France

Le populisme «vintage» de Jean-Luc Mélenchon, trop élaboré pour être efficace

Temps de lecture : 7 min

Mélenchon est un peu comme la surprise 2012 dont tout le monde a aimé le premier album, et qui depuis s'enfonce dans la caricature pour satisfaire le public. Plus il en rajoute, plus les observateurs en redemandent. Et plus l'analyse de style prend le dessus sur la politique.

Si on suit la thèse du philosophe Peter Sloterdijk selon laquelle les partis politiques contestataires seraient des banques de colère, alors la question est de savoir quel banquier va capitaliser sur l’affaire Cahuzac.

A propos de cette course à l’épargne politique, on lit beaucoup –trop– que Le Pen et Mélenchon se positionnent sur le même créneau avec, finalement, des offres politiques emballées dans les mêmes slogans. C’est en fait tout l’inverse.

«Partisan de l’agir davantage que du seul parler, mes amis, après un tour de table avec mes camarades, je fais donc la proposition d’une marche pour la Sixième République. Et j’assume de proposer une date pour éviter de perdre du temps. Le 5 mai. Jour anniversaire du second tour de l’élection présidentielle. Jour anniversaire de l’ouverture des Etats Généraux de 1789…

[…]

Notre dénonciation de l’oligarchie prend des visages, des noms, des adresses. La communauté de mœurs, de vie, d’appétits, de fréquentations qui unissent les puissants du “bipartidarisme” éclate au grand jour. Voilà ce que j’appelle “l’officialisme”.»

Voici un extrait du blog de Jean-Luc Mélenchon. Sans doute un des plus beaux espaces sur le Net d'écriture et de réflexion sur la politique française. Et voici la raison pour laquelle il n’a aucune chance de fédérer les mécontents du régime autour de lui, le 5 mai.

D’abord, n’importe quel communicant cynique et donc lucide (ou l’inverse) lui expliquerait qu’on emploie pas des mots compliqués et encore moins des –ismes à tout bout de champ quand on s’adresse aux gens qui doivent faire la révolution.

Ensuite, on lui dirait d’éviter les tournures alambiguées, littéraires comme «Partisan de l’agir davantage que du seul parler» (j’ai relu trois fois avant de comprendre). Enfin, on lui conseillerait sans doute de limiter ses recours permanents à 1789 et de mettre en veilleuse sa mystique du Grand soir, pour s’ancrer davantage dans le réel et le quotidien concret des gens dont il convoite les suffrages: les fins de mois.

La «marche citoyenne pour la VIe République» et sa «Constituante» risquent de ne pas déplacer les foules. L’ordre du jour est un peu abstrait.

Le méta-populisme qui séduit les intellos

Encore une fois, la grosse erreur va consister un peu partout à parler de populisme à propos de Jean-Luc Mélenchon, alors qu’il s’agit d’un méta-populisme: un registre de langage trivial, volontairement agressif et provocateur, mais enrobé dans une syntaxe merveilleusement complexe, telle qu’aucun politique de la Ve ne la pratique plus.

«On savait qu'il leur fallait parler fort, on sait désormais qu'il leur faut aussi parler sans manières», écrit par exemple Reuters dans un parallélisme entre les «populismes» de Mélenchon et de Marine Le Pen. Sauf que Mélenchon est, au contraire, extrêmement maniéré. On a rarement vu populiste aussi à cheval sur la grammaire.

Une posture paradoxale à même de séduire les électeurs les plus instruits et les plus politisés, qui apprécient à leur juste valeur les efforts rhétoriques déployés par l’homme fort du Front de gauche. Un style qui séduit ceux qui regrettent l’époque où les hommes d’Etat n’étaient pas formés à Sciences Po et à l’ENA mais en khâgne et à l’école normale. Son modèle est d'ailleurs Mitterrand, le dernier président littéraire du pays.

C’est ce que nous avait expliqué sur Slate, juste après le premier tour de l’élection présidentielle, la politologue Janine Mossuz-Lavau du Cevipof: Mélenchon fait le populiste, Marine Le Pen parle peuple. C’est toute la différence.

A l’époque, nous avions tout simplement titré cet entretien «Mélenchon ne parle pas à ceux qui sont dans la dèche», parce que la formule résumait parfaitement l’analyse comparée des deux styles de discours populiste. Quelques semaines plus tard, Mélenchon allait défier Marine Le Pen à Hénin-Beaumont lors des législatives. On connaît la suite.

Mélenchon contre les médias, un jeu de rôle trop élaboré

Mélenchon est un adepte du dévoilement des intérêts des élites, une démarche qui a plus à voir avec la sociologie de Pierre Bourdieu qu’avec un quelconque retour au fascisme. La confrontation avec son meilleur ennemi, David Pujadas, mardi 9 avril, a encore une fois révélé que ses ficelles étaient trop intellectuelles pour remporter la ferveur populaire qu’il recherche.

Comme à son habitude, il a décidé de casser le cadrage imposé aux interviewés ou, comme le dit Daniel Schneidermann, le «dispositif de l’interrogatoire “pujadien”». En retournant la question posée sur son patrimoine et en demandant au journaliste de publier le sien! Il s’affranchit du code implicite de l’interview en prenant l’intervieweur comme objet du discours: il tire par la manche le journaliste qui se place hors du jeu pour le faire redescendre dans l’arène du conflit social. Oui, Pujadas est aussi partie prenante des rapports de production, camarade.

De la part de Mélenchon, c’est très intelligent. C’est TROP intelligent. Un peu comme le théâtre de l’absurde questionne la notion même de théâtre et de mise en scène, Mélenchon questionne la notion même de plateau de télévision. Mal de tête assuré en fin de journée.

Le populisme vintage de Mélenchon

A présent, Mélenchon parle de «coup de balai», postant sur son blog des affiches destinées à entretenir son personnage de grand nettoyeur, mais qu'on verrait bien trôner dans un café branché à la déco vintage. Des citations ironiques –hipsters?– du léninisme ou des diatribes anti-élites des années 1930. Lénine chassant les rois et les banksters bedonnants, le prolétaire musculeux de la SFIO donnant littéralement le coup de balai dans la caste politicarde corrompue, etc. De quoi, évidemment, choquer mais, aussi, amuser dans les milieux modérés.

Mélenchon joue avec les nerfs des élites, parce que finalement, c’est à elles, qui ont la culture historique pour décoder ses références, qu’il s’adresse. Et tout cela ressemble de plus en plus à un jeu de rôles. Car qui peut sérieusement penser que Mélenchon va arracher les têtes les ministres de l’Eurogroupe et les exposer sur des piques à l’entrée de Bruxelles?

Mélenchon ressemble de plus en plus à ces théâtreux qui disent «bite» dans une mise en scène décalée d'une pièce du répertoire, pour choquer le bourgeois.

Ce n’est pas étonnant qu’un des observateurs bienveillants du style mélenchonien ait été pendant la campagne présidentielle Christian Salmon, spécialiste du langage qui a popularisé en France le concept de marketing politique du storytelling. Ou que Fabrice Luchini s’entiche du personnage. Ces personnes ont en commun d’aimer le langage et d’en faire profession.

Le leader du Front de Gauche est une véritable aubaine pour les étudiants en rhétorique à la recherche d’un sujet de thèse. Pour le reste, son usage expert de tout l’éventail des figures de style de la langue française passe complètement à côté du travailleur dont il n’a de cesse de se revendiquer.

«Nous en avons assez des personnages chics et de la littérature snob; nous voulons peindre le peuple», s’enflammait en 1929 le fondateur du style littéraire populiste Léon Lemonnier.

Alors que le PCF veut rester plus poli, dans l'espoir d'infléchir la politique sociale du gouvernement, Mélenchon surenchérit dans son exaltation révolutionnaire improductive. Il est normal qu'il séduise de ce fait l'intellectuel qui, comme l'écrivait Raymond Aron, quand il «cherche dans la politique un divertissement, un objet de foi ou un thème de spéculations», préfèrera toujours la révolution, «excitante», à la réforme, «ennuyeuse».

Mélenchon sur France Inter, le grand frisson matinal du bobo

Le magazine très «métrosexuel» GQ a élu Mélenchon «Homme politique de l'année» 2012. Lors de la soirée du magazine, Mélenchon était apparemment dans son élément, dissertant avec un journaliste sur la question du style en politique:

«Le style, c'est comme un signal, c'est une espèce de monnaie immatérielle, évanescente comme un parfum, à partager, et plus on la partage, plus la richesse s'accroît.»

Quand Patrick Cohen invite, le 26 mars, Jean-Luc Mélenchon dans sa matinale et lui demande en ouverture «A quoi ça sert les invectives en politique?», la passe d’armes tourne à nouveau, pendant 6’35 minutes, autour du style Mélenchon et son rapport aux médias, a mesuré le site de critique des médias Acrimed, sur 10 minutes d’entretien.

Dans la matinale de France Inter, Mélenchon tient ce jour-là son rôle à la perfection.

«Il faut dire prout-prout, il faut parler gentiment, hein, c’est pas comme ça que s’exprime la colère du peuple, les gens en ont par-dessus la tête et ils ont besoin d’avoir des dirigeants qui parlent dru et cru.»

«Les gens, ils parlent pas comme vous.»

Mélenchon s'énerve alors. Il veut passer à autre chose, parler du fond. On comprend sa colère, piégé qu'il est à son propre jeu: plus il crache sur la médiacratie et les oligarques, plus ces derniers redemandent un peu de salive.

Il se s'agit pas de faire à Méluch' le procès du social-traite ou du radical-chic, mais simplement de noter que plus il occupe seul l'espace de la gauche radicale anti-capitaliste, plus on découvre qu'il est meilleur orateur que stratège électoral. Le fait qu'il ait échoué à entrer à l'Assemblée en 2012 ne peut que renforcer sa tentation d'occuper la seule arène médiatique.

Mélenchon s'est dit surpris lors de la soirée GQ d'avoir découvert que «quelques-uns des beaux messieurs et belles dames avec qui j’ai passé la soirée et partagé le repas» votaient pour lui. On dit souvent que c'est dur d'être aimé par des cons. Pour Mélenchon, la difficulté est paradoxalement d'être aimé par des gens chics et intelligents.

La France périphérique se déporte vers le FN. Pendant ce temps-là, on joue à se faire peur au grand-méchant Mélenchon, non sans une certaine excitation.

Jean-Laurent Cassely

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