Monde

L'échec de la main invisible du marché du carbone

Temps de lecture : 2 min

Les dernières mésaventures européennes démontrent qu'il est illusoire de vouloir régler les problèmes de l'environnement seulement avec des mécanismes de marché.

La centrale Scholven en Allemagne, mars 2013. REUTERS/Ina Fassbender
La centrale Scholven en Allemagne, mars 2013. REUTERS/Ina Fassbender

L'Europe croyait tenir la bonne solution: pour respecter le protocole de Kyoto et inciter l'industrie à diminuer ses émissions de gaz à effet de serre, elle a institué en 2005 un mécanisme d'échange de quotas de CO2, l'European Trading Scheme (ETS).

L'idée était simple: chaque entreprise –du moins celles appartenant aux secteurs couverts par l'accord– se voyait imposer un plafond d'émissions de CO2.

Jusque-là, rien d'original: comme dans beaucoup d'autres domaines, la puissance publique jouait tout simplement le rôle de gendarme en obligeant l'industrie à respecter des normes d'émission.

L'originalité du processus se trouvait ailleurs: liberté était en effet laissée aux acteurs concernés de vendre leurs quotas non utilisés sur un marché, ou, au contraire, d'acheter les quotas d'autres entreprises. Ce mécanisme avait donc un triple avantage:

  • accorder un peu de flexibilité au système (les entreprises n'étant pas obligées d'interrompre toute production en cas de dépassement des quotas);
  • donner un prix à la tonne de carbone, prix qui peu à peu serait intégré dans tous les calculs économiques en amont et inciterait l'industrie à mettre en oeuvre des process moins émetteurs;
  • faire en sorte que les émissions de CO2 soient d'abord réduites là où cela coûtait le moins cher, pour garantir une meilleure efficacité économique.

Le mécanisme a progressivement été élargi à de nouveaux secteurs, pour couvrir, en 2013, 27 pays et 45% des émissions de gaz à effet de serre de l'Union européenne. Et les quotas ont été peu à peu restreints.

Un mécanisme en déroute

Las, outre des problèmes initiaux de fraude à la TVA, les allocations sont restées bien trop généreuses, surtout en période de crise économique: quand l'industrie diminue sa production, elle émet automatiquement beaucoup moins, et accumule donc les quotas non utilisés. Le prix de la tonne de carbone plafonne désormais à quelques euros, et n'est en aucun cas dissuasif.

Alors que l'ETS est rentré dans sa troisième phase (2013-2020), la commission croyait avoir trouvé un remède: faire remonter les prix en provoquant la rareté sur le marché. Elle demandait donc aux eurodéputés de voter le gel temporairem de 900 millions de tonnes de quotas d'émission (alors qu'elle évaluait le surplus des quotas d'ores et déjà non utilisés à plus d'un milliard de tonnes). Une mesure qui a donc été refusée mardi 16 avril par le Parlement européen.

Bien entendu, la commission a plus d'une mesure d'urgence dans son sac et devrait donc revenir dans les prochaines semaines avec d'autres propositions: faire passer de 20% à 30% l'objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre d'ici 2020, intensifier la baisse annuelle des quotas, etc. Mais il s'agit de sauver l'ETS de la déroute plutôt que de le rendre structurellement plus efficace. Dans le contexte économique actuel, l'industrie a en outre bien plus de chances de faire entendre sa voix (en général critique), hypothéquant d'autant ces tentatives de sauvetage du marché.

Mais au-delà de ces péripéties, cette situation illustre d'abord une chose: créer un marché pour réguler l'environnement n'est pas chose aisée.

Car, par définition, l'activité économique –et donc les émissions– fluctuent, et aucune institution n'est autorisée à effectuer le «fine-tuning» (ou gestion fine) du marché des quotas CO2, et à ajouter ou enlever des liquidités en fonction de la situation.

Or, si, pour l'environnement, ce sont bien les émissions mondiales de gaz à effet de serre qui comptent, le volume des émissions globales –même limitées au territoire des 27– n'est pas un outil satisfaisant pour piloter la politique environnementale.

Pour surveiller que l'économie devient moins dépendantes des émissions de CO2, ce sont bien les émissions par unité de production qui ont un sens et qu'il convient de surveiller. Bref, pour que le marché puisse être efficace, il doit être strictement, et en permanence, encadré. Autrement dit, ressembler de moins en moins à un marché «libre». Et donc se justifier constamment à l'égard des plus libéraux –et des lobbies– pour lesquels un marché s'équilibre de lui-même. En la matière, cela semble tout bonnement impossible.

Catherine Bernard

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