles néanmoins, puisque les entreprises «ont profité dans un premier temps d'une faible élasticité de la demande aux prix, pour améliorer leurs résultats au niveau financier». Sauf qu'au fur et à mesure, les lecteurs ont cessé d'acheter des quotidiens, à force de payer de plus en plus. Pour des quotidiens de moins en moins épais.
Et sans se remettre en question. Ce sont ces décisions à court terme qui favorisent ce que Patrick Le Floch appelle un «effet de ciseaux» entre la hausse des prix et «la baisse tendancielle du tirage». Autrement dit, les courbes se croisent: le tirage chute, mais le prix de vente continue d'augmenter.
Évolution du tirage
Source: OJD
La solution actuelle: des aides distribuées au doigt mouillé
L'an dernier, l'État a distribué 162 millions d'euros d'aides directes à différents titres de presse quotidienne nationale, régionale ou hebdomadaire. En prenant en compte les réductions postales, les subventions et la TVA réduite (2,1 % contre 19,6 % à taux plein), les fonds affectés à l'aide à la presse imprimée représentaient une dépense de 1,2 milliard d'euros ces trois dernières années.
Une aide dont l'efficacité est discutable, Patrick Le Floch prend l'exemple de la dernière victime française de la crise de la presse imprimée:
«France-Soir, avant de disparaitre, avait 70 % de son chiffre d'affaire qui provenait des aides directes de l'État.»
Le rapporteur Michel Françaix s'interroge aussi sur la répartition de ces aides: il prend l'exemple de Présent, proche de la frange fondamentaliste de l'Église catholique. Le quotidien a reçu 227.752 euros d'aides en 2012, pour un tirage revendiqué de 8.000 exemplaires. Des aides que Patrick Le Floch défend au nom de la «pluralité de la presse», au même titre que les sommes versées à L'Humanité ou à La Croix.
Répartition des aides et leur part dans chaque numéro
Source: Rapport Françaix et Cour des comptes.
Les préconisations: la presse doit investir le numérique
En 2012, 10 % des recettes des journaux imprimés provenaient de leur activité en ligne. Pour le député Françaix, ce chiffre est appelé à augmenter et surtout, il souligne dans son rapport que «d’ici une dizaine d’année, peut-être moins, la presse quotidienne sera distancée par la presse en ligne». C'est là-dessus que Michel Françaix insiste, sur les 1,2 milliard d'euros d'aides, seuls 20 millions (1) étaient affectés au développement de la presse en ligne, autant dire quasiment rien.
Patrick Le Floch est sur la même ligne:
«Certains journaux ont culturellement engagé depuis de nombreuses années une politique volontariste pour augmenter leur diffusion. Le Télégramme [de Brest] est un ovni. En raison d'un travail commun de la rédaction et des services marketing, cet ovni a réussi à augmenter sa diffusion de façon très forte.»
Autrement dit, à l'exception notable de l'effort continu du Monde depuis quinze ans, la presse imprimée peine à investir les supports numérique. L'expérience américaine montre pourtant que la production de contenus de qualité en ligne relance les abonnements, y compris au papier.
Avec ces aides, l'Etat dispose d'un levier pour pousser la presse imprimée à «aller cher les lecteurs sur les nouveaux supports», ajoute l'économiste. C'est tout l'enjeu car selon lui, «on ne retrouvera plus les lecteurs que l'on a perdu sur le papier, c'est une tendance de long terme».
Pierre Breteau
(1) Slate.fr a obtenu environ 100.000 euros de subventions depuis sa création il y a 4 ans.