France

La chasse aux terroristes (de 1793)

Temps de lecture : 10 min

Alors que, nous fêtons, si l’on peut dire, le 220e anniversaire de la création du Tribunal révolutionnaire et du Comité de salut public, le vocabulaire et les références à la Terreur sont omniprésents dans l'actualité politique française. Mais que savons-nous vraiment de cette période?

Louis XVI au pied de l'échafaud, par Charles Benazech (1793).
Louis XVI au pied de l'échafaud, par Charles Benazech (1793).

Jean-Luc Mélenchon a appelé les Français à manifester, dimanche 5 mai, pour l'avènement d'une «VIe République». Pourquoi le 5 mai? Parce qu'il s'agit de la veille du premier anniversaire de l'élection de François Hollande, mais aussi de la date à laquelle se sont ouverts les Etats généraux en 1789.

Cette référence révolutionnaire ne surprend pas dans la bouche de l'ancien candidat à la présidentielle, coutumier du fait. Il a également récemment vu dans les mesures de moralisation de la vie publique présentées par François Hollande une «loi des suspects» —un terme dans lequel certains journalistes ont vu une référence à celle de 1793, mais l'élu a assuré qu'à l'inverse, il s'agissait «à l'époque d'une bonne loi».

Car, en ce printemps très agité au niveau politique, ce n'est pas seulement l'année 1789 qui est fréquemment mentionnée, mais aussi aussi 1793. Début janvier, le député FN Gilbert Collard dénonçait ainsi sur son blog «Robespierre Peillon» tandis que sa consoeur Marion Maréchal-Le Pen cosignait avec des députés UMP une proposition de loi réclamant la reconnaissance d'un «génocide» vendéen.

Répondant aux imprécations de Jean-Luc Mélenchon contre le gouvernement, le PS a ensuite présenté son opposant comme «un petit Robespierre de mauvaise facture». Un Robespierre qui demeure le seul grand personnage de la Révolution à ne pas disposer d’une rue à Paris, malgré de nombreuses démarches effectuées en ce sens auprès de la mairie.

>> A lire également: Robespierre, un moralisateur incompris

Après la démission de Jérôme Cahuzac, le dirigeant de l'UMP Guillaume Peltier a lui attaqué Mediapart en pourfendant «la pression médiatique des petits Robespierre de la justice», et son parti à, à la même époque, dénoncé le projet fiscal du gouvernement Ayrault en ciblant une «révolution fiscale qui s’est transformée en terreur».

Gilbert Collard, encore lui, a comparé la publication des déclarations de patrimoine à «la Terreur». Et récemment, une lettre de menace adressée à Jean-Pierre Elkabbach et à d’autres journalistes les accusait de se comporter (prière de ne pas rire) en «accusateurs publics» autoproclamés.

Controverses et certitudes

Depuis deux siècles, la Révolution a été souvent brandie au cœur du débat politique. Mais, et ce n’est pas sans paradoxe, depuis la célébration du bicentenaire de la Révolution, les choses ont changé. La Révolution continue d’apparaître ici où là dans la bouche de certains politiques ou éditorialistes, mais presque exclusivement pour dénoncer ses «dérives», au premier rang desquelles se trouve la Terreur.

Une période dont on fête ce printemps les 220 ans, puisque le Tribunal révolutionnaire a été créé le 10 mars 1793 et le Comité de salut public le 6 avril de la même année. Depuis plus de deux siècles, elle est l’objet de discussions et de controverses parfois houleuses entre les historiens. Comment la caractériser? Qui en est responsable? A-t-elle vraiment eu lieu où est-ce une reconstruction a postériori? Quelles en sont les bornes temporelles? Que peut-on lui imputer?

Pourtant, à en croire le bruit général, ces questions semblent tranchées: la Terreur, c’est l’horreur; le responsable, c’est Robespierre; la Terreur débute avec l’instauration du Tribunal révolutionnaire, volontiers assimilé à ceux qui officiaient à Moscou, et se termine avec la mort du tyran Robespierre; son bilan est abominable: les charrettes de condamnés à Paris, les noyades de Nantes et même le «génocide» de Vendée.

Comment une question si complexe, si ouverte, si propice aux débats a-t-elle pu finir par devenir une sorte d’image d’Epinal version gore, figée, semble-t-il, une bonne fois pour toute dans le sang coagulé de ses innombrables victimes?

Une période mal comprise

Oui, la Terreur —adoptons ce mot inventé à posteriori par ceux qui furent les artisans de la chute de Robespierre en thermidor an II (juillet 1794)— fut une période sombre, cruelle et violente, la «part maudite de la Révolution» selon les mots de l’historien Jean-Clément Martin. La simple évocation de ce terme fait froid dans le dos et voilà pourquoi elle constitue un raccourci commode dans la bouche des politiques.

Le fait est qu’en 2013, le débordement de violence qui caractérise la période de 1793-1794 est forcément mal compris. Nous vivons dans un régime politique d’une grande stabilité, la peine de mort a été abolie en 1981 et nous n’avons pas connu la guerre sur notre sol depuis 1945. La violence politique nous apparaît comme barbare, et surtout étrangère à notre système de valeurs.

Oui, mais pour les Français de 1793, cette violence s’exerçait alors dans tous les sens. La déclaration de guerre à l’Autriche en avril 1792 a considérablement radicalisé les débats: la République, qui sera bientôt instaurée en septembre 1792, lutte pour sa survie. Les représentants de la nation doivent à la fois mener la guerre aux frontières et combattre les ennemis de l’intérieur, mais aussi canaliser la violence populaire dont une des principales manifestations sont les massacres de septembre 1792, provoqués par la crainte de la prise de la ville par les Prussiens.

La République proclamée, le procès du roi commence. Sa condamnation et son exécution, fin janvier 1793, provoquent la mise sur pied de la Première coalition. La moitié de l’Europe est à présent dressée contre la France.

Un climat de guerre civile atroce

La République ordonne la levée de 300.000 hommes. Dans de nombreuses régions, comme dans l’Ouest de la France, c’en est trop, et au mois de mars, la révolte prend de l’ampleur et devient armée. Bientôt va naître une Armée catholique et royale dont l’objectif affiché est de rétablir la monarchie. L’armée française est envoyée dans l’Ouest pour mater cette révolte. Une guerre civile atroce va y commencer.

C’est dans ce climat difficile que George Danton réclame, le 10 mars 1793, la création d’un tribunal révolutionnaire:

«Les ennemis de la liberté lèvent un front audacieux; partout confondus, ils sont partout provocateurs. En voyant le citoyen honnête occupé dans ses foyers, l'artisan occupé dans ses ateliers, ils ont la stupidité de se croire en majorité eh bien, arrachez-les vous mêmes à la vengeance populaire, l'humanité vous l'ordonne. […] Ici le salut du peuple exige de grands moyens et des mesures terribles. Je ne vois pas de milieu entre les formes ordinaires et un tribunal révolutionnaire.»

Puis, évoquant les massacres de septembre, il enfonce le clou:

«Faisons ce que n'a pas fait l'Assemblée législative; soyons terribles pour dispenser le peuple de l'être; organisons un tribunal, non pas bien, cela est impossible, mais le moins mal qu'il se pourra, afin que le glaive de la loi pèse sur la tête de tous ses ennemis.»

Le tribunal révolutionnaire est bientôt institué avec pour objet de juger le plus rapidement possible «toute entreprise contre-révolutionnaire, … tout attentat contre la liberté, l’égalité, l’unité, l’indivisibilité de la République, la sûreté intérieure et extérieure de l’État, et … tous les complots tendant à rétablir la royauté ou à établir toute autre autorité attentatoire à la liberté, à l’égalité et à la souveraineté du peuple.»

Les thermidoriens ont inventé la Terreur

Après quelques tergiversations, c’est le tristement célèbre Fouquier-Tinville qui en devient l’accusateur public. C’est le Comité de Sûreté générale, lui aussi créé en mars 1793, qui rédige les ordres d’arrestation et d’inculpation des suspects déférés devant le tribunal.

Le tribunal fonctionne de fin mars 1793 à fin mai 1795. Il enverra à l’échafaud plus de 2.500 personnes (et en acquittera presque autant) dont, successivement, les Girondins (jugés trop mous par le peuple de Paris et renversés en juin 1793), les «Exagérés» de Hébert puis Danton et ses amis, au printemps 1794, et enfin Robespierre et les robespierristes, à l'été 1794.

Un autre organisme est également mis sur pied, assurant de fait le pouvoir exécutif. Il s’agit du Comité de salut public, chargé de coordonner les travaux des diverses commissions formant ministères, dont la création est proposée par Barère le 18 mars 1793. Il est finalement formé d’une dizaine de membres permanents, se réunissant à huis clos, renouvelables tous les deux mois. Robespierre y fait son entrée en juillet 1793.

Le Comité de salut public est un comité de guerre, à l’intérieur et à l’extérieur des frontières de la France, créé pour prendre des mesures radicales —et qui les prend. Alors que la guerre de Vendée se radicalise, des représentants sont envoyés dans les provinces pour rétablir l’ordre et certains, comme Fouché à Lyon ou Carrier à Nantes, se distinguent par leurs exactions. Les bruits de leurs sinistres exploits arrivant jusqu’à la Convention, les plus contestés sont rappelés à Paris afin qu’ils y rendent des comptes.

Fouché, qui sera un des artisans de la chute de Robespierre, passera au travers des mailles du filet, contrairement à Carrier. Après le 9-thermidor, ceux qu'on appelle justement les thermidoriens vont forger le nom de Terreur et en accuser Robespierre de tous les maux.

Le bilan de la période qui s’étend de mars 1793 à juillet 1794 est en effet terrible: plus de 2.000 exécutions rien qu’à Paris, des centaines, peut-être des milliers dans les provinces. La guerre de Vendée, qui a débuté au printemps 1793 et se poursuit après la chute de Robespierre, fera au total 170.000 morts et disparus.

«Instrument de défense»

Comment analyser une telle succession d’évènements, si rapide et si tragique? Voilà deux cents ans que les historiens en débattent.

Pour certains, dont les chefs de file pourraient être Albert Soboul, directeur de l’Institut d’histoire de la Révolution française, actif à partir des années 1950 et proche du PCF, et Albert Mathiez, ce moment historique est à replacer avant tout dans son contexte. Ils considèrent que la Terreur s’explique par l’impuissance répétée des Girondins, aux affaires jusqu’à leur élimination, qui ont laissé la situation intérieure et extérieure s’aggraver et ont donc contraint leurs successeurs à prendre des mesures drastiques mais nécessaires. Selon Soboul, par exemple, la terrible loi du 22 prairial «s’explique par les circonstances du moment.» Et l'historien d’avancer que:

«La Terreur fut essentiellement un instrument de défense nationale et révolutionnaire contre les rebelles et les traîtres. Comme la guerre civile dont elle n’est qu’un aspect, la Terreur retrancha de la nation des éléments socialement inassimilables, parce qu’aristocratiques ou ayant lié leur sort à celui de l’aristocratie.»

Albert Soboul est contesté, à partir du début des années 1970, par des historiens de l’école «révisionniste», comme William Doyle, Pierre Chaunu, Denis Richet et François Furet. Ce dernier, plutôt classé a droite, auteur d’une somme (La Révolution) publiée en 1988, jette un œil bien différent sur la Terreur:

«Il serait faux de l’imaginer comme le simple produit de la pression des sans-culottes ou des excès sanglants de certains représentants en mission. En réalité, elle est inséparable de l’univers révolutionnaire […] Dès 1789, la Révolution française ne pense les résistances réelles ou imaginaires, qui lui sont offertes, que sous l’angle d’un gigantesque et permanent complot, qu’elle doit briser sans cesse […] La culture politique qui peut conduire à la Terreur est présente dans la Révolution française dès l’été 1789.»

Les commémorations du bicentenaire de la Révolution française ont lieu un an après la publication de cet ouvrage, qui reçoit un accueil très favorable dans tous les médias. Mais 1989, c’est aussi l’année de la chute du mur, de la théorie de la «fin des idéologies». Certaines thèses de François Furet tendent à accréditer l’idée que la Révolution française porte en germe les totalitarismes du XXe siècle. Il en résulte des interprétations souvent très raccourcies.

Car pour ne reprendre que l’extrait cité, Furet, bien que très réservé sur le bilan de la Révolution, qu’il tend à présenter comme un moment historique dont on aurait pu faire l’économie, ne dit pas qu’elle conduit à la Terreur, mais qu’elle peut y conduire.

Vision stéréotypée du débat

Jean-Clément Martin a beaucoup travaillé sur cette question de la Terreur, et présente une thèse que l’on pourrait qualifier d’intermédiaire. Son ouvrage le plus accessible, La Terreur – Part maudite de la Révolution, en offre un panorama aussi équilibré qu’un ouvrage consacré à un sujet aussi polémique peut l’être. Comme il l’expose dans sa conclusion:

«Pas plus que tous les parfums d’Arabie ne pourront jamais laver le sang de la main de Macbeth, toutes les analyses échoueront à faire comprendre que, précisément, les conventionnels n’ont pas institué un système de Terreur, mais qu’ils ont tenté un compromis, avoué publiquement, et qu’ils ont échoué. Comme tant d’autres gouvernants, ils ont eu recours à la violence, utilisant et canalisant les "hommes de sang" communs à toutes les époques, dont ils n’ont pas réussi à rester les maîtres.»

Cette période complexe qu'est la Terreur mérite bien mieux que les imprécations, les utilisations politiques et les raccourcis dont elle est régulièrement l’objet. Les hommes alors au pouvoir avaient à cœur d’assurer la pérennité des institutions, de canaliser la violence de leurs partisans et de ne pas faire dans le détail pour mettre leurs adversaires hors d’état de nuire, et s’en chargèrent en étant persuadés qu’il n’y avait pas d’autre issue.

Il est trop facile de les juger aujourd'hui avec les connaissances et les systèmes de valeur qui sont les nôtres. Il est également trop facile d’en tirer la conclusion que les révolutions finissent toujours mal et qu’elles sont donc inutiles —un discours que l’on entend bien souvent aujourd’hui. Il est naturellement possible de condamner, mais c’est là le métier des juges, pas celui des historiens —ni des hommes et des femmes politiques.

Et pour condamner ou relaxer, encore faut-il ne pas avoir une vision trop stéréotypée du débat, trop souvent confisqué par ce que les auteurs d’un récent ouvrage appellent les Historiens de garde, qui monopolisent l’attention des médias. La période révolutionnaire fut caractérisée par un foisonnement des idées, bien difficile à démêler, et par une forte influence des parlementaires, un moment rare dans notre histoire, où le pouvoir, royaliste ou républicain, des Etats généraux à l’Assemblée nationale, se méfie comme de la peste des Parlements.

La Terreur a fini de faire couler le sang, mais elle n’a pas fini de faire couler de l’encre. Contrairement à la tête de Robespierre, à celle de Danton et à celle de Louis XVI, la question de sa délimitation, de ses causes, de son bilan, de sa mécanique, est loin d’être tranchée.

Antoine Bourguilleau

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